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Le peuple de Paris en action

Depuis le 5 octobre dernier et jusqu’au 26 février prochain, le musée Carnavalet de Paris propose une riche exposition intitulée « le peuple de Paris au XIXe siècle ». Il n’est pas si courant de mettre à l’honneur le peuple dans ses différentes composantes et dimensions, cette initiative doit donc être saluée pour son effort tendant à sortir les diverses formes populaires de leurs représentations et clichés habituels.

Quel peuple ?

La première difficulté est de définir cet objet insaisissable que constitue le peuple. Il peut paraître, à première vue, assez simple de désigner ceux qui n’ont font pas partie (les patrons, les bourgeois issus des professions libérales comme les avocats, les médecins ou les notaires) mais, en revanche, il est beaucoup moins évident de dire avec certitude quelles sont les catégories sociales que l’on peut classer sous l’appellation de peuple. L’exposition fait le choix d’une définition assez large, en prenant comme référence le livre publié en 1846 par le grand historien républicain du XIXe siècle, Jules Michelet. Celui-ci inclut dans le peuple les ouvriers, les paysans mais aussi les petits artisans, boutiquiers et commerçants. En tant que marxistes, nous avons aussi cette difficulté à pleinement cerner ces classes populaires que nous voulons prioritairement défendre et représenter. Le concept de classe ouvrière semble aujourd’hui trop réducteur et nous avons désormais pris l’habitude d’employer le terme de salariat qui, au XIXe siècle, ne pouvait cependant pas signifier grand-chose. En sortant de l’exposition, il est toujours aussi difficile de définir précisément ce peuple parisien mais là n’est pas l’essentiel.

Le travail, la vie… et la misère

Cette plongée dans l’univers parisien des années 1815-1914 permet surtout de voir à l’œuvre un peuple dans sa vie quotidienne, et de mieux appréhender les transformations sociales et urbaines engendrées par la révolution industrielle. Ces couches populaires se concentrent surtout dans l’Est de Paris, sur la rive droite, loin des villas cossues et des arrondissements bourgeois de l’ouest. La diversité des petits métiers pénibles et mal payés (porteurs d’eau, couturières, lingères, chiffonniers…), les loisirs, les coutumes vestimentaires et la culture de ce petit peuple parisien sont passés en revue avec une grande richesse de photographies, de textes, de bandes sonores, de gravures, de tableaux, d’objets divers du quotidien.

Loin de tout misérabilisme moraliste, c’est la diversité sociale d’un Paris populaire, aujourd’hui englouti, qui se donne à voir. De l’atelier à l’usine, de la corporation artisanale à la construction d’une conscience de classe liée à des modes de vie et d’exploitation proches, le visiteur se laisse guider d’un panneau à l’autre. On y découvre aussi le problème récurrent des logements ouvriers rares, chers et de mauvaise qualité et la question non moins brûlante de la santé publique dans ces années où la Sécurité sociale n’est encore qu’une conquête lointaine. L’abandon d’enfant, la mendicité, la prostitution et les terribles conséquences de la misère sont montrés dans toute leur dureté mais sans jamais tomber dans un cliché réducteur à la Zola. De même, la densification de la ville et l’installation massive de provinciaux, fuyant les campagnes et leur misère, apporte un regard intéressant sur la figure de ce petit peuple au sein duquel les identités plurielles cohabitent, se mêlent et se transcendent dans un creuset commun.

Révoltes et Révolutions

La pauvreté du peuple est l’un des fils conducteurs de l’exposition mais elle n’oublie pas non plus la gouaille, la fraternité et la solidarité qui sont constitutives de cette identité populaire. Solidarité dans les révolutions de 1830 et 1848, dans les soulèvements récurrents contre la monarchie de Juillet (1831, 1834, 1839), sur les barricades et dans la défaite de juin 1848 et mai 1871. Le peuple parisien des Faubourgs, terreur des possédants et fidèle à l’héritage de 1789 et 1793, est un acteur politique et social incontournable du XIXe siècle. La bourgeoisie, accrochée à son pouvoir et à ses privilèges, ne cesse de dénoncer en lui la canaille sauvage, mal éduquée, alcoolique et porteuse d’idées subversives et dangereuses pour l’ordre et la morale. Le regard que les dominants porte sur la pauvreté est l’un des points forts de ce parcours dans le passé. La barricade, le club politique et l’insurrection sont les armes privilégiées du peuple travailleur qui cherche à tâtons les voies de son émancipation et de sa libération sociale.

Dans le Paris actuel, largement embourgeoisé, boboïsé et muséifié, où les classes populaires ont été chassées vers les banlieues par des loyers exorbitants, l’exposition rappelle opportunément que cette ville fut celle des révolutions et des soulèvements ; celle des titis à casquette et des ouvrières en jupons qui, loin de tout folklore, ont fait la grandeur et l‘âme de la capitale. Aujourd’hui, on retrouve encore cette composante populaire dans certains arrondissements du nord et de l’est mais c’est en franchissant le périphérique que l’on rencontre le plus ce peuple, ses difficultés et ses contradictions et que l’on retrouve l’immense actualité d’une question sociale toujours à résoudre.

Cette exposition sonne aussi comme un rappel pour nos combats du XIXe siècle. A l’heure où l’austérité s’impose et où le libéralisme triomphe, écrasant toujours plus les peuples sous la botte de fer de la finance, se replonger dans le quotidien de ces couches populaires du XIXe permet de donner un sens à notre lutte pour une autre société. Se battre pour une République sociale, laïque et démocratique, c’est à la fois rester fidèle aux classes populaires d’hier, défendre celles d’aujourd’hui tout en tournant déjà notre regard vers une société qui mettrait à l’ordre du jour l’abolition totale de ces mêmes classes. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, précipitez-vous au musée Carnavalet !

Julien Guérin

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