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Le peuple irlandais à l’épreuve des spéculateurs, de l’Union européenne et du FMI

Le premier ministre irlandais, Brian Cowen, a annoncé le 22 novembre la dissolution du Parlement et l’organisation d’élections législatives anticipées en janvier 2011. Il pouvait difficilement faire autrement. Son parti, (un parti de droite, le Fianna Fail) vient d’être lâché par les Verts sans lesquels il n’a plus la majorité au Parlement. Les syndicats n’acceptent pas le plan d’austérité et préviennent que l’Irlande est « au bord de graves troubles sociaux ». La cote de popularité de Brian Cowen s’écroule avec 11 % d’opinions favorables. Ses ministres se font insulter sur les plateaux de télévision.

Le Fianna Fail est crédité de 17 % des intentions de vote aux prochaines législatives et les Verts de 3 %. Mais avant de céder le pouvoir, Brian Cowen tient à faire jusqu’au bout le sale boulot qu’il a commencé.

Il veut d’abord, faire voter, le plus rapidement possible (afin qu’il soit impossible d’y revenir) un plan d’austérité de quatre ans pour un montant de 15 milliards d’euros d’économie. 15 milliards d’euros cela représente un peu moins de 10 % du PIB irlandais (164 milliards). Et l’équivalent de 200 milliards d’euros pour un pays comme la France.

Il veut, ensuite, faire voter le budget 2011 par le Parlement Ce vote entérinera une première baisse de 6 milliards d’euros des dépenses publiques pour « rassurer les marchés financiers » et pour percevoir les premières tranches du « plan d’aide » de l’Union européenne et du FMI.

Les dettes publiques : un levier pour en finir avec les acquis sociaux

Les dirigeants néolibéraux de l’Union européenne ont décidé d’utiliser la dette publique comme un levier pour en finir avec les acquis sociaux des peuples européens. Ils appellent ça « la pédagogie de la dette ».

C’est ce qu’ils ont fait en Grèce où l’Union Européenne et le FMI ont mis un « plan d’aide à la Grèce » qui soutient la Grèce comme la corde soutient le pendu. Un « plan d’aide » qui s’attaque aux acquis sociaux des salariés grecs et livre les services publics aux multinationales.

La volonté de faire « payer les Grecs » s’appuyait sur une image généreusement dispensée par les médias européens : des Grecs fraudeurs qui ont trompé l’Union européenne sur la réalité de leurs déficits. Comme si le peuple grec était responsable des tripatouillages du gouvernement conservateur de Caramanlis !

Mais avec l’Irlande, il va être beaucoup plus difficile de faire avaler la pilule tant le cynisme des banquiers, des dirigeants irlandais et européens s’étale au grand jour.

Le prêt de l’Union européenne et du FMI a pour seule et unique fonction de financer les banques irlandaises mais c’est le peuple irlandais qui devra rembourser et subira le plan d’austérité !

L’Irlande était « la meilleure élève » de la Commission européenne

Jusqu’à la crise de 2008-2009, l’Irlande était considérée comme la meilleure élève de la Commission européenne. Le marché du travail avait été libéralisé et le chômage avait diminué de 17 % en 1982 à 4,5 % en 2006. Le taux de l’impôt sur le revenu avait été ramené de 37 % à 20 %, le taux de l’impôt sur les sociétés était passé de 50 % à 12,5 %.

Grâce à ce dumping social, des milliers d’entreprises se créaient ou s’installaient. L’industrie financière (fonds commun de placement en particulier) se développait rapidement et servait de locomotive à l’ensemble de l’économie.

Les prix de l’immobilier augmentaient de 450 % dans la décennie qui a précédé la crise. Le gonflement de la bulle immobilière avait pour acteur majeur les banques irlandaises qui accordaient sans difficultés des prêts importants.

Entre 1995 et 2000, la croissance moyenne du PIB a atteint 10 % par an et, en 2007, le déficit public était nul.

La Commission européenne triomphait et donnait l’Irlande en exemple à l’ensemble de l’Europe. Comme si le dumping social et fiscal d’un petit pays de 4,4 millions d’habitants était généralisable à l’Union européenne et à ses 495 millions d’habitants.

Chaque médaille, surtout néolibérale, a son revers : la crise financière a frappé de plein fouet l’Irlande qui a subi une récession d’une ampleur considérable. Son PIB a chuté de 3 % en 2008 et de nouveau de 9 % en 2009.

La gigantesque bulle financière a explosé et les banques se sont retrouvées avec des garanties hypothécaires dont la valeur avait diminué de 40 ou 50 %, alors que nombre d’Irlandais ne pouvaient plus rembourser leurs prêts. Aujourd’hui, l’immobilier continue de baisser. Les prêts des banques valent chaque jour un peu moins et les pertes continuent à se creuser.

Un déficit public irlandais égal à 32 % du PIB en 2010 !

Nous voilà bien loin du chiffre totalement arbitraire de 3 % maximum de déficit public édicté par le traité d’Amsterdam de 1997 et repris par le traité de Lisbonne de 2008.

D’où provient ce déficit colossal ? Le déficit était nul en 2007. En 2008 il atteignait - 7,3 % du PIB et - 14,4 % en 209. En 2010, il culmine à - 32 %.

Ces déficits cumulés représentent 53,4 % du PIB soit une somme de l’ordre de 90 milliards d’euros. Cela signifie que l’essentiel de ces déficits est allé au financement des banques. En trois ans, en effet, l’Etat irlandais a injecté 77 milliards d’euros pour remettre à flot ce secteur : 46 milliards de fonds propres et 31 milliards d’euros pour le rachat d’actifs risqués. Mais personne ne sait quel sera le coût définitif du sauvetage des banques tant leurs bilans recèlent « d’actifs pourris », de créances irrécouvrables. Avant même que la première tranche de l’aide de l’UE et du FMI ne soit débloquée, l’État irlandais devra encore verser quelques milliards aux banques pour parer au plus pressé et leur éviter la faillite.

Pour résumer la situation : les banques ont spéculé sans aucune retenue et gonflé pendant des années une bulle immobilière qui a fini par leur éclater au nez. Pour éviter leur faillite, l’État irlandais a déboursé (et ce n’est pas fini) 76 milliards d’euros. Menacé lui-même de faire défaut, c’est-à-dire de ne plus pouvoir rembourser les échéances de sa dette publique, cet État emprunte 85 milliards d’euros à l’Union européenne et au FMI. L’équivalent donc des sommes qu’il a déboursées pour sauver les banques irlandaises. Mais c’est maintenant au peuple irlandais que l’on demande de payer l’addition.

Il faut ajouter aux énormes pertes déjà enregistrées par les banques, une perte d’une autre nature qui pourrait s’avérer encore plus dangereuse : la perte de confiance des déposants. Ainsi l’Allied Irish Bank vient de reconnaître qu’elle a subi 13 milliards d’euros de retraits depuis le début de l’année. Si cette perte de confiance s’aggravait, le secteur bancaire irlandais s’effondrerait comme un château de carte et risquerait d’entraîner avec lui le secteur bancaire européen. La totalité des engagements des banques irlandaises représente, en effet, 1 342 milliard d’euros, plus de huit fois le PIB de l’Irlande. La garantie de l’État irlandais ne pèserait pas alors bien lourd.

Le plan d’ « aide » de l’UE et du FMI à l’Irlande

Des prêts d’un montant global de 80 à 90 milliards d’euros devraient être accordés par le Fonds européen de stabilité financière (créé en mai 2010 lors de la crise de la dette publique grecque) et par le FMI. La Suède et le Royaume Uni qui ne sont pas dans la zone euro accorderont des prêts complémentaires. Le Royaume Uni a déclaré accorder ce prêt à « un ami dans le besoin ». Une amitié qui n’a, bien sûr, rien à voir avec l’engagement des banques britanniques en Irlande.

Le prêt accordé à la Grèce était du même ordre de grandeur : 110 milliards d’euros. Sa réalisation sera, comme pour la Grèce, échelonnée sur 3 ans et les tranches ne seront débloquées que si l’Irlande applique le plan d’austérité dont les modalités viennent d’être fixées par l’accord conclu entre le gouvernement irlandais, l’Union européenne et le FMI. Aux termes de cet accord, l’Irlande devra réduire de 24 750 le nombre de ses fonctionnaires (l’équivalent de 350 000 en France) ainsi que leurs salaires. Le salaire minimum irlandais devra lui aussi baisser. Et pas qu’un peu, puisqu’il passera de 8,65 euros de l’heure à 7,65 soit une baisse de plus de 11 %. Des coupes claires devront être réalisées dans les dépenses publiques de santé, les allocations chômage, les allocations familiales pour atteindre 2,8 milliards d’euros en 2014 (l’équivalent de 34 milliards d’euros en France). Le taux de la TVA (l’impôt le plus injuste) augmentera de 21 à 23 %. Une taxe foncière sera instaurée et la moitié de la population active (la moins aisée) qui ne payait pas d’impôt sur le revenu sera imposée. Par contre, le taux dérisoire (12,5 %) de l’impôt sur les sociétés, ne sera pas revu à la hausse.

Les plans d’aide : un nouveau plan de sauvetage des banques européennes

L’objectif premier du « plan d’aide » à l’Irlande est de garantir les créances des banques des principaux pays européens en Irlande mais aussi en Grèce, au Portugal, en Espagne et dans une moindre mesure en Italie.

Venant après la dette publique grecque, la crise du secteur bancaire irlandais a, en effet, aiguisé la méfiance des spéculateurs envers les pays européens dont les dettes publiques sont les plus importantes : le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Cette méfiance a pris la forme d’une hausse des taux auxquels ses pays doivent se refinancer pour pouvoir payer les échéances de leurs dettes publiques.

Les banques françaises sont les plus importantes créancières de ces cinq pays dans le collimateur des spéculateurs (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne, Italie) avec un total de 674 milliards de prêts (34 % du PIB français !), dont 379 milliards à la seule Italie.

Les prêts de l’Allemagne à ces cinq pays s’élèvent à 521 milliards d’euros et ceux du Royaume-Uni à 309 milliards.

Si l’on ajoute à cela que la Grèce doit 10 milliards aux banques portugaises qui, elles-mêmes, doivent 86 milliards aux banques espagnoles, on comprend mieux que les soi-disant « plans d’aide » à la Grèce ou à l’Irlande, constituent en réalité de nouveaux plan de sauvetage des banques, venant après ceux mis en place en 2008-2009.

Pourquoi les banques irlandaises ne sont-elles pas nationalisées sans espoir de retour et non pas, comme en ont l’habitude les néolibéraux, dans le but de nationaliser les pertes et de privatiser les bénéfices dès que les banques redeviendront rentables(1) ? Pourquoi ceux qui se sont considérablement enrichis pendant les cinq années qui ont précédées la crise ne sont-ils pas mis à contribution ? Pourquoi l’Union européenne et le FMI s’obstinent-ils à imposer à l’Irlande une politique identique à celle qui l’a amenée dans une telle impasse ?

Tuer la poule aux œufs d’or

Selon les ministres des Finances de l’Union européenne, le plan d’austérité irlandais permettra de « retrouver une croissance économique robuste ».

Ce diagnostic est du même tonneau que les fameuses saignées ordonnées par les médecins de Molière. L’Irlande va subir son troisième budget de rigueur en 2 ans. Les salaires des fonctionnaires ont déjà été réduits de 15 %, les allocations familiales et de chômage des jeunes ont fortement baissé. En quoi une saignée encore plus forte que les deux précédentes permettrait-elle à l’Irlande de « retrouver une croissance robuste » alors que, malgré ou plutôt en partie à cause de ces saignées, l’Irlande vient de connaître 12 trimestres consécutifs de baisse de son PIB. ?

L’Irlande saignée à blanc ne pourra pas, en réalité, rembourser ses créanciers et ces derniers perdront leurs créances. Mais les créanciers s’en moquent comme de leur première chemise car ils estiment que ce risque n’est que pour demain et c’est aujourd’hui qu’ils veulent les œufs d’or, même si pour y parvenir il faut tuer la poule.

Il serait vain d’attendre de spéculateurs qu’ils aient un autre raisonnement que celui de « tout et tout de suite ». Mais pourquoi l’Union européenne leur a-t-elle concédé un pouvoir aussi exorbitant sur les finances et la monnaie européenne ? Pourquoi leur a-t-elle confié les clés de la maison ?

Jean-Jacques Chavigné

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(1): Curieusement Le Monde.fr du 24/11 titre « Les banques irlandaises en voie de privatisation » alors que le corps de l’article annonce une nationalisation à presque 100 % du secteur bancaire. Déformation professionnelle ou anticipation ?  (retour)

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