GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Le Brexit et la gauche britannique

Nous reproduisons ici la chronique « Internationales » de notre ami Philippe Marlière, professeur de sciences politiques à l'University College de Londres. Cet article est paru dans la revue Démocratie&Socialisme n°233 de mars 2016.

Le 23 juin prochain, les Britanniques pourraient voter en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE). Les conséquences politiques et économiques du Brexit (British exit) sont aujourd’hui difficiles à évaluer.

Les institutions européennes viennent d’accorder à David Cameron, le Premier ministre britannique, des accommodements aux lois communautaires : clause de sauvegarde de sept ans sur les aides sociales pour les nouveaux migrants, exemption sur « l’Union toujours plus étroite », octroi d’un « carton rouge » vis-à-vis de décisions communautaires, sous condition d’une alliance de 55 % des votes accordés aux parlements nationaux, protection de la City contre toute discrimination des pays qui utilisent l’euro.

Des pays plus égaux que d’autres

L’été dernier, les mêmes institutions européennes avaient rejeté la demande de rééchelonnement de la dette grecque après des années d’austérité violente. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, avait dû obtempérer et renforcer l’austérité. La volonté du peuple avait été piétinée par Angela Merkel avec le soutien de François Hollande. Cet épisode dramatique avait une fois de plus démontré que l’UE n’est pas un deus ex machina, mais un champ de rapports de force entre gouvernements nationaux. En l’occurrence, le pays le plus fort a le pouvoir d’imposer au reste des États-membres ses propres choix économiques.

Les accommodements entre le Royaume-Uni et l’UE portent en germe la dislocation de l’édifice communautaire. Ils laissent notamment entrevoir la nationalisation de questions sensibles comme l’immigration et les réfugiés ; ce qui exacerberait le racisme et la xénophobie, et entraînerait une plus forte désorganisation des flux migratoires.

Un départ opportun ?

Le Brexit pourrait-il permettre le retour de politiques redistributrices en Europe ? Rien n’est moins sûr. Le Royaume-Uni est déjà exempté des rares mesures sociales communautaires (la directive sur la semaine-plafond de 48 heures). Il est également difficile de croire que la défense des services publics serait mieux assurée en dehors de l’UE. Dehors ou dedans, Cameron pourrait privatiser librement le Service national de santé. Le Premier ministre est un partisan du traité transatlantique avec les États-Unis. Si le Royaume-Uni quittait l’UE, rien n’empêcherait le gouvernement de signer ce traité commercial controversé.

Quelle campagne mener à gauche ?

L’Écosse et le Pays-de-Galles, pays de culture sociale-démocrate, vont majoritairement s’opposer au Brexit, comme la grande majorité des syndicats. Jeremy Corbyn et le Parti travailliste vont aussi recommander le statu quo, tout en essayant de construire un front anti-austérité en Europe. Une telle démarche ne pourra être couronnée de succès que si le Parti travailliste s’ouvre à l’ensemble de la gauche, aux partis nationalistes écossais et gallois, ainsi qu’aux Verts. Le PS portugais a fait ce pari, l’été dernier, en concluant un accord de gouvernement avec le PCP et le Bloco de Esquerda. La condition sine qua non est évidemment que la social-démocratie abandonne ses politiques austéritaires sur le plan national et au sein de l’UE.

Une partie de la gauche européenne s’illusionne sur les vertus du Brexit, et commet un contresens : cette campagne ne porte pas sur la nature des politiques à mener, mais sur le processus décisionnel : le centre doit-il se trouver à Bruxelles ou à Londres ? Ce qui est en jeu, c’est donc la forme, pas le contenu des politiques. Le combat contre les politiques austéritaires sera le même, dedans ou en dehors de l’UE, et, dans les deux cas, cette lutte s’annonce difficile.

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