GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

Le mouvement social du printemps 2003 et ses suites

Les vacances scolaires arrivent, les lycées y sont déjà (en dehors du bac), la mobilisation dans l'Education nationale ne disposera donc pas des mêmes moyens alors qu'elle est la locomotive du mouvement social qui s'est levé pour le retrait des réformes Fillon et Ferry et pour l'abrogation des décrets Balladur.

En l'absence de grève qui paralyse tout le pays et fasse exploser la crise qui traverse le gouvernement, la droite va adopter, dès cette session le projet Fillon de réforme des retraites et, en septembre, va tenter d'adopter le projet Ferry, à peine allégé mais toujours aussi dangereux. L'affrontement central entre le mouvement social et la droite, que Madelin appelait de ses vœux pour le gagner, comme Thatcher face aux mineurs en 1986, est encore reporté.

Le point acquis par la droite ne l'est pas définitivement.

Parce qu'elle dispose de la majorité à l'Assemblée nationale, la droite a les moyens d'adopter le projet Fillon. En choisissant de l'adopter, elle agit différemment de ce qu'elle avait fait en 1998 où la mobilisation de la jeunesse l'avait amené à retirer le projet Devaquet.

Différemment de ce qu'elle avait fait en 1993 où une nouvelle mobilisation de la jeunesse avait entraîné le retrait de son projet de Smic-jeune (CIP). Différemment de ce qu'elle avait fait en janvier 1994 où la mobilisation d'un million de manifestants à Paris l'avait conduite à ne pas maintenir le projet Bayrou. Différemment de ce qu'elle avait fait en décembre 1995 où la mobilisation de centaines de milliers de salariés du public et du privé l'avait amené à céder et à retirer le projet Juppé.

En agissant ainsi, en allant jusqu'au bout de sa démarche, la droite marque apparemment un point. Mais ce point n'est pas décisif. Raffarin avait annoncé que la réforme des retraites serait « la mère des réformes ». Il semble beaucoup plus prudent aujourd'hui. Contrairement à Thatcher après la grève des mineurs au début des années 1980, il se garde bien de faire le premier pas vers une limitation du droit de grève en imposant un « service minimum » à la SNCF ou à la RATP. Certes, le Premier ministre n'a pas pu résister à la tentation de jouer les matamores devant l'assemblée de la CGPME et de réaffirmer l'objectif de ce service minimum. Mais aussitôt, plusieurs ministres se sont empressés de désamorcer lune bombe aussi dangereuse avec le niveau de combativité et de conscience atteint par le mouvement social. Mieux, Gallois est monté au créneau pour affirmer qu'il s'agissait d'abord d'une affaire interne à la SNCF. Il a aussitôt obtenu l'approbation publique de Robien. Quant à la réforme de l'assurance-maladie qui devait être votée à l'automne 2003, le gouvernement unanime explique maintenant qu'il faudra prendre son temps et sans doute étaler cette réforme sur quatre ans.

La réforme des retraites ne fera vraiment sentir ses effets qu'à partir de 2008. D'ici là, elle ne sera, en grande partie, que virtuelle et pourra être mise à mal par la mobilisation sociale et un changement de majorité parlementaire.

Le mouvement social a permis une politisation de masse.

La droite n'a pas accru le rapport de forces dont elle disposait, elle l'a laissé se réduire au rapport de forces institutionnel. Elle a perdu la bataille de l'opinion et le mouvement social de masse s'est politisé. Ce qui est une grave menace pour tout projet de droite.

Il s'est politisé non parce qu'il a fait éclater une crise politique aiguë comme l'aurait fait une grève générale. Mais parce qu'il a duré suffisamment pour faire la jonction entre le combat contre la décentralisation et le combat pour les retraites, et devenir un combat unifié pour les services publics.

Services publics soumis à la loi du suffrage universel ou, sinon, privatisation des biens publics soumis à la loi du marché, tel est l'enjeu de civilisation qui a été compris à une échelle de masse.

C'est une politisation en profondeur qui s'est opérée, en raison du caractère unitaire, massif et durable de la mobilisation.

Que l'on prenne la grève générale de Juin 36, les mobilisations de la Libération, la grève générale de Mai 68 ou la grève du secteur public de Novembre-Décembre 95, aucune n'égale Mars-Juin 2003 dans la massivité de la mobilisation et dans sa durée. Des records numériques pour les manifestations : plus d'un million à Paris le 25 mai, plusieurs fois 200 000 à 300 000 à Marseille et Paris, de 100 000 à 150 000 à Toulouse, durant 3 mois.

Une conscience politique de gauche, indépendante des appareils a commencé à s'homogénéiser.

Le mouvement s'est organisé localement et centralement autour d'intersyndicales de l'Education nationale et d'intersyndicales interprofessionnelles avec, plusieurs fois par semaine, des assemblées générales locales ou départementales, de l'Education nationale ou interprofessionnelles, centralisant les informations sectorielles, préparant les manifestations et initiatives. Une mobilisation fécondée par le mouvement alter-mondialiste et par les analyses critiques du néo-libéralisme qui ont très vite été adoptées.

La politisation du mouvement, où les représentants connus du social-libéralisme sont méprisés ou moqués, n'est pas le résultat d'une intervention des partis de la gauche : PS, Verts, MRC et même PCF et LCR affirment très peu leur présence et ne pèsent pas sur le contenu des analyses qui circulent. Lorsqu'ils apparaissent, ils sont accueillis parfois avec indifférence, parfois avec agressivité et souvent avec défiance mais intérêt : ils sont attendus sur le contenu. La référence à Attac est très présente, plus par réputation que par connaissance, bien souvent, mais l'information qu'elle diffuse s'arrache.

Dans l'action se lève le besoin de débattre.

En l'absence de grève généralisée à tous les secteurs du public et du privé, cette politisation ne débouche pas toujours sur l'organisation de commissions de travail et de forums de débats.

Toutefois, en Haute-Garonne par exemple, c'est dans un cadre interprofessionnel que, dans de nombreuses communes, des débats AGCS/retraites/décentralisation sont organisés. À Toulouse, une réunion animée par l'ancienne présidente d'Attac 31 réunit 700 personnes. Dans la banlieue sud (Cugnaux / Villeneuve / Frouzins), un collectif pour l'égalité, les services publics et les retraites solidaires se met en place dès le 12 Avril à l'issue d'un débat public de 120 personnes. Il a organisé une réunion AGCS / retraites avec 250 participants et organise le jeudi 26 juin un débat où il invite tous les dirigeants syndicaux, tous les parlementaires pour discuter des perspectives.

La direction de la mobilisation est restée confiée aux intersyndicales, sans direction de grève élue. Dans certains départements (31,34,...) des comités de grève élus en assemblée générale centrale sont mis en place, mais pas de comité de grève, élu par les assemblées générales de secteurs.

Le débouché sur une grève générale doit se construire et ne peut pas être décrété.

Dès le 3 avril qui lança le mouvement sur la retraite dans tout le secteur public, la compréhension qu'une grève générale public-privé est nécessaire pour faire reculer le gouvernement, est la mieux partagée dans les assemblées générales unitaires interprofessionnelles.

Il incombait donc à l'intersyndicale interprofessionnelle nationale, CGT, FO, UNSA et FSU de saisir les moments favorables pour appeler tous les salariés à reconduire la grève, partout où c'était possible, le lendemain et les jours qui suivaient une journée importante de mobilisation.

L'espoir existait que les directions nationales se saisissent, pour ce but, du 25 mai ou du 3 juin. C'est ce qu'a fait l'intersyndicale nationale de l'Education nationale en appelant à des assemblées générales dans les établissements et à la reconduction de la grève partout où c'était possible.

Il faut noter que l'organisation d'une telle manifestation nationale était un signe d'un haut niveau d'affrontement entre les salariés et le gouvernement Chirac-Raffarin-Fillon-Ferry.

Soyons attentifs à la réalité du mouvement.

Après cette manifestation centrale, on pouvait effectivement espérer une mobilisation de plus grande ampleur, s'étendant à tous les secteurs du public et du privé. Pourtant seul le secteur enseignant était en « grève reconductible » : une succession de journées de grèves, gérées avec intelligence pour ne pas épuiser le mouvement, pour que celui-ci puisse entraîner les autres secteurs qui n'étaient pas à ce niveau de mobilisation. Le secteur enseignant se battait contre les mesures Ferry et le projet Fillon. L'attaque frontale contre l'éducation nationale a donc eu le même effet qu'en 1995 quand Juppé attaquait aussi les régimes spéciaux des salariés de la SNCF et de l'EDF-GDF. En 1995, tous se battaient contre le plan Juppé, mais les secteurs les plus en pointe étaient bien ceux qui faisaient face à une double attaque.

Il ne faut pas sous-estimer le poids de la division organisée par la direction de la CFDT, celle de la CGC et l'absence de la CFTC. Il ne faut pas oublier le pragmatisme des salariés qui veulent des garanties quand ils s'engagent dans une grève reconductible, d'autant que l'unité syndicale n'était pas totale. En outre, dans le secteur privé, où les salariés attendront 2008 pour être touchés, l'attaque ne paraît pas autant frontale.

Nous espérions que les transports SNCF, RATP et les routiers, l'énergie, l'EDF-GDF et de nombreuses entreprises de plus de 1000 salariés ouvriraient une brèche et que la grève se généraliserait à tout le pays. En 2003, quelques secteurs (SNCF, EDF-GDF, Impôts, des hôpitaux et quelques entreprises du privé...) ont adopté la grève reconductible, mais faute de généralisation suffisante, tout le monde s'est replié sur les journées d'actions.

Il fallait un appel central de l'intersyndicale interprofessionnelle.

Un appel solennel unitaire des premiers dirigeants confédéraux et nationaux Thibault, Blondel, Aschieri et Olive, à faire une journée nationale de grève générale le 3 juin, à organiser, le lendemain, dans chaque entreprise des assemblées intersyndicales pour faire le bilan de l'action et proposer la reconduction du mouvement aurait pu changer le cours du mouvement.

Toutes les équipes syndicales auraient été mobilisées, ce qui n'a pas été le cas, même dans le cadre de la préparation des temps forts. Évidemment, on ne peut pas être assuré que cela aurait abouti à une grève générale car les obstacles soulignés plus haut étaient à surmonter.

Un tel appel aurait cependant été une aide pour surmonter les hésitations de beaucoup de salariés du privé qui pouvaient penser être relativement protégés de l'augmentation du nombre d'annuités jusqu'en 2011. En effet, la jonction public-privé était essentielle. De même que la jonction Education nationale / Fonction publique repose sur la revendication de retrait du plan Fillon qui touche ces deux secteurs, de même la jonction secteur public / secteur privé reposait sur la revendication d'abrogation du décret Balladur de 93. Or si les revendications les plus populaires et les plus présentes sur les pancartes étaient le retour aux 37,5 annuités et aux 10 meilleures années, elles n'étaient pas en tête des déclarations de l'intersyndicale interprofessionnelle nationale qui mettait en avant « pour une autre réforme des retraites ».

La consultation organisée par les syndicats CGT, FO, FSU et UNSA doit être « le » référendum des salariés.

Même si le texte de la consultation n'exprime pas précisément le retrait des projets Fillon et Ferry et l'abrogation des décrets Balladur ou ne propose pas le financement des retraites par l'augmentation annuelle de 0,3 point des cotisations patronales, la démarche intersyndicale s'inscrit dans la bataille pour confirmer que l'opinion est massivement contre la politique du gouvernement et du MEDEF. À l'issue de la consultation qui devrait durer plusieurs semaines, les directions syndicales devraient proposer que des délégations de chaque localité, de chaque département participent à une manifestation nationale pour signifier aux députés, aux sénateurs et au gouvernement qu'ils doivent respecter la démocratie. Les néo-libéraux se rendront compte que le mouvement n'est pas terminé, que la question des retraites ne quittera pas le devant de la scène sociale. D'autant que viennent de s'ouvrir les négociations sur les retraites complémentaires du privé et leur fond de financement avec pour échéance le 31 décembre 2003.

Cette politisation va peser sur la gauche et les partis.

Elle pèsera sur la situation sociale et politique des mois et années à venir. Victorieuse en apparence et provisoirement, mais tentant de jouer sur la durée et l'usure, la droite a, au contraire, permis à deux mouvements (contre Fillon et contre Ferry) de se joindre. Elle a laissé monter, à gauche, une exigence politique qui trouvera une réponse seulement dans la construction d'une union de la gauche autour d'un programme commun de gouvernement.

Les déclarations de Rocard, Delors, Charasse, Kouchner ont été désastreuses. François Hollande aurait dû les condamner fermement comme l'a fait l'aile gauche du PS. L'obstination de la majorité de la direction du PS à refuser de se prononcer pour l'abrogation des décrets Balladur et pour l'augmentation annuelle des cotisations patronales de 0,3 point, a montré qu'elle n'avait pas de programme véritablement alternatif. Rocard était bien celui qui disait tout haut ce que les sociaux-libéraux de la direction, notamment L. Fabius et D. Strauss-Kahn, n'osaient formuler.

La bataille pour ancrer le PS à gauche continue. Elle passe par la constitution d'une aile gauche unifiée (NM, NPS, etc.) capable d'être une alternative à la majorité actuelle.

C'est sur la base d'un programme permettant d'unifier toute la gauche, répondant aux exigences sociales que cette aile gauche doit convaincre à l'intérieur du PS et accueillir des milliers de nouveaux militants issus des mouvements sociaux. C'est la politisation créée par ce mouvement que permettra de changer le PS et la gauche.

Le mouvement continue. Cette première phase constitue un acquis.

C'est une répétition générale avant les nouvelles attaques de l'automne.

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