Le ghetto de Gaza
![](http://www.gds-ds.org/cache/e/3/efb8c4.jpg)
Le terme de ghetto est-il approprié pour
désigner la bande de Gaza ? La question
est d’autant plus légitime que le
mot soulève des passions promptes à s’exacerber,
rendant par là-même plus opaques et
plus difficiles toutes réflexions, et a fortiori
tout débat politique. La référence la plus fréquemment
citée est par ailleurs le ghetto de
Varsovie, dont l’insurrection le 19 avril 1943
demeure dans les mémoires.
Il importe de rappeler qu’il ne s’agit là que
d’une acception bien particulière de la notion
de ghetto, qui après avoir servi à l’origine
pour désigner les quartiers urbains dans lesquels
étaient contraints de vivre les israélites
de la cité, s’est élargie pour désigner, notamment
aux Etats-Unis, les quartiers défavorisés
dans lesquels se retrouvait une population, le
plus souvent de couleur, contrainte à la misère.
Cette dernière constituait à elle seule une
barrière suffisamment puissante pour que les
exclus du bien-être ne puissent en sortir.
Cet enfermement s’accompagnait le plus souvent
de surpeuplement. La densité de population
était telle que s’ensuivaient
irrémédiablement des problèmes de logement,
des questions de santé, d’hygiène et de
ravitaillement. Et d’ordre public.
Ces caractéristiques peuvent-elles s’appliquer
à Gaza ? La surface de la bande de Gaza, soit
365 km², a été comparée à celle du canton de
Genève par un journaliste suisse, à celle de la
communauté urbaine de Strasbourg sur un
blog français ; à l’opposé donc des vastes surfaces
semi-désertiques encore présentes dans
les imaginations.
La densité de la population (un million et
demi d’habitants) n’y est pas naturelle : une
partie d’entre eux sont en effet des réfugiés de
1948, auxquels est dénié tout droit au retour,
et qui s’entassent dans des camps de fortune
dont les besoins élémentaires sont tant bien
que mal satisfaits par l’agence de l’ONU
créée dans cette intention.
Les infrastructures économiques, en partie
financées par l’Europe, en ont été systématiquement
détruites par l’armée israélienne :
aéroport, accès au port, centrale électrique,
bâtiments administratifs. Les pêcheurs sont
empêchés d’exercer leur activité sur les bancs
de poissons par une marine dont certains
« exploits » relèvent de la simple piraterie.
La satisfaction des besoins élémentaires de la
population est cyniquement restreinte par
Israël :
[En 2006], le dictateur que la population
israélienne avait démocratiquement élu a
décrété que les habitants de Gaza seraient
mis « à la diète » sur l’avis donné au gouvernement
par l’avocat Dov Weissglas immédiatement
après la victoire du Hamas aux
élections. Le Ministre de la défense, Shaul
Mofaz, a décidé que les habitants de Gaza
mangeraient de moins en moins de produits
frais et de produits laitiers, ensuite de moins
en moins de riz, et bientôt plus non plus de
pain. (1) (Amira Haas)
Cet article déjà ancien révèle la raison de
cette punition collective : lors des élections
palestiniennes, démocratiques et sous supervision
internationale, les Palestiniens ont en
effet mal voté, un peu comme les Français, les
Néerlandais et les Irlandais sur une certaine
idée de l’Europe, mais les représailles, immédiates,
dépassent amplement les manœuvres
de nos propres apparatchiks : 45 députés ou
ministres palestiniens sont d’emblée emprisonnés
sans autre forme de procès, sans que
nos démocrates s’en émeuvent. Et les conventions
internationales interdisant les punitions
collectives des populations civiles, sont
superbement ignorées. Pourquoi ces
Palestiniens ont-ils donc si mal voté, en dépit
des pressants conseils qui leur avaient été
donnés ? Se seraient-ils soudain convertis en
masse à l’islamisme radical? Que nenni, ils
ont simplement sanctionné une autorité dont
les agissements allaient à l’encontre de leurs
préoccupations :
Le triomphe électoral du Hamas fut considéré
comme un signe inquiétant de la montée du
fondamentalisme, et un coup terrible pour les
perspectives de paix avec Israël, par les gouvernants
et journalistes de tout l’Occident.
Des pressions diplomatiques et financières
furent immédiatement appliquées pour forcer
le Hamas a adopter les mêmes politiques que
celles des partis qu’il avait vaincus dans les
urnes.
Sans compromission avec l’avidité et la
dépendance combinées de l’Autorité
Palestinienne, l’enrichissement personnel de
ses porte-parole et policiers serviles, et leur
approbation d’un “processus de paix” qui
n’a amené que plus d’expropriation et de
misère à la population, le Hamas a offert l’alternative
d’une simplicité exemplaire. Sans la
moindre des ressources de son rival, il a mis
en place des cliniques, des écoles et des hôpitaux,
des programmes de formations et de
protection sociale pour les pauvres. Ses dirigeants
et ses cadres vivaient frugalement, au
niveau des gens ordinaires.
C’est cette réponse aux besoins de la vie courante
qui a valu au Hamas un large soutien,
et non pas la récitation quotidienne des versets
du Coran. (2) (Tariq Ali)
La constitution d’un ghetto répondant en tous
points aux caractéristiques pré-citées représente
en revanche la réponse israélienne à une
consultation démocratique. La référence au
ghetto de Varsovie est d’ailleurs devenue
commune non seulement au mouvement de
solidarité avec les Palestiniens, mais aussi à
l’État-major israélien (à la différence que ce
dernier s’intéresse plus à la tactique adoptée
par l’agresseur qu’à celle de la résistance).
Il est donc devenu légitime de faire appel à
ces douloureuses analogies de l’Histoire ; un
appel des Femmes en Noir s’en saisit fort
opportunément :
Quand le ghetto se tait, on l’affame… Quand
il se révolte, on l’assassine!
Varsovie, années 40: Ils avaient construit une
image du juif telle que c’est dans l’indifférence
qu’ils avaient enfermé 500000 personnes
de religion juive dans le ghetto de Varsovie, y
menaient des incursions régulières, tuant
hommes, femmes et enfants, affamant cette
population réduite à un état de misère
indigne, ouvrant parcimonieusement les
portes du ghetto pour laisser de temps en
temps passer quelques vivres.
Gaza, 2008 : Ils ont construit une image telle
du Hamas (démocratiquement élu en 2006)
que c’est dans l’indifférence que depuis 2 ans
ils enferment 1500000 Palestiniens dans la
bande de Gaza, y menant des incursions
régulières tuant hommes, femmes et enfants
(50 assassinats lors de la trêve de 6 mois respectée
par le Hamas jusqu’au 6 novembre
2008), affamant cette population réduite à un
état de misère indigne, ouvrant parcimonieusement
les portes du ghetto pour laisser passer
quelques vivres.
Rester silencieux, c’est être complices de ces
crimes contre l’humanité.
Nous ne pouvons que partager ce terrible
constat. Aucune solution ne peut aboutir sans
que Gaza cesse d’être un ghetto.
Philippe Lewandowski