Le 19 mars, un levier pour faire céder le gouvernement
Depuis plus d’un mois, les universités sont en grève. Le
2 février, les universitaires,
connus pour leur faible capacité à se
mobiliser, ont décrété la grève des enseignements
et de leurs fonctions administratives.
Ils ont ensuite été rejoints par les
étudiants et, plus faiblement, par les personnels.
Cette mobilisation, spectaculairetant par sa rapidité que par son
ampleur, met à mal le gouvernement qui
croyait, jusque-là, avoir réussi le plus difficile,
c’est-à-dire à mettre en place
« l’autonomie des universités » sans que
l’opinion publique ne réagisse. Si au
départ, cette lutte a semblé n’être qu’un
mouvement de grogne ponctuel sur un
simple décret d’application, en réalité le
malaise est beaucoup plus profond. Il se
fonde en effet à la fois sur un rejet de la
politique de mépris des universitaires,
sur un refus de la mise en concurrence
des universités et, plus généralement, sur
un front de la jeunesse contre la politique
présidentielle. Au fond, comme s’il
s’agissait d’une réplique simultanée du
mouvement des chercheurs de 2004, des
rassemblements anti-Sarkozy de mai
2007 et de la lutte pour l’abrogation de la
LRU l’an passé.
Universitaires méprisés
En 2004, la création de Sauvons La
Recherche
avait marqué le ras-le-bolgénéralisé des chercheurs qui s’estimaient,
à juste titre, oubliés par le gouvernement.
Peu à peu, les universitaires
avaient laissé leurs conditions de travail
se dégrader sans réagir. Passer une thèse,
en particulier dans les sciences humaines
et sociales, est devenu une véritable
gageure. Une fois, la thèse passée, il faut
passer par des post-doctorats, sas de précarité
devenu indispensable avant de
pouvoir espérer être un jour maître de
conférences. Et la situation des maîtres
de conférences n’est pas mieux : salaire
peu intéressant, multiplication des tâches
non rémunérées, heures complémentaires...
Bref, à toutes les étapes de leurs
carrière, les universitaires sont méprisés.
La mobilisation de 2004 avait permis
l’amorce d’un débat public sur cette
question. Mais cela n’avait débouché que
sur le Pacte pour la Recherche (voté en
catimini pendant la mobilisation contre
le CPE) qui allait à l’encontre exact des
préconisations des États Généraux de
Grenoble. Depuis 2006 donc, la colère
montait peu à peu jusqu’à exploser
lorsque Valérie Pécresse a souhaité
moduler le nombre d’heures d’enseignements
en fonction de la « qualité » de la
recherche, sous le prétexte que certains
ne travailleraient pas réellement...
«L’université
n’est pas une entreprise!»
La LRU, et plus généralement, l’ensemble
des réformes depuis le LMD,
cherche à imposer une culture d’entreprise
au sein de l’université. Les universités
doivent se concurrencer pour attirer les
« meilleurs enseignants » afin de former
« les meilleurs étudiants ». Elles doivent
améliorer leur image de marque en mettant
en avant leurs recherches les plus
exploitables rapidement et leurs capacités
à se faire financer par des entreprises.
Cette culture s’oppose radicalement à ce
qui a toujours fondé l’université basée,
comme le montre Vincent Descombes
(1), sur une culture de débat et de collégialité.
La LRU est donc en décalage
complet avec ce qu’est l’université. Ce
qui entraîne inévitablement un refus
grandissant de la communauté universitaire.
Front de refus
Les rapports de Nicolas Sarkozy avec la
jeunesse ne sont pas apaisés, c’est le
moins que l’on puisse dire ! Dès le soir
de son élection, des jeunes se sont réunis
dans les rues pour crier leurs inquiétudes.
Depuis la rentrée 2007, chaque semestre
a été l’occasion pour les étudiants ou
pour les lycéens de descendre dans la rue
afin de contester les politiques néfastes
de ce gouvernement, tant la casse de
l’éducation, de la maternelle au supérieur,
que la politique d’immigration ou
de cadeaux aux plus riches. Jamais sans
doute, un président n’a été perçu par la
jeunesse comme autant en décalage avec
ses aspirations. Jamais sans doute, les
jeunes n’ont tant exigé du gouvernement
une remise en cause totale de sa politique.
Cette conjonction de trois colères contre
le gouvernement a entraîné une mobilisation
inattendue qui ne s’éteindra pas avec
un recul partiel de Valérie Pécresse.
Comme en Guadeloupe, les premières
négociations montrent que le gouvernement
ne veut surtout pas céder, craignant
une trainée de poudre dans les autres secteurs.
La journée du 19 mars apparaît pour
tous, étudiants, universitaires et personnels,
comme un point d’appui majeur
pour obliger le gouvernement à revoir
de fond en comble sa politique universitaire!
Mathias Tessier