Le 47 eme congrès de la CGT
Ambiance
Si les congrès confédéraux précédents étaient un plébiscite, un monument d'unanimisme pour la direction, le 47ieme congrès aura été marqué par la possibilité pour les opposants de s'exprimer largement. 85 % des 1000 délégués désignés après un découpage territorial complexe décidé par leurs fédérations, participaient pour la première fois à un congrès confédéral. Mais les débats vifs ont prouvé que le " filtre " de l'appareil utilisé pour mandater des délégués ne fonctionnait plus, du moins en faveur de l'orientation défendue par les partisans de Bernard Thibault. L'encadrement politique, historique, de la Cgt par les militants issus du Parti Communiste n'est plus la donnée principale de ces congrès, d'autant que ceux-ci, profondément divisés ont pour habitude de relayer les débats internes du PC au sein de la Cgt. L'organisation même du débat sur le bilan d'activité, les 4 résolutions dissociées et la question des retraites ont eu pour fonction de mettre au centre des débats les amendements des opposants. Ainsi nombre d'entre eux purent intervenir, de façon répétitive, au risque de prendre à rebrousse-poil la plupart des congressistes et d'obliger, à deux occasions, Bernard Thibault à recadrer le débat. Les délégués appartenant à l'extrême gauche étaient de l'ordre d'une dizaine pour chacune des organisations PT, LO et LCR. Les orthodoxes du PCF bénéficiant de réseaux plus institutionnels étaient de l'ordre d'une centaine. Cette composition du congrès contribua à donner un certain isolement de la direction confédérale.
Une situation contrastée
Bilan d'activité et orientation
Le bilan d'activité adopté à 91 % au dernier congrès ne fut approuvé qu'à 75 %. Les 15 % de votes contre donnaient la tonalité des débats de la semaine.
La première résolution, "solidaires pour de nouvelles conquêtes sociales", présentée par Maryse Dumas, soulignait l'éclatement du salariat, le développement de la précarité et la nécessité de revendications communes et fédératrices. Elle fut adoptée à 77 % avec 15 % de contre. Les idées d'une sécurité sociale professionnelle et d'un nouveau statut du travail salarié se voulaient l'axe central de ce document. Partant de la nécessité objective de droits nouveaux, de conventions collectives uniques et étendues aux salariés d'une même branche, de garantie des droits pour les chômeurs, de droit à la formation permanente ces propositions sont justes, mais apparaissent très conceptuelles. Plusieurs intervenants demandant le retrait de la Cgt du CIES (comité intersyndical d'épargne salarial), les responsables confédéraux réaffirmèrent l'opposition de la Cgt à la loi Fabius tout en soulignant l'importance de contrôler les sommes en jeu sans pour autant les gérer.
La seconde résolution, " renouveau du syndicalisme, franchir des seuils ", abordait les questions d'unité syndicale, de démocratie syndicale, de démocratie des assemblées de salariés, de la légitimité des consultations de salariés, du syndicalisme européen. On peut noter avec inquiétude que la référence à la recherche en permanence de propositions et d'initiatives avec les autres syndicats fut retirée du texte. Sans que cela ne change rien au texte lui-même, c'est un signe que les vieux réflexes sectaires matricent largement les militants syndicaux et politiques. Le retrait de CES (Confédération Européenne des Syndicats) exigé par les militants du PT et parmi les plus sectaires des orthodoxes n'a pas connu de succès. Plus habilement certains délégués exigeaient une ligne plus combative de la Cgt pour mieux peser sur les choix de la CES, notamment sur le contenu de charte européenne des droits sociaux. Le document adopté à 74 %, enregistra un vote contre de 15%.
La troisième résolution " la charte de la vie syndicale " aurait pu permettre un débat bien plus intéressant, tournant réellement la Cgt vers les déserts syndicaux, vers les zones de non droits dans lesquelles les syndicats n'existent pas. Après un débat assez consensuel, elle fut adoptée à plus de 83 %, mais recueilli quand même 8 % de contre. Timidement la perspective des 1.000.000 de syndiqués fut reprise par Bernard Thibault et lors de l'intervention de clôture. Alors que la Cfdt, malgré sa ligne confédérale, progresse grâce à son redéploiement vers les PME et son organisation méthodique de la syndicalisation, la Cgt peine à définir une méthode propre à ses traditions.
La quatrième résolution " adopter le nouveau système de cotisations " failli être minoritaire. Elle proposait une cotisation ventilée en pourcentage sur les différents champs confédéraux, fédéraux, régionaux et départementaux tout en garantissant un maintien de 33 % de la cotisation au syndicat. Les opposants craignant un renforcement du pouvoir de la direction confédérale avaient annoncé une attaque en règle. Dans les couloirs, et au sein de la commission, plusieurs fédérations soutenant la ligne Thibault exprimèrent leur veto face à la rédaction initiale. Le texte proposé au vote, complètement modifié, renvoya la décision à un congrès extraordinaire précédant le 48ième congrès recueilli à peine 51,48 %.
L'appel à l'action sur les retraites : un plébiscite
Le texte diffusé aux congressistes, reprenait l'ensemble des revendications de la confédération : "le droit effectif de la retraite à 60 ans", des retraites "au moins égales à 75 % des meilleures années d'activités et indexées sur les salaires", la remise en cause des "décrets Balladur de 1993 qui allongent à 40 ans la durée de cotisation du privé et programment la baisse des pensions", la référence à une "base d'une carrière de 37,5 ans" qui "doit continuer à prévaloir", tout en soulignant que les 37,5 ne peuvent suffirent et qu'il faut aussi prendre en compte les "périodes d'études, d'apprentissage, de recherche d'un premier emploi". Ayant pour fonction d'appeler aux manifestations du 3 avril, le texte réaffirmait la nécessité de l'unité d'action. Le texte tenait compte de l'état d'esprit des militants, de l'actualité des attaques du gouvernement contre les fonctionnaires et aussi anticipait les critiques des opposants. Ainsi les critiques maintenues de quelques délégués appartenant au PT ou aux courants orthodoxes du PCF furent balayées par un vote à 94 % des délégués.
Une direction réduite dans la douleur
La direction de la Cgt devrait refléter la diversité politique de sa base, mais les vieux réflexes d'appareils sont encore monnaie courante. Comme le disait un dirigeant confédéral " les responsables Cgt connaissent bien les paroles, mais certains chantent faux ". Malgré cela, l'orientation revendicative de la Cgt, la volonté d'unité d'action et de démocratie sociale lui assurent une grande porosité avec le mouvement social. Les actions reconductibles chez les enseignants, la mobilisation qui se développe pour les retraites avec la manifestation nationale à Paris proposée pour le 22 mai donnent à la Cgt une place centrale et incontournable.
Gilles Navarro