Le paquet de Pépito
De partout, de toute la France arrivent des messages de soutien
contre la mise en examen de Gérard Filoche (34 595 signatures en
ligne, pas loin de 5000 signatures sur listes de papier, 1360 messages
de soutien sur le site www.solidarite-filoche.net, 800 lettres passionnantes
par la Poste). Merci à tous ceux qui écrivent, contribuent. Cela fait
chaud au cœur et participera comme nous l’espérons tous, à l’issue finale
positive de cette scandaleuse affaire. Merci, mille fois merci. Continuez !
Un échantillon : nous avons reçu ce petit texte assez particulier :
C’est un de ces soirs glacés de décembre, le gros sapin de la place Brévière
m’enguirlande : qu’est-ce que je fous encore dehors, c’est qu’il me manque un
petit pot de crème. Messieurs Dames, et que, dans le pays de Bray, un vendredi
soir, à 20 h 15, il n’y a qu’une solution : ma petite superette qui remplace
l’épicerie, au beau milieu de Forges-les-eaux… C’est la seule porte qu’on peut
encore pousser, et qui s’ouvrira devant vous. Endroit neutre, clair, et où vous
payez le prix fort, l’horaire extravagant!
Je n’ai aucune envie de m’attarder, j’expédie les courses, me voici devant la
caisse… et devant elle. Elle est si petite, elle doit m’arriver à l’épaule.
D’origine, comme on dit, d’origine étrangère… des yeux de belette, qui regardent
ses trois enfants venir déposer, juste devant moi, les courses sur le comptoir.
Trois enfants, une grande, onze ans, dirais-je, et deux petits. Surexcités les
petits. Comme tous les enfants qui se sont un peu trop longtemps retenus de
vivre en attendant leur mère. Gardés chez une voisine ? sûrement chez une voisine
: aucune garderie ne fonctionne au-delà de 19 h, ou bien est-ce la grande
qui les a gardés ? Toujours est-il que ces deux petits-là s’autoriseraient bien,
maintenant que Maman est là, de parler fort, de chahuter, voire de courir. Mais
ils sont repris, d’une voix sans réplique, pendant que la grande, sage comme
une image, se tient droite, le long de sa mère… Comme le visage de cette
femme est attentif. Comme son regard est précis.
Elle interpelle à voix basse l’épicier, qui comprend immédiatement : c’est elle
qui dirigera le compte. D’abord le pain, dit-elle. Trois pains étagés comme les
enfants : une grosse baguette, et deux petites. Et puis le pack de lait et une bouteille
d’huile. L’épicier se décale un peu, qu’elle puisse suivre le décompte, sur
la machine. Ils vont vite, elle et lui. Sont discrets et efficaces. S’entendent à
demi-mot. L’épicier fait passer la pizza surgelée, et puis le gros paquet de
chips… la mère ne quitte pas le compte des yeux… Il ne reste plus grand chose
sur le tapis : le filet de deux kilos de pomme golden en promo, et un lot de deux
paquets de biscuits Pépito… La grande se rapproche un peu, voici les trois
enfants tout aussi attentifs que la mère. Le filet de pommes passe : 19 euros
quatre-vingt-dix, annonce l’homme, un peu solennel. « Va rapporter les
Pépito» commande la mère à la grande, en accentuant encore un peu la sécheresse
de sa voix.
Les petits, sans rien réclamer, filent avec la grande remettre les biscuits en
rayon. La mère les reprend encore, d’une voix excessivement, forcée : « Et
plus vite que ça ! ».
Elle a fouillé dans son porte-monnaie, sorti le billet de 20 euros, l’a tendu, en
le dépliant soigneusement, à l’épicier. Son regard croise le mien. Bon sang, ne
rien laisser paraître de la compassion qui me submerge. Trouver le bon sourire,
vite, mi-encourageant, mi-complice. Faire un petit signe de tête…
Heureusement, j’ai été pauvre, je sais ! Elle me sourit en retour, se redresse.
Rassemble d’une voix adoucie ses enfants, et sort du magasin, exactement
comme une petite poule d’eau traverse une rivière, avec sa flottille derrière
elle…
Résister à l’envie de courir donner à la grande les Pépito. Résister à la culpabilité
en posant à mon tour, près de la caisse, mon petit pot de crème super fine,
la confiserie superflue, attendus par le garçon comme une chose naturelle, et la
grosse grappe de raison muscat : le fruit le plus cher de l’étal, mais qui m’a
paru beau. Penser au code du travail et à Gérard Filoche. Aux femmes dites de
ménage, qui travaillent précisément au moment où leurs enfants ont le plus
besoin d’elles. De six à huit. Qui rentrent trop tard pour vraiment cuisiner. Se
souvenir du sort des grandes, dévouées aux petits, il le faut bien. Savoir qu’il
y a toujours, toujours, plus malheureux que soi.
Marie Benoit 76