GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Laïcité et émancipation

Dans les années qui ont suivi la grande grève de 1968, on pouvait remarquer dans certaines manifestations des jeunes défiler derrière des banderoles où l'on pouvait lire des slogans du type : "A bas l'école des flics et des patrons !".

Les instituteurs même les plus radicaux n'en revenaient pas : certains, scandalisés, d'autres inquiets ou interrogateurs "...

Peu à peu, certains de ces contestataires ont évolué non parce qu'envieillissant on passe de la révolution à la réforme mais parce que les échanges, les discussions et les expériences forgent une conviction. Si effectivement l'école à la mission de conformer l'individu à l'idéologie dominante, elle se voit aussi exercer une fonction progressiste : celle d instruire.

Laïcité et lutte de classes : compatible ou antinomique ?

Parmi les militants laïques convaincus, fermes sur les principes on rencontre beaucoup d'anarchistes, d'anarcho-syndicalistes ou même des trotskistes, sans oublier bien sur des socialistes et des communistes ! S'agit-il là d'une contradiction ? D'une confusion ou d'une logique s'appuyant sur une analyse de classe et sur l'histoire même du mouvement ouvrier ?

Pour tâcher d'y répondre, revenons-en à l'acte de naissance de l'école obligatoire, gratuite et laïque...

De mars à mai 1871 la Commune de Paris avait proclamé que :

  • l'instruction, publique devait être gratuite ;
  • l'instruction religieuse devait être bannie des programmes ;
  • et qu'il fallait débarrasser les écoles de tout signe religieux...

    Edouard Vaillant ne déclare t-il pas :

    " La Commune ne prétend point froisser aucune foi religieuse mais elle a pour devoir strict de veiller à ce que l'enfant ne puisse à son tour être violenté par des affirmations que son ignorance ne lui permet pas de contrôler, d'accepter librement (...) Apprendre à l'enfant à aimer et à respecter ses semblables, lui inspirer l'amour de la justice, lui enseigner qu'il doit s'instruire en vue de l'intérêt de tous : tels sont les principes de la morale sur laquelle repose désormais l'instruction publique communale ".

    Louise Michel, anarchiste se prononce pour une formation morale des

    enfants. Le 21 mai 1871, la Commune proclame l'égalité des salaires entre les

    hommes et les femmes, notamment pour les instituteurs.

    Ainsi l'idée même d'école laïque dans le droit fil du rapport et du décret sur l'instruction publique présenté à l'assemblée législative de 1792 par Condorcet fut reprise et développée par le mouvement ouvrier, insurrectionnel de la commune de Paris.

    A juste titre les révolutionnaires estimaient que le socialisme ne pourrait être l'œuvre que de travailleuses et de travailleurs instruits grâce à l'école publique et à une éducation populaire pour toutes celles et ceux qui ont quitté l'école ou qui n'ont pu y accéder. Malheureusement, l'enseignement public et laïque ne verra pas le jour en 1871... Le massacre de 20 000 communards par le sinistre Thiers donnera un coup d'arrêt au projet éducatif et social ambitieux mais indispensable.

    Thiers ne s'y trompera pas quand il déclarera : Il n'y a qu'un seul remède : il faut confier à l'Eglise l'instruction primaire entièrement et sans réserve ".

    Le mouvement ouvrier se reconstruit peu à peu et s'organise, biesouvent dans l'illégalité.

    A la chambre des députés, les réactionnaires, ne se contentent pas de couvrir et de mener une répression féroce contre les communards, ils veulent remettre en place la monarchie.

    Les républicains veulent faire, eux, de l'école un lieu d'acquisition pour préparer le futur adulte à exercer ses tâches sociales, professionnelles et citoyennes.

    Pour l'église, le rôle de l'enseignement est de former des sujets, croyants et obéissants...

    Le camp républicain s'est structuré par opposition à la réaction cléricale, l'extrême gauche d'alors, les socialistes, ne pouvant que soutenir un projet qu'ils partagent en ce qui concerne les grandes

    lignes.

    L'alliance entre les socialistes et l'aile républicaine de la bourgeoisie ne se posera de fait avec acuité qu'au moment de l'adoption de la loi de séparation des églises et de l'Etat en 1905. Pour Jean Jaurès et beaucoup de socialistes, le socialisme est l'accomplissement de la République, il n'hésite d'ailleurs pas à

    déclarer à l'assemblée le 21 novembre 1893 : "Vous avez fait la République et c'est votre honneur (...) mais au moment même où le salarié est souverain dans l'ordre politique il est dans l'ordre économique, réduit à une sorte de servage(...) c'est parce que le socialisme apparaît comme seul capable de résoudre cette contradiction fondamentale de la société présente(...) C'est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale (...) "

    Pour Jean Jaurès l'école laïque, ce n'est pas la neutralité, il le précise en 1908 : " La plus petite manœuvre des ennemis de l'école laique, c'est de la rappeler à ce qu'ils appellent la neutralité (...) En fait, il n'y a que le néant qui soit neutre."

    Quand les instituteurs et institutrices syndicaliste voudront rejoindre la Cgtet lanceront en 1905 le manifeste de " l'Emancipation de l'instituteur ", ils déclareront, entre autres : " ...Par leur origine, par la simplicité de leur vie, les instituteurs appartiennent au peuple. Ils lui appartiennent par les enfants du peuple qu'ils sont chargés d'enseigner. Nous instruisons les enfants du peuple

    le jour. Quoi de plus naturel que nous songions à nous retrouver avec les hommes du peuple, le soir". Malgré la répression gouvernementale qui s'abat contre eux, les syndicalistes veulent rejoindre les Bourses du Travail, mouvement animé par Fernand Pelloutier, à la devise qui résume tout un programme :

    " Instruire pour révolter "

    La défense de l'école laïque fut une constante de tout le mouvement ouvrier, Si à un certain moment de son histoire la bourgeoisie a eu besoin d'une école publique, gratuite et laïque pour former la main d'œuvre qualifiée indispensable, elle cherche aujourd'hui à démanteler le service public, à marchandiser et privatiser l'école.

    Son offensive, conjuguée à celle de tous les intégristes qui n'ont pas encore digéré la loi 1905, exige que tous les militants lutte de classes défendent cet acquis démocratique qu'est l'école laïque.

    Jean-François Chalot

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