GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Economie Théorie Histoire

La social-démocratie et le libéralisme

La social-démocratie est-elle keynésienne ? Elle ne l'a pas toujours été et elle ne l'est plus vraiment. Elle est maintenant contaminée par le néolibéralisme.

Au cours de l'adaptation progressive de la social-démocratie au capitalisme, notamment après la crise de 29 et surtout après la seconde guerre mondiale, le keynésianisme fut pour elle un recours. Il lui sembla être un compromis (le compromis dit « fordiste ») bien qu'il ne cherchât pas à développer les droits sociaux, démocratiques, ni à garantir l'égalité des droits, ni même à augmenter la part des salaires dans le partage de la valeur ajoutée. Il restait une politique de droite, comme l'est maintenant le néolibéralisme. Mais les dirigeants sociaux-démocrates ne sont pas tous fidèles à une politique de gauche, souvent ils ne le sont que très partiellement...

Avant la guerre de 1914-18, la politique sociale-démocrate était socialiste (c'est-à-dire démocrate ou « sociale-démocrate »), mais elle restait à l'état de projet puisque les partis de la Deuxième Internationale étaient minoritaires dans tous les pays où ils étaient présents. Ainsi, la politique sociale-démocrate voulait étendre le domaine public, la république, à davantage d'activités sociales pour y introduire la démocratie, donc pour étendre le domaine de l'égalité des droits. Il n'y avait pas de différence notable entre la social-démocratie occidentale (qui gardera le nom de socialisme ou de social-démocratie) et la social-démocratie russe (qui prendra le nom de communisme après la victoire de la révolution soviétique de 1917).

Avec la guerre de 14-18, la social-démocratie fut coupée en deux. À la fin de la guerre civile qui suivit la révolution de 17, la branche soviétique, devenue majoritaire dans l'ancien empire tsariste, choisit d'étendre toujours plus le domaine de l'Etat, sans y introduire la démocratie mais en laissant se développer le bonapartisme et le totalitarisme : elle abandonna tout projet socialiste. En même temps, pour faire face aux nationalismes fascistes montants, les social-démocraties occidentales (toujours minoritaires) s'alliaient à la droite libérale alors que les partis communistes, de plus en plus stalinisés, approfondissaient la division de la gauche, entre sociaux-démocrates et communistes, jusqu'à favoriser l'arrivée au pouvoir de Hitler en 1933.

Pour sortir de la crise, permanente depuis 1929, de la mondialisation libérale de ce début du XX° siècle, les médecins du capitalisme comprirent qu'ils devaient mettre les Etats nationaux au service de l'économie libérale : ils se décidèrent à réduire l'anarchie du marché mondial en protégeant les marchés nationaux, avec le but d'augmenter de nouveau la part des profits dans le partage de la richesse produite. Mais, ils ne cherchaient surtout pas à introduire la démocratie dans l'économie.

En effet, les droits-créances sociaux ne seraient pas davantage respectés que jusqu'alors. Les droits-libertés égalitaires (démocratiques), respectés dans les Etats libéraux, ne le seraient pas dans les Etats fascistes. Seules les libertés patronales, inégalitaires (antidémocratiques), seraient protégées dans tous les Etats capitalistes (libéraux ou fascistes). Quant aux Etats staliniens, aucune liberté n'y était reconnue et les droits-créances sociaux n'y étaient pas vraiment respectés, étant réduits à un minimum.

La social-démocratie, repliée dans quelques pays, se rallia au libéralisme national, théorisé par Keynes, qui mettait les moyens dont dispose chaque Etat au service de l'économie libérale. Elle prétendait que le keynésianisme était un compromis entre le socialisme et le libéralisme. Mais, cette intervention de l'Etat au service des entreprises privées ne soumettait pas celles-ci à la démocratie, elle permettait de collectiviser les pertes tout en privatisant les bénéfices.

Face à la droite fasciste, la social-démocratie menait toujours une politique d'alliance avec la droite libérale (le parti radical et la démocratie chrétienne) : elle avait donc abandonné le projet d'une politique économique socialiste. Cette politique économique nationale-libérale courut de succès en succès pour les revenus du capital : elle maintint un haut niveau de profit jusqu'en 1960, en faisant disparaître les récessions économiques... jusqu'en 1973.

En effet, de 1960 à 1980, l'essor des luttes sociales dans le monde a fait croître la part des salaires aux dépens de celle des profits dans le partage de la valeur ajoutée. En France, la part des salaires est ainsi passée de 60 % en 1960 à 69 % en 1980. Les conditions que connaissait le capitalisme durant les années 70, en raison du rapport de forces social, ne permettaient plus aux remèdes keynésiens d'assurer une croissance forte avec chômage et inflation faibles.

La réussite, contre l'inflation, des expériences néolibérales, en premier lieu dans le Chili de Pinochet, convainquit d'abord les dirigeants de la droite. Mais les échecs systématiques des remèdes keynésiens, depuis 1973, conduisirent la plupart des dirigeants sociaux-démocrates européens à rejeter, à leur tour, ce libéralisme national. Ce fut le cas en France en 1982-83. Depuis, les défenseurs socialistes de ce qui devait être une parenthèse, ne voient pas d'autre solution que d'accompagner ce libéralisme mondial. Par la libre circulation des capitaux financiers, par une politique de monnaie forte, par la croissance du chômage, qui réduit drastiquement la part des salaires dans la valeur ajoutée, le néolibéralisme a permis de casser l'inflation que les remèdes keynésiens ne permettaient plus de maîtriser.

La plupart des dirigeants sociaux-démocrates ne croient plus qu'il soit possible d'en finir avec ce chômage de masse. Ils ont accepté l'idée que le plein emploi est devenu impossible, qu'il n'était pas possible de l'atteindre par la réduction du temps de travail par la loi et que s'il pouvait résulter d'une croissance forte ce serait au prix d'une aussi forte inflation : il faudrait choisir entre chômage et inflation. La quadrature du cercle.

Devant ce dilemme, après avoir abandonné leurs convictions keynésiennes durant les années 80, sans pouvoir adhérer totalement aux remèdes de cheval néolibéraux et sans oser la cohérence de la soumission complète du marché à la démocratie, ils sont intellectuellement désorientés. Dans les limites permises par la politique de monnaie forte, ils tentent de trouver un compromis au travers d'une croissance modérée aux effets très modestes sur le chômage. Ceux qui essaient de résister à la vague néolibérale sont souvent nostalgiques du keynésianisme et peinent à trouver la voie de la solution démocratique, de la réduction du temps de travail par la loi du suffrage universel : lorsqu'ils s'y essaient, en hésitant, ils donnent au Medef les moyens de saboter la loi des 35 heures.

Tant qu'elles ne seront pas soumises aux lois d'une démocratie mondiale, les lois du marché mondial pourront permettre aux capitalistes, dès lors que les marchés nationaux auront été dissous au sein de ce marché mondial, de retrouver les conditions qu'ils connaissaient à l'intérieur de chaque Etat lorsqu'ils ne se heurtaient pas encore aux acquis sociaux construits au cours du XX° siècle.

Sortir de ce piège c'est construire, au moins à l'échelle continentale (européenne), des acquis sociaux équivalents avant d'accepter de dissoudre les acquis qui encadrent le marché national. C'est donc construire une république fédérale européenne dotée d'un droit social et de services publics équivalents à ceux de la république française auxquels ils pourront alors être substitués.

Pierre Ruscassie

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