GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

La rentrée scolaire dans le rouge

Quand Gilles de Robien arrive au ministère de l'éducation nationale, le refus de la " réforme Fillon " est unanime. Le mouvement lycéen vient de manifester contre sa logique inégalitaire et ségrégative. Les organisations syndicales, les associations de parents d'élèves, les mouvements pédagogiques la refusent. Il met alors en avant ce qu'il appelle la dimension " psychologique " de sa méthode, le dialogue et l'écoute. Il rencontre beaucoup et balade ses interlocuteurs. La réforme de l'école sera appliquée dés la rentrée 2005. Ceux qui ont cru le contraire n'ont rien compris à sa définition du dialogue.

Le 5 juillet, les projets et premiers décrets d'application sont présentées Conseil Supérieur de l'éducation (CSE), qui les rejette. Il passe outre.

Un Comité Technique Paritaire Mixte (CTPM) est ensuite convoqué le 13 juillet à 14h30, avec douze points à l'ordre du jour. Les organisations syndicales demandent " le report des décrets les plus lourds d'enjeux ". Il refuse.

La loi Fillon sur l'école est donc appliquée dès cette rentrée pour certaines mesures. Les autres qui nécessitent des moyens que les restrictions budgétaires interdisent sont renvoyés à 2006. La philosophie est libérale : suppression de postes, tri social, vision utilitariste des savoirs, naturalisation des difficultés et des aptitudes scolaires des élèves. L'habillage est tout en consensus factice, égalité des chances et insertion professionnelle.

Les suppressions de postes marquent la rentrée

Classes fermées ou surchargées dans le primaire. Pour 40 000 élèves supplémentaires, à peine 700 postes de créé. Affaiblissement de la scolarité en maternelle, notamment chez les enfants de deux ans.

7 000 emplois retirés des lycées et collèges soit près du double de ce que le ministre justifie par la baisse démographique qui correspond à 3900 postes (sur la base d'un enseignant pour 12,7 élèves), 800 emplois d'administratifs supprimés (600 nets, 200 transférés aux CAF), prévision par le ministère de non réembauche de prés de 10 000 non titulaires. Tous les établissements sont touchés, y compris les ZEP.

La saignée va continuer en 2006. Le Premier ministre a annoncé un solde de - 5 000 postes dans la Fonction publique. Pour l'Education nationale il serait de - 2 700 postes dont - 3 000 pour le second degré. Le nombre de postes d'enseignants supprimés en 3 ans dans ce secteur sera alors de 18 000.

Effet d'annonce pour l'encadrement éducatif

Rentrée 2003 : - 9 000 surveillants, - 20 000 aides éducateurs, + 16 000 assistants d'éducation. Au total - 13 000 adultes dans les établissements

Rentrée 2004 : - 9 000 surveillants, - 14 000 aides éducateurs, + 13 000 assistants d'éducation. Au total - 10 000 adultes dans les établissements

Rentrée 2005 : création au budget 2005 de 9 000 emplois d'assistants d'éducation pour remplacer 9 000 MI-SE, mais rien pour remplacer les 6 600 aides éducateurs en fin de contrat.

En 3 ans, le nombre d'adultes dans les établissements du 1er et du 2nd - degré a baissé de 30 000. L'annonce du recrutement de 45 000 jeunes adultes à des "emplois de vie scolaire", dans le cadre des contrats prévus dans la loi Borloo, correspond à l'arrivée dans les établissements scolaires d'ici à la fin 2005, de 18 000 à 20 000 adultes supplémentaires. On est loin du compte. De plus, la nature des contrats des aides-éducateurs et des emplois de vie scolaire est très différente (jusqu'à cinq ans pour les premiers, de six mois à deux ans pour les seconds) tout comme les qualifications exigées (aucune pour les "emplois de vie scolaire", niveau baccalauréat pour les aides éducateurs). Des incertitudes demeurent, enfin, sur les formations proposées aux 45 000 personnes recrutées : alors que les aides-éducateurs avaient bénéficié de formations organisées par les rectorats, ce sont les ANPE qui devraient prendre en charge cette mission. C'est la précarité toujours plus grande.

Des mesures libérales

La mesure phare, très prisée à l'UMP, est celle du remplacement des absences de moins de quinze jours des enseignants. Ces remplacements doivent se faire sur la base du volontariat et de la concertation, durant un trimestre. Ensuite, les chefs d'établissements sont sommés de réquisitionner les professeurs chargés d'assurer un remplacement. L'enseignant désigné doit être prévenu au plus tard la veille du jour où il assurera le remplacement. En période de mise en place d'une culture du résultat, de restrictions budgétaires, de suppressions de postes et de chute des capacités de l'institution à remplacer les personnels absents, il faut rentabiliser le potentiel existant. Du point de vue de la qualité de l'enseignement et de la réussite des élèves, cette démarche est à la fois dangereuse et inefficace. La dégradation des conditions de travail et l'installation d'un climat délétère et conflictuel dans les établissements seront contre productives. La méthode ne tient pas compte de la continuité éducative et va transformer les remplacements en garderie. Les syndicats enseignants la refusent. Les syndicats de personnels de direction décident de répondre " à minima ". Chaque établissement doit voter son protocole en conseil d'administration d'ici octobre. Il s'agit de transformer chaque conflit en situation locale dont les personnels seraient responsables face aux parents d'élèves. La concertation n'est qu'un leurre qui relève de " la méthode psychologique " de De Robien. Elle vise à renvoyer les responsabilités sur les personnels et des erreurs de " management ".

L'école à plusieurs vitesses se met en place

Le décret relatif aux " dispositifs d'aide et de soutien pour la réussite des élèves au collège " vise à réorganiser les enseignements du collège en distinguant le socle commun des autres enseignements. C'est l'inégalité sous couvert de diversité.

L'enseignement des langues, généralisé en CE2, avant d'être étendue au CE1, adopte le " cadre commun de référence du Conseil de l'Europe ", ce qui le réduit au champ économique. La société de la connaissance se met en place selon les principes libéraux de la communauté européenne. L'organisation ségrégative des classes en groupes de compétences l'accompagne.

L'autorisation, expérimentale, de faire présider les conseils d'administration par une personnalité extérieure dans les lycées d'enseignement professionnel est acté. La dérégulation marque un point.

Décrets d'application après décrets d'application, De Robien met en place l'école libérale ou la connaissance est transformée en " facteur de production ", " capital humain " inégalement réparti. Son dérapage sur le nécessaire " égalité de moyens entre l'enseignement public et privé " rappelle l'objectif bien présent de restriction des financements publics, de transformation de l'éducation en une marchandise comme les autres et de passage de l'acquisition des savoirs à l'acquisition de compétences, utilisables rapidement, et convertibles avec les transformations du marché du travail. Le rapport Tharin sur " l'orientation et la réussite scolaire " propose, sous couvert d'harmonisation européenne, de renforcer la ségrégation sociale, d'assujettir la formation des enseignants au modèle de l'entreprise et les décisions d'orientation aux besoins à court terme du marché du travail local. Rapprocher l'école des besoins de l'entreprise afin de favoriser la compétitivité. Le crédo de l'Europe libérale est au cœur des attaques à venir.

Contre la casse de l'école

La grogne est réelle contre la dégradation des conditions de travail, la mesure " remplacement ", le non-réemploii massif des non titulaires... Dans les lycées, options et filières ont disparu faute de moyens. Les effets d'annonce se multiplient mais les personnels ne sont pas dupes. Les mobilisations se mettent en place. Le SNES/FSU appelle à la grève fin septembre/ début octobre. La FCPE lance une pétition nationale contre la casse de l'école et pour un collectif budgétaire. Les positions similaires des organisations syndicales rendent l'unité possible. De Robien va devoir passer de sa " psychologie de pacotille " au concret. Le surnom que lui ont dont donné les syndicalistes amiénois n'a jamais été aussi vrai : " Robien des bois, il prend aux pauvres pour donner aux riches ".

Philippe Verdier

Document PDF à télécharger
L’article en PDF

Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




La revue papier

Les Vidéos

En voir plus…