GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

La recherche à la casse

Après la grogne des enseignants et la fronde des intermittents du spectacle c'est le monde de la recherche qui se mobilise pour lancer un signal d'alerte à la nation.

Jamais ce secteur de n'est autant engagé : plus de 30 000 signatures à la pétition lancée par les chercheurs de Cochin, 10 000 manifestants , menace de démission collective des directeurs de laboratoire... La mobilisation des scientifiques, limitée du fait de leur nombre, ne peut certes affecter immédiatement la vie de nos concitoyens. Pourtant, l'avenir de la recherche conditionne de façon décisive, celui du pays. Le gouvernement Raffarin peut mépriser un mouvement par nature non massif. Mais la nation ne doit pas ignorer ce cri d'alarme d'un secteur déterminant pour son avenir.

Il faut donc rappeler quelques évidences.

D'abord, nous sommes entrés dans une période d'accélération fulgurante des progrès scientifiques. Ceux-ci conditionnent, par leur applications, l'ensemble de notre économie et, sur la planète, la vie de centaines de millions d'êtres humains. En matière de biologie, de micro et nano technologies, de techniques d'information et de communication, le monde est actuellement engagé dans une révolution globale et brutale qui bouleverse en quelques mois tous les secteurs de l'économie comme la vie privée de chaque personne.

En second lieu, la mondialisation s'impose y compris - et surtout - en matière de recherche scientifique. La compétition internationale qui concerne les nations comme les personnes, affecte tous les secteurs de l'économie et ses conséquences peuvent être terribles sur l'emploi. Or, aujourd'hui, l'une des armes principales de la compétition internationale, c'est l'innovation. Sa maîtrise conditionne donc l'avenir de notre économie, de nos emplois, de notre société.

Face à cette réalité, la situation de la recherche en France est contrastée. D'un côté notre pays a une recherche qui bénéficie dans le monde d'une bonne réputation. Ses grandes institutions, l'INSERM, le CNRS, l'INRA, les Labos Universitaires ont une reconnaissance internationale dans des domaines majeurs. Sur le papier, la France consacre plus de 1,03% de son PIB à la recherche et fait mieux que la plupart des pays d'Europe.

Mais, depuis plusieurs années l'engagement public en faveur de la recherche s'est affaibli. Et depuis deux ans les chercheurs subissent un effondrement de leurs moyens financiers à l'heure où doit se préparer la relève des générations. La recherche française, incapable de retenir ses jeunes cerveaux n'a pas les moyens de faire face aux enjeux futurs, en particulier en biologie. De même, la France ne soutient pas suffisamment la micro électronique et les nano technologies qui conditionnent directement l'avenir de toutes les branches industrielles de la prochaine décennie. Lorsque nous apportons à ce secteur moins de 200 Millions d'Euros, le Japon engage I,2 milliard de dollars et les Etats Unis de 3 à 4 milliards de dollars d'argent public. Ces disparités annoncent des décrochages irrémédiables aux lourdes conséquences industrielles qui, selon la formule de l'économie Elie Cohen, « feront basculer notre pays du stade de l'innovation à celui de l'imitation ».

Si on ajoute à ces données l'effort massif en faveur de la recherche et de l'enseignement supérieur engagé par les deux grands pays milliardaires en habitants, la Chine et l'Inde, la première dans la conquête spatiale et les biologies, la seconde dans les sciences de l'information, on imagine la nouvelle géographie économique du monde de demain.

Le gouvernement Raffarin s'enferme dans une attitude à courte vue et dogmatique. A courte vue car sa gestion comptable coupe l'élan à des programmes de recherche qui, par nature, s'inscrivent dans la durée. Dogmatique car son inspiration majeure c'est l'abandon, à terme, par l'Etat, de la recherche et sa prise en charge par le privé. L'idéologie libérale fait donc des ravages aussi dans le secteur de la recherche alors même que nos principaux concurrents, notamment américains, font le contraire.

Quant à la gauche, en quête d'une légitimité qui reste encore à construire, elle doit poser les questions fondatrices d'un grand projet pour la recherche, point central de l'innovation des sociétés modernes. Cela signifie concrètement des réponses à quelques grandes questions :

  • Le repositionnement philosophique de la science au cœur d'une société qui a perdu ses repères
  • La reconnaissance du rôle de la recherche au sein de la société française afin de consolider sa fonction sociale.
  • l'articulation de la recherche publique renforcée et de la recherche privée dynamisée.
  • La rénovation constructive des grandes institutions de recherche avec la définition d'un statut des chercheurs permettant de faire face au double défi de la relève démographique et de la fuite des cerveaux.
  • La mise en œuvre d'une politique publique durable de soutien à la recherche définie par une loi de programmation pluriannuelle
  • La création d'une institution financière publique autonome garantissant la continuité du soutien financier public
  • L'affirmation de l'Etat comme instrument privilégié de conduite d'une politique volontariste de soutien à la recherche.
  • Et, en premier lieu, l'organisation d'une large consultation réunissant les chercheurs et les citoyens dans le cadre d'Etats Généraux de la Recherche permettant renouer les liens indispensables entre les chercheurs et la nation.
  • Nous sommes donc bien loin de simples revendications catégorielles d'une corporation agitée par des états d'âme. Les questions posées par les chercheurs sont fondamentales pour l'avenir de la nation. Elles peuvent être l'occasion d'une démarche démocratique exemplaire. Le travail de refondation qui s'impose à la gauche doit nous conduire à ouvrir aussi ce chantier là.

    Claude SAUNIER

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