GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Le massacre des communistes indonésiens (2)

Nous publions dans cette lettre de D&S le deuxième article de notre camarade Jean-François Claudon consacré au massacre des communistes indonésiens de 1965 considéré – de l'aveu même de la CIA – comme « le plus grand massacre du XXe siècle ». Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme de septembre 2015. La troisième partie sera au sommaire de la lettre de la semaine prochaine.

Malgré l'écrasement du soulèvement de Madiun en 1948, le Parti communiste se reconstruit et profite largement, à partir de 1959, de la mise en place par Sokarno d'une « Démocratie dirigée » censée mettre fin à l'instabilité politique chronique depuis l'indépendance de 1949. La progression du PKI est spectaculaire. Ses organisations de masse enrôlaient en 1965 peut-être un cinquième de la population. Que ces chiffres, probablement gonflés à des fins toute staliniennes de propagande, soient à manier avec prudence n'empêche pas d'énoncer ce fait avéré : au début des années 1960, le PKI était une force politique incontournable, qui avait par ailleurs le vent en poupe. Pour son plus grand malheur, comme on va le voir.

Le PKI au coeur de la « Démocratie dirigée »

Malgré la domestication du parlement, le rapprochement de Sokarno avec le PKI est patent dès 1959. Le 17 août, dans un discours-manifeste, le Bonaparte de gauche indonésien, dénonçant « l'exploitation de l'homme par l'homme », annonce la mise en place d'une économie planifiée. En 1961, il prône une nouvelle idéologie officielle : le Nasakom, alliance du nationalisme, de la religion et du communisme. Les dirigeants du PKI exultent. Ils ont enfin obtenu une place au centre de l'échiquier politique indonésien.

Fondamentalement, l'idylle entre Sokarno et le PKI a deux sources : en politique intérieure, la volonté toute bonapartiste du président de contre-balancer l'influence de l'armée et des islamistes (39 % aux dernières élections de 1955) et, en politique extérieure, le rapprochement objectif entre l'Indonésie et le camp communiste. Le pays, alors en guerre avec la Malaisie appuyée sur l'Angleterre, réussissait le tour de force d'obtenir simultanément l'aide de la Chine et de l'URSS, dont la brouille était pourtant à son acmé. Début 1965, l'Indonésie quitte d'ailleurs l'ONU dont la majorité soutient son ennemi malais. Pour les États-Unis, plus de doute : le socialisant Sokarno est sur le point de faire basculer son pays dans le camp de l'Est.

Leur influence grandissante sur le Président indonésien n'est pas sans inconvénient pour les communistes. Sur le plan institutionnel, ils s'efforcent de placer leurs militants aux postes-clés, la présence de trois camarades dans un cabinet pléthorique de 80 ministres étant en la matière la partie visible de l'iceberg. Dans le mouvement social, ils tâchent en revanche de multiplier les occupations de terres appartenant aux gros propriétaires et aux temples. Selon certains spécialistes, le PKI a accompli une faute stratégique majeure en prétendant « à la fois lancer des actions […] de forme révolutionnaire et intensifier sa lente infiltration au sommet de l’État »(1).

Qui veut la peau du PKI ?

Ce qui apparaissait comme une colonisation de la « Démocratie dirigée » par les communistes n'était évidemment pas du goût de tout le monde en Indonésie. Les islamistes traditionalistes regroupés dans le NU ne cessaient depuis des années de vitupérer les « athées » qui proclamaient sans vergogne l'égalité entre les sexes. Même dans le parti de Sokarno (le PNI), une aile droite en cours de cristallisation est viscéralement hostile au rapprochement avec le PKI. Enfin, l'influence croissante des rouges dans l'aviation et chez les officiers offusquent les dirigeants de l'armée de terre. Les généraux Yani et Nasution combattent de toutes leurs forces la création, sur proposition du PKI, d'une milice ouvrière et paysanne censée lutter contre l'ennemi malais. Pour les chefs galonnés, il est décidément temps de sortir l'artillerie lourde.

Les États-Unis font également figure d'ennemi irréconciliable de la subversion en Indonésie. L'armée, considérée comme le seul rempart de l'ordre reçoit d'eux 65 millions de dollars entre 1959 et 1965. Les États-Unis contribuent par ailleurs à former les officiers indonésiens à la lutte anti-guérilla dans l’École des officiers de l’armée indonésienne. Les services secrets US auraient enfin remis aux chefs de l'armée une liste de 5000 cadres du PKI, facilitant aux futurs bourreaux leur traque macabre(2).

Tout s’accélère à l'été 1965. L'inflation prend des dimensions inouïes, le commerce indonésien interdit d'accès à Singapour s'effondre et les aides anglo-américaines se tarissent. Le 17 août, Sokarno, plus socialisant que jamais, menace les généraux qui viendraient à s'opposer à la « révolution populaire ». Déjà le 4, un malaise du Président avait attisé les rumeurs d'une prise de pouvoir par les communistes en cas de vacance du pouvoir. Le 30 septembre, des officiers de gauche tentent de prendre le pouvoir pour prévenir un coup d'Etat fomenté par les généraux et la CIA. Contrairement au PKI, Sokarno refuse de soutenir les insurgés. Pour la réaction, c'est le signe du début de la curée.

Lire le début de l'article :

Il y a 40 ans : le massacre des communistes indonésiens

Lire la suite de l'article :

Le massacre des communistes indonésiens (3)

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(1): Jean-Louis Margolin, « Indonésie 1965 : un massacre oublié », Revue internationale de politique comparée, vol. 8 (1/2001), p. 59-92. (retour)

(2): Selon « Le massacre des communistes indonésiens de 1965 », http://www.legrandsoir.info. (retour)

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