GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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La Suisse moderne est née avec la grève générale de 1918

Nous publions ici la chronique mensuelle de notre ami Jean-Claude Rennwald, militant socialiste et syndical suisse, ancien député (PS) au Conseil national suisse. Cet article est paru dans le numéro d’été de Démocratie&Socialisme.

Dans un récent ouvrage collectif, La gauche fait le poing (Lausanne, Éditions Favre, 2015), j’ai souligné que d’importantes innovations sociales et politiques, comme l’Assurance vieillesse et survivants (AVS, principal pilier du régime des retraites) ou le droit de vote des femmes, n’auraient pas vu le jour en Suisse sans la grève générale de 1918 (250 000 ouvriers avaient alors cessé le travail), puisqu’elles faisaient partie des principales revendications du Comité d’Olten, coordinateur de la grève. Quelques années auparavant, Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse (USS), avait même affirmé que « c’est la grève générale de 1918 qui a écrit le programme social et politique du XXe siècle suisse ».

L’histoire manipulée

Si ce rappel s’impose, c’est parce que depuis le début de l’année, journalistes, politologues et historiens s’entredéchirent pour savoir à quel moment la Suisse est née, ou du moins quelles sont les dates les plus marquantes qui jalonnent son passé. Certains optent pour le Pacte fédéral de 1291, d’autres pour la défaite des Suisses face aux troupes de François 1er lors de la bataille de Marignan, en 1515, événement qui aurait marqué le début de la neutralité, d’autres encore pour la Constitution fédérale de 1848. Ces divergences montrent que l’histoire n’est pas seulement une science humaine, mais aussi une arme que l’on manie à sa guise, que d’aucuns manipulent pour défendre une idéologie. Christoph Blocher, leader du parti national-populiste UDC, s’est fait le champion de cette stratégie. Ainsi, son affirmation selon laquelle le Pacte fédéral de 1291 a été scellé sur la prairie du Grütli, est contestée par de nombreux historiens. Ceux-ci se demandent pourquoi les dirigeants de Suisse primitive se seraient rendus sur une prairie isolée alors qu’ils pouvaient se rencontrer dans une localité sans aucun risque. Quant à la défaite de Marignan, elle a surtout ouvert la voie à une armée qui, depuis, n’a plus jamais été qu’une armée de répression intérieure et de guerres civiles.

Un tournant historique

Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi le mouvement ouvrier et ses organisations n’auraient pas leurs propres références. De ce point de vue, 1918, année de la grève générale, est une date qui s’impose. D’abord parce que cet événement essentiel dans la pratique et la culture des travailleurs permet de briser le mythe d’une Suisse qui aurait été consensuelle depuis la nuit des temps. Ensuite parce que 1918 marque un tournant historique dans la construction d’une Suisse sociale et moderne et cela même si, dans un premier temps, la grève générale s’était terminée par une défaite pour les travailleurs.

Des revendications fondamentales

Parmi les neuf revendications du comité d'Olten, une a été réalisée rapidement, alors que d’autres ne seront mises en œuvre que beaucoup plus tard :

  • Renouvellement immédiat du Conseil national selon le système de la représentation proportionnelle. Ce sera le cas dès les élections fédérales de 1919, le nouveau système permettant une avancée socialiste.
  • Droit de vote et d'éligibilité pour les femmes. Ici, il faudra attendre … 1971 !
  • Introduction du droit au travail pour tous. Cette revendication n’a jamais été concrétisée au sens strict du terme, mais depuis, la protection sociale s’est renforcée et l’assurance-chômage est devenue obligatoire.
  • Introduction de la semaine de 48 heures. On a peu progressé depuis, puisque la durée maximale légale du travail est encore de 45 heures, mais.la semaine de 40 heures est aujourd’hui la norme dans la majorité des secteurs économiques au bénéfice d’une convention collective de travail (CCT).
  • Assurance vieillesse et survivants. Principale assurance sociale suisse, l’AVS sera acceptée en votation populaire en 1947 et deviendra réalité en 1948.
  • Les quatre autres revendications du Comité d’Olten ne présentent pas autant d’intérêt d’un point de vue social.

    Des grévistes visionnaires

    Le temps qu’il a fallu pour réaliser certaines réformes a un aspect exaspérant. D’un autre côté, cette lenteur montre que les grévistes de 1918 étaient des visionnaires. A tel point qu’aujourd’hui, certaines de leurs propositions sont remises en question par une partie de la droite et du patronat, comme le montrent les attaques contre l’AVS, la loi sur le travail ou les services publics. Dans ces conditions, il faut se demander si, dans un avenir plus ou moins proche, nous assisterons à de nouvelles luttes sociales de grande ampleur. A ce stade, rien ne permet de l’affirmer, mais, de fait, nous sommes appelés à choisir entre, d’une part, la construction d’une société démocratique, plus solidaire, répartissant mieux les fruits de la croissance et investissant davantage dans la sauvegarde de l’environnement ; et, d’autre part, le développement des idéologies néolibérale et nationale-populiste, avec tout ce que cela représente en termes d’exclusion, d’inégalités toujours plus fortes, de chasse aux immigrés et aux demandeurs d’asile.

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