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Le féminisme exemplaire des combattantes kurdes

Mi-octobre, la libération de la ville de Raqqa en Syrie, a donné un coup de projecteur sur l’exemplaire combat des militantes kurdes. Formées militairement et politiquement, celles-ci ont été en première ligne contre Daesh, comme elles l’avaient été dans la libération de Kobané ou de Sinjar (cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans la revue Démocratie&Socailsime n°249 de novembre 2017).

Et le 18 octobre à Raqqa, Rojda Felat, commandante des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) ayant mené l’opération, Jihane Cheikh Ahmed, porte-parole du FDS et Nesrin Abdallah, commandante générale des YPJ (forces féminines kurdes) ont dédié cette victoire aux femmes, aux femmes de Raqqa et aux femmes du monde entier.

« L’objectif n’est pas que militaire, disait Rodja Felat dans une interview donnée à Elle. Nous installons un conseil civil pour réorganiser la société et la vie des habitants, afin de rouvrir les écoles… Chaque ville que nous libérons, nous la rendons au peuple pour qu’il l’administre lui-même. Une attention particulière sera évidemment portée aux femmes, qui ont payé un lourd tribut dans ce conflit ; les Yézidies, réduites sous le joug des djihadistes à l’état d’esclaves sexuelles, mais aussi les femmes arabes. »

Des principes aux actes

Depuis de nombreuses années maintenant, les militantes Kurdes portent très haut un féminisme comme moteur d’émancipation et de construction démocratique. L’espoir qu’elles portent est celui d’une profonde transformation sociale, démocratique, paritaire et écologique. Un féminisme fondateur qui fut incarné pendant longtemps par Sakine Cansiz, cofondatrice du PKK, assassinée à Paris en 2013*, qui affirmait que « la libération du Kurdistan passera par la libération de la femme ». Dès la fin des années 1990, elle a fondé des camps d’entraînement dans les montagnes du Qandil, au nord de l’Irak. Des femmes kurdes de la région et d’Europe ont rallié son mouvement, dont le slogan est : «  Femmes ! Vie ! Liberté !  ».

Elles défendent un projet de société égalitaire, affranchie du patriarcat. Elles théorisent l’existence d’« une certaine mentalité masculine qui ouvre la voie à toutes les formes de domination, […] une mentalité qui ne laisse aucune place à l’égalité et à la justice entre les hommes et les femmes » et appellent les hommes comme les femmes à en prendre conscience. Avec l’ambition d’offrir un nouveau contrat social axé sur leur émancipation et leur sécurité, pour une société plus humaniste. Elles veulent éradiquer les violences conjugales et les meurtres de femmes et se préserver des dangers du fondamentalisme religieux.

Respect et exemplarité

Ce combat semble avoir porté ces fruits dans la nouvelle organisation de la région de Rojava. En effet, en mars 2016, les Kurdes de Syrie ont proclamé  une entité « fédérale démocratique » dans les zones contrôlées par eux et qui comprennent notamment les trois « cantons » kurdes d'Afrine, de Kobané et de la Djézireh, dans ce qui était jusqu'à présent une zone d’« administration autonome ». Le féminisme et l’écologie occupent une place de premier ordre dans ce nouveau système.

Considérées comme le premier groupe à avoir été opprimé, les femmes doivent reprendre le contrôle et la place qui leur est due au sein d’une société qui sera des plus paritaires. Aujourd’hui, chaque poste à responsabilité est déjà cogéré par une femme et un homme, ce qui est vrai pour la présidence du Rojava et dans de nombreuses mairies et assemblées. Ainsi, sont également encouragées les organisations de femmes afin qu’elles puissent se penser par et pour elles-mêmes.

Ces femmes kurdes tentent de s’organiser à tous les niveaux de la société pour y prendre une part de plus en plus active et infléchir le cours de l’histoire, en portant un projet de société démocratique, paritaire, écologique, multiethnique et multiculturelle qui va chercher dans leur histoire de nouvelles façons de penser le monde, notamment en ce qui concerne le lien avec la nature. Et elles sont très claires sur leur volonté d’exporter leur façon de penser au-delà des frontières du Kurdistan, avec l’espoir d’inspirer le monde entier. Penser différemment, et amener avec elles les hommes à réfléchir sur l’influence du patriarcat sur les déboires actuels du monde.

En refusant  de reléguer ou différer leur combat féministe, les femmes kurdes apportent un soutien direct à cette parole des femmes qui se libère à travers le monde pour dénoncer les violences qu’elles subissent.

Pour cela et pour le combat qu’elles mènent, armes à la main, contre Daesh, nous leur sommes redevables et avons un devoir de soutien.

* L’assassin présumé est décédé en 2016 emportant avec lui le secret d’un assassinat politique dont tout laisse à penser qu’il a été commandité par les services secrets turcs.

À voir : Kurdistan, la guerre des filles, reportage de Mylène Sauloy diffusé sur Arte  

À lire : Triple assassinat au 147, rue La Fayette, livre-enquête exhaustif de Laure Marchand, éditions Actes Sud, janvier 2017.

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