GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Femmes et retraite à points : ne pas être dupes

En présentant  le 17 juillet son rapport de préconisations, Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites, a mis en avant l’avancée que ses propositions représenteraient pour les femmes. Mais rien n’est moins sûr.

On le sait, l’objectif du gouvernement est de mettre en place un système de cotisations par points permettant de jouer sur la dépense finale, la valeur du point pouvant évoluer. Selon Guillaume Duval, « si on veut en particulier réduire la part du PIB consacrée aux retraites comme c’est l’obsession de Bercy et des partisans de la baisse des dépenses publiques, il vaut beaucoup mieux un système par points comme celui que propose Jean-Paul Delevoye » (Alternatives économiques, septembre 2019).

Mais pour vendre ce système, Delevoye se livre à un véritable exercice de déplacement de l’attention, voire de manipulation lexicale. Ah, le service de com a bien fait son boulot et, dans ce rapport, la dénomination « système universel » (347 occurrences) est venu remplacer  la dénomination « système par points ». On veut nous mettre dans la tête  que le premier objectif est un objectif d’équité ! On comprend mieux pourquoi la question des femmes fait aujourd’hui irruption comme une sorte d’argument de vente.

Mais, en regardant de près, l’argument apparaît comme largement fallacieux.

« Un système dans lequel les retraites sont le reflet  des carrières professionnelles »  ou « A carrières inégales, pensions inégales »

Jean-Paul Delevoye voudrait faire de cette première assertion un gage d’équité et de transparence, Pourtant on comprend facilement que l’abandon du principe de définir le montant de la retraite sur les meilleures années d’une carrière – aujourd’hui 25 années dans le privé et les six derniers mois dans le public – va pénaliser les personnes ayant des carrières heurtées.

Affirmer que les femmes en seront bénéficiaires c’est mal comprendre que les écarts  de salaires existant aujourd’hui entre les femmes et les hommes (24 %) sont non seulement le résultat de discriminations « sèches » : « à travail égal salaire inégal » (9 % d’écart), mais également à des différences dans les trajectoires d’emploi et de carrière : des promotions plus tardives, des ruptures et des reprises d’emploi... C’est également oublier qu’une grande partie de cette disparité est liée à des périodes à temps partiel notamment pour consacrer du temps aux enfants. « Cette réforme est une arme de guerre contre les femmes, dénonce Catherine Perret à la CGT. La règle des 25 meilleures années protège des accidents de la vie. »

« Les droits liés à la présence d’enfants au foyer seront revisités de façon à les orienter vers le parent qui subit le plus de conséquences sur sa carrière, le plus souvent des femmes. » ou « quand la notion de parent masque les inégalités entre femmes et hommes »

Aujourd’hui, les droits  principaux liés aux enfants consistent en des majorations de durée d'assurance : quatre trimestres de cotisations sont  attribués par enfant à la mère  dès le premier enfant au titre de la maternité ainsi que quatre trimestres pour l’éducation,  attribués au choix à la mère ou le père. Par ailleurs, une  majoration de 10 % de la pension est attribuée aux deux parents à partir du troisième enfant.

Il est certainement intéressant qu’une majoration de la pension de 5 % par enfant soit attribuée dès le premier enfant – et nul besoin d’un système par points pour cela. Mais dire qu’il s’agit de « mieux orienter vers le parent qui subit le plus les conséquences sur sa carrière, le plus souvent les femmes », alors là, ce n’est encore que de la com' et une contre-vérité. En effet, « l’attribution de cette majoration à l’un ou l’autre des parents sera librement décidée par le couple » . Compte tenu de l’écart des pensions entre les hommes et les femmes, il apparaîtra plus intéressant « d’orienter »  cette majoration de 10 % vers le conjoint qui aura la pension la plus élevée... « le plus souvent les hommes » !

Le choix, s’il est exprimé, doit en outre l’être aux quatre ans de l’enfant. Comme le dit bien Catherine Perret, « Delevoye veut transformer les points liés à la maternité - donc réservés aux femmes - à des points liés à l’éducation, à répartir au sein du couple. Mais, à la fin, un couple sur deux divorce... ».

« Garantir le niveau de vie du conjoint survivant » ou « pension de réversion, sortons les calculettes»

Ils jureront leurs grands dieux que jamais il n’avait été question de les supprimer mais, en juin 2018, un document de travail du Haut-commissariat à la réforme des retraites posait  la question sans fard : « Compte tenu des évolutions en matière de taux d'emploi des femmes et de conjugalité, doit-on maintenir des pensions de réversion ? ». Cela avait soulevé un tollé. En effet, sans ces pensions, l’écart entre le niveau moyen des pensions entre les femmes et les hommes passe de 25 % à 39 %. Abandonner les réversions, c’était accentuer visiblement les disparités entre femmes et hommes. Considérons donc comme une première victoire le maintien du principe de pension de réversion.

La nouvelle règle retenue est que le conjoint survivant puisse continuer à  percevoir  70 % des revenus du ménage. Les règles d’attribution actuelles sont assez différentes selon les régimes, il est donc difficile de faire des généralités sur les comparaisons de situations ; on peut toutefois faire quelques constats. Et tout d’abord noter quelques  alignements par le bas :

- les pensions de reversions ne pourront être perçues par le conjoint survivant qu’à partir de 62 ans au lieu de 55 ans actuellement pour le secteur privé (et pas de condition d’âge dans le public) ;

- le divorce mettra fin automatiquement au droit à réversion (aujourd’hui les ex-conjoints peuvent avoir droit à réversion, parfois tant qu’il ne sont pas à nouveau en couple) ;

- aucune extension aux personnes pacsées ou en concubinage n'est prévue, alors que de nombreuses voix s’étaient élevées pour le demander.

Quant aux montants il y aura des gagnants, il y aura aussi des perdants. Saluons le fait qu’il n’y aura plus de condition de ressources . Enfin, pour être exacte, il y aura réversion tant que le montant de la retraite du conjoint survivant ne représente pas plus de 70 % des montants perçus par le couple.

Le document de préconisations prend la situation d’un couple où un conjoint touche 2 000 euros de retraite et l’autre 850 ; le bénéfice entre la situation actuelle et la situation à venir – à condition que le mari ne meure pas avant les 62 ans de sa femme ! – est de... 30 euros par mois ! Et ce, même si une habile présentation laisse à penser qu’il y a une différence de 850 euros...

En revanche, si l’on prend le cas de deux fonctionnaires touchant une retraite similaire, on comprendra que 70 % du montant global à partir de 62 ans, représente moins que les 75 % actuels (une retraite + 50 % de la retraite du conjoint décédé) et ceci sans condition d’âge.

Grosso modo, par rapport aux systèmes actuels, ce système sera favorable aux personnes qui percevaient  une retraite nettement inférieure à leur conjoint décédé, et dans le privé aux personnes qui ont des revenus plus confortables. Mais, dans de nombreuses situations, le système amène une baisse de la pension de réversion.

Soulignons encore qu’il n’y a  nul besoin d’un système de retraite par points pour harmoniser ces droits.

Ne soyons pas dupes

Dans le bras de fer social qui s’annonce sur la réforme des retraites, l’argument de « réduire les écarts de retraite entre les femmes et les hommes » est déjà agité comme un leurre destiné à faire taire les critiques. Redisons le : Retraite par points, c’est toujours non, un point c’est tout !

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu a été publié dans une version courte dans le numéro de septembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

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