GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

La révolution pour l'indépendance totale est en marche !

La crise à Madagascar est une révolution pour les centaines de milliers de paysans, de gens du peuple qui manifestent et s'insurgent contre le pouvoir présidentiel en reprenant les vieux mots-d'ordre séculaires d'indépendance nationale totale et réelle envers les multinationales et toutes les formes de colonialisme. Mais elle va durer longtemps. Pourquoi ?

Comme dans bien des pays du monde la bourgeoisie nationale n'a pas réussi sa révolution : le développement du pays est soumis à la volonté des bailleurs de fonds et de la France, conséquence du colonialisme et des politiques néo-coloniales. Ceci, à l'époque de la mondialisation, a abouti, particulièrement depuis l'arrivée au pouvoir de Ravalomana en 2002, a une forme de spoliation spécifique, portant atteinte à la terre des ancêtres et amorçant la liquidation des commerçants locaux par des réseaux commerciaux asiatiques, tout en voyant l'impérialisme nord-américain grignoter les positions de la vieille puissance française. Avec l'éclatement de la crise économique mondiale, nous assistons à une explosion de la bourgeoisie nationale malgache elle-même, qui se manifeste dans un fait sans précédent, y compris dans sa dimension culturelle : un conflit déchirant le groupe dominant du pays, les Merina.

Le salariat est très minoritaire mais le peuple malgache, essentiellement composé de paysans, commerçants et fonctionnaires a de fortes traditions de luttes. Il porte la mémoire de la lutte insurrectionnelle de 47 contre la France, sauvagement réprimée, de la résistance à la répression qui a affecté les militants du MDRM (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache, le vieux parti de l'indépendance et de la construction nationale) dans les années 1950, de la lutte de la jeunesse en 1973 pour l'indépendance totale qui renversa le régime néocolonial, de la lutte des forces vives en 1991 pour en finir avec le pouvoir pseudo "marxiste léniniste" de Ratsiraka qui avait confisqué la révolution de 1973, et du coup d'état judiciaire de Marc Ravolomana de 2002 alors soutenu par de larges couches de la population contre la corruption. Vous remarquerez que l'indépendance octroyée par la France en 1960 ne compte pas dans cette liste des grandes luttes du peuple malgache.

Or -et en cela bien sûr, Madagascar c'est le monde, mais sous des formes spécifiques- tous les partis du changement par lesquels les exploités et les opprimés se sont organisés dans ces luttes successives, sont aujourd'hui en lambeau.

Le vieux MDRM a été déchiré par la répression, qui toute seule cependant n'aurait pas suffi : c'est la social-démocratie de la IV° République française, qui selon la logique de la loi Deferre sur la décolonisation optait pour une solution néocoloniale d'autonomie puis, sous De Gaulle, d'indépendance octroyée, qui en a eu raison, en formant à partir de ses courants "modérés "et en jouant sur les conflits ethniques, le Padesm ("parti des déshérités") qui sous le nom de PDS sera le parti au pouvoir lors de l'indépendance octroyée de 1960.

Lors de la révolution de 1973 pour une indépendance totale et réelle, les forces actives sont la jeunesse avec le MFM de Manendafy, brassant des idées trotskystes voire libertaires et qui joue un rôle clef dans l'adoption des idées et du vocabulaire du marxisme à Madagascar, le mouvement ouvrier organisé avec le vieux parti communiste, devenu en 58 AKFM et dirigé par Gisèle Rabesahale, historiquement "pro-Moscou" mais indépendant sur le plan de l'organisation et réfléchissant librement, et la jina puis le Monima du vieux leader nationaliste Monja Joana, existant depuis les années 1930, entrainant des couches paysannes et une partie des habitants de la côte. Or, toutes ces forces s'en sont d'une façon ou d'une autre et tout en essayant de résister ou de manoeuvrer, remises au parti organisé d'en haut par les officiers et les militaires, l'Arema, qui va confisquer tous les pouvoirs à partir de 1975 pour construire un Madagascar "marxiste léniniste" en fait toujours aussi pauvre et soumis au capitalisme mondial.

En 1991 suite à la chute du mur de Berlin, les syndicats de fonctionnaires et la masse de la population urbaine renversent Ratsiraka, le chef de l'Arema, au nom de la démocratie, et les héritiers du MFM et de l'AKFM sont présents dans le mouvement, qu'ils aident de leur expérience en matière d'organisation. Mais dans les faits, ils contribuent à la promotion de petits groupes bourgeois qui vont exercer le pouvoir autour du président Zafy, vite gagné par la corruption, cela sans détruire l'Arema qui garde une base sociale et une clientèle et reste présente dans l'Etat et dans l'armée et qui reviendra bientôt légalement au pouvoir lors des élections de 1997, tel un ex-PC d'Europe de l'Est reconverti au libéralisme ...

En 2002, c'est au nom cette fois de la "bonne gouvernance" que la bourgeoisie Merina, avec le soutien populaire, promotionne l'un des siens, le patron du plus puissant groupe agro-alimentaire du pays, Tiko, vainqueur d'élections présidentielles contestées : c'est l'actuel "futur ex président" Marc Ravalomana, imposé à l'époque contre les souhaits de la France qui, passant un compromis avec la réalité, envoie les paras pour protéger Ratsiraka et le rapatrier, si l'on peut dire, en France.

L'union des Merina pour le changement social, mettre fin à la corruption, construire des infrastructures, projeter le pays dans le développement économique, fut rapidement trompée et niée par la réalité de la "bonne gouvernance" : libéralisme sauvage, montée des liens avec le capitalisme américain, les chrétiens démocrates allemands, les dirigeants de la Chine populaire et de la Corée du Sud (en janvier, le PC chinois a passé un accord avec Ravolomana pour l'imprimerie des cartes d'adhérents de son parti présidentiel ! ), adhésion et prosélytisme publics du président en faveur d'une église évangéligique américaine, le tout au détriment à la fois des positions traditionnelles de la majorité de la bourgeoisie Mérina et des anciens liens néocoloniaux avec la France. Finalement ce président PDG, menaçant les libertés individuelles, dévaluant la monnaie, promouvant sa propre entreprise, a poussé la population à l'exaspération complète. La vente massive de la terre des ancêtres au trust Daewoo a symbolisé cette politique et cristallisé les mécontentements.

C'est ce qui a conduit aux dernières municipales à la victoire contre toute attente du jeune Andry Rajoelina contre le candidat présidentiel. Cette nouvelle donne en cache une autre, beaucoup plus profonde et de nature nouvelle : la division de la bourgeoisie Mérina, la couche dominante traditionnelle de Madagascar.

Aujourd'hui les partis politiques malgaches, tant ceux de la bourgeoisie qui n'a jamais vraiment eu d'expression politique directe, que ceux issus de l'histoire de la gauche, sont en lambeaux, seule la petite AKFM est restée fidèle à ses valeurs, mais est peu connue de la jeunesse. Le grand mouvement actuel vit des traditions de lutte du peuple malgache, mais n'a pas de parti, pas d'organisation, pas de représentation politique. C'est très largement une vague spontanée, dirigée contre ceux qui sont perçus comme les voleurs au pouvoir. Ainsi, le 4 février une délégation conduite par le ministre de l'économie s'est rendu à Manakara, sur la côte sud est , et là la population a cru que le ministre venait vider les caisses des banques de la ville, ce qui en dit long sur les rapports entre le pouvoir et le peuple -y compris ses couches commerciales traditionnelles- et s'est rendue en masse à l'aéroport, mettant le feu à l'aéronef de la délégation réfugiée dans un hôtel : il a fallu un hélicoptère pour les mettre en sécurité. On parle de vagues de pillages, mais ce sont des pillages trés ciblés, visant les pillards : les magasins du groupe Tiko, l'entreprise du président-patron, sont visés, comme à Tuléar (9 morts). Dans les quartiers de la capitale et des villes, des comités s'organisent, la population prend les affaires publiques en main et des groupes d'auto-défense se constituent contre les incursions de nervis ou de véritables pillards : c'est là un signe certain de l'ampleur et de la profondeur du mouvement, de son caractère révolutionnaire puisque les masses cherchent à prendre en main leur destin.

Mais, répétons-le, il n'y a pas à l'échelle du pays d'organisations politiques représentant ce mouvement. Andry Rajoelina, maire de la capitale, Tananarive, apparaît comme le "sauveur" ou est promu comme tel par les secteurs de la bourgeoisie Mérina qui s'estiment spoliés par la "bonne gouvernance" présidentielle. La tradition Arema dans l'armée penche et joue en sa faveur, Roland Ratisraka, cousin de l'ancien président Didier Ratsiraka, est sorti de l'ombre, et par ailleurs les héritiers politiques des partis de gauche qui ont été au coeur des révolutions de 1973 et de 1991 se sont positionnés dans "le camp du maire". La jeunesse soutient en masse "Andry", qui organise ses troupes, trés ouvertement, sur le mode d'un fan club (c'est un ancien disk jokey et animateur de radio).

Dans les faits le pouvoir est vacant. Les fonctionnaires et même les ministres ne se rendent plus dans leurs ministères. Il faut savoir d'autre part qu'il n'y a plus d'ambassadeur de France à Madagascar depuis juillet 2008, M. l'ambassadeur ayant démissionné et s'étant retiré suite au refus des autorités malgache de venir commémorer, comme cela se faisait jusque là, le 14 juillet à l'ambassade. Cette crise picrocholine traduit l'affaiblissement de l'impérialisme français et ses velléités d'y réagir. L'intérim de l'ambassadeur est assuré par une représentante consulaire très critiquée par les nombreux ressortissants français (25 000 personnes et leurs familles) auxquels il est conseillé de quitter le pays mais qui n'en ont nullement l'intention, et dont beaucoup estimant que "la France est aux abonnés absents" voudraient qu'elles se prononce et fasse pencher la balance soit dans un sens, soit dans l'autre ...

Comme on le sait, le maire de Tana s'est proclamé président. Ravalomana en riposte a destitué le Maire, nommé de nouveaux chefs de fonkontany (quartiers) sur la communauté urbaine d'Antananarivo (ce qui a suscité en réaction la formation de comités de quartiers contre lui), mettant cette communauté par délégation spéciale sous le pouvoir d'un "président", Guy Randrianarisoa, alors que dans le même temps Andry Rajoelina intronisait Michèle Ratsivalaka, son adjointe, à sa place tout en appelant la population à désigner leurs chefs de fonkontany dans les 196 qui composent l'agglomération. Et il a mis en place une "autorité de transition" qui, semble-t'il, se réunit (à la différence des ministères désertés) que préside Monja Roindefo, qui est le fils du vieux chef nationaliste du Monima, aujourd'hui décédé, Monja Joana.

Le 7 février au palais présidentiel d'Ambahitsorohitra, la manifestation "pour la mise en place d'une charte de transition pour une 4ème République" s'est terminée dans un bain de sang : 28 morts officiels, semble t-il plutôt une quarantaine et plus de 300 blessées par balles, soignés avec une efficacité frappante car rare, due à la solidarités, les gens faisant la queue pour donner leur sang. C'est une garde prétorienne renforcée de mercenaires sud africains qui a tiré à balles réelles sans sommation sur la manifestation au moment précis où la délégation du maire, éconduite, rejoignait la foule. Aprés la manifestation de deuil, le président a rassemblé ses partisans au stade municipal, mais beaucoup de ceux qui s'y rendaient étaient payés pour venir, 5000 ariary (la nouvelle monnaie dévaluée qui a pris la place du franc malgache), dont 2500 leurs étaient remis à l'entrée, le reste à la sortie contre restitution de leur carte d'identité ...

Il n'y a pas d'issue légale : la constitution est verrouillé en faveur du Président, le jeune maire n'a pas l'âge légal pour être président (!), l'armée est divisée comme en témoigne la démission de la ministre de la défense Manorohanta Cécile. L'ambassade de France aussi vacante que les ministères de Ravalomana appelle officiellement au calme et au dialogue, les chefs d'Etat africains soutiennent bruyamment Ravalomana car ils craignent cet exemple. C'est le pouvoir qui a sollciité la médiation des églises, ce qui est déjà une forme de recul de sa part, d'une part parce qu'indirectement il accepte de sembler discuter, d'autre part parce que les églises (catholique et réformée) Mérina sont hostiles à ses acointances "évangéliques" et par là nord-américaines. L'on commence à parler de transition pacifique ou de passation des pouvoirs, ce dont Ravalomana fort du soutien de ses pairs africains ne veut pas entendre parler.

Tels sont les paramètres du moment présent. Voila pourquoi il faut d'un côté garder la tête froide et comprendre que la crise sera de longue durée. C'est une sensation étrange pour les anciens de voir revenir le contenu de la révolution de 1973 -pour une indépendance nationale totale et réelle- en l'absence complète de tout parti, de toute organisation politique permettant à ces masses de s'organiser. Mais, elles le font quand même, et il faut les aider. L'indépendance totale, c'est l'indépendance envers ce capitalisme aujourd'hui en crise. Ce vieux contenu a fusionné avec l'exigence de démocratie piétinnée par les présidents qui se sont succédés. A Madagascar on en a déjà renversé quelques uns, de présidents. Ce dont il est question aujourd'hui, c'est, sur fond de crise mondiale, une vraie révolution à Madagascar, qui n'aurait pas une portée seulement malgache !

Une autre chose est certaine. Le gouvernement Sarkozy à la botte des bailleurs de fonds ne dénonce pas les graves atteintes aux droits de l'homme du président devenu dictateur Marc Ravolomanana. Il espère se réconcilier avec ce régime, comme ailleurs en Afrique il tente de racheter (au sens littéral du mot "racheter") les Kabila, les Kadhafi, et même le gouvernement tutsi du Ruanda. Il en est là, et, ce faisant, il piétinne les droits de l'homme autant que ses prédécesseurs. Contre notre propre impérialisme, contre celui des Etats-Unis, contre les trusts chinois et coréens, soutien au peuple malgache : le combat pour son indépendance totale rejoint celui de tous les opprimés du monde !

Bernard Grangeon le 15.02.2009

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