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La grève générale de 1918 en Suisse

En Suisse, on vient de commémorer le 100e anniversaire de la grève générale de 1918 (du 12 au 14 novembre), la seule de toute l’histoire. Durant des décennies, de nombreux historiens ont prétendu que cette grève générale avait été un échec. Dirigé par Adrian Zimmermann et l’auteur de ces lignes, un ouvrage qui vient de sortir montre que la réalité est plus nuancée.

La grève générale ne s’est certes pas terminée par une victoire à court terme. La répression exercée par l’armée fut souvent brutale, en particulier à Granges, où trois jeunes horlogers perdirent la vie sous les balles de troupes vaudoises.

Deux acquis immédiats

Mais la gauche socialiste et syndicale a rapidement obtenu satisfaction à propos de deux revendications. Tout d’abord, le passage du système majoritaire à la proportionnelle pour l’élection du Conseil national (dès les élections de 1919), réforme qui permit au PS de doubler sa représentation. Ensuite, et surtout, la réduction de la durée hebdomadaire du travail de 59 à 48 heures. Ce fut une véritable révolution, dont on perçoit mal aujourd’hui les sentiments de joie qu’elle déclencha au sein du monde ouvrier.

Retraite et suffrage féminin

Il fallut en revanche beaucoup plus de temps pour que deux autres revendications soient mises en œuvre. D’une part, l’Assurance-vieillesse et survivants (AVS), la partie publique du régime des retraites, acceptée par le peuple en 1947 et qui entre en vigueur en 1948. D’autre part, le suffrage féminin, qui fut introduit... en 1971 ! Cela montre que la grève générale a fortement marqué de son empreinte le paysage sociopolitique de la Suisse du XXe siècle. Il y a quelques années, Paul Rechsteiner, président de l’Union syndicale suisse (USS), est allé encore plus loin, en affirmant que « c’est la grève générale de 1918 qui a écrit le programme social et politique du XXe siècle suisse ». Effectivement, sans ces 250 000 ouvriers qui cessèrent le travail, la Suisse sociale ne serait peut-être pas encore née.

La grève générale de 1918 a joué un rôle plus important en Suisse alémanique que dans les cantons latins. Mais ce grand mouvement social a aussi eu un impact dans plusieurs régions de Suisse romande. La grève fut importante à Genève et dans lArc jurassien (spécialement à La Chaux-de-Fonds, à Bienne, dans le Jura bernois et à Delémo’nt). Ces régions avaient connu une industrialisation précoce et le taux de syndicalisation y était élevé.

Renaissance des grèves

Pour en revenir aux revendications de la grève de 1918, trois d’entre elles ont des prolongements jusqu’à nos jours :

  • Cent ans plus tard, la durée du travail hebdomadaire est de 45 heures – soit trois heures de moins en l’espace d’un siècle ! –, même si, depuis la deuxième partie des années 1980, la semaine de 40 heures a été introduite dans plusieurs conventions collectives de travail (CCT) : industrie des machines, horlogerie, bâtiment, etc. Mais avec plus de 1 800 heures par année, la Suisse dispose de l’une des plus longues durées effectives du travail d’Europe. Pire encore, en septembre dernier, la commission de l’économie du Conseil des États (le Sénat suisse) a proposé que les spécialistes et les cadres soient exclus des dispositions protectrices sur le temps de travail. La limite légale de 45 heures serait ainsi supprimée pour 40 % des salariés, soit 1,4 million de personnes !
  • Cent ans après que les grévistes ont revendiqué la création de l’AVS, notre plus importante assurance sociale subit d’importantes attaques, en ce qui concerne notamment l’âge de la retraite, que la droite veut porter de 64 à 65 ans pour les femmes, voire à 67 ans pour tout le monde.
  • Cent ans après la grève générale et près de 50 ans après avoir conquis le droit de vote, les femmes sont encore très minoritaires dans les instances politiques et dans les postes de cadre. Avec 39,6 % de femmes au Conseil national, la Suisse se classe ainsi au 37erang mondial en ce qui concerne la représentation féminine dans les chambres basses. Et, 38 ans après l’adoption d’un article constitutionnel sur l’égalité, les femmes gagnent toujours 20 % de moins que les hommes.

La grève générale reste enfin d’actualité en tant qu’instrument de lutte. Ce dernier quart de siècle, l’intensité des grèves a diminué en Europe, mais cette affirmation doit être nuancée selon les pays, Et des grèves générales ont eu lieu dans des pays émergents, en 2016 en Inde (150 à 180 millions de participants) et en 2017 au Brésil (40 millions). En Suisse, on a recensé une nouvelle vague de grèves à partir du milieu des années 1990. La plus emblématique a été celle des travailleurs du bâtiment, en 2002, qui leur a permis d’obtenir la retraite à 60 ans. Cette conquête est aujourd’hui attaquée par le patronat, ce qui a déclenché un nouveau cycle de grèves.

Cet article de notre ami Jean-Claude Rennwald (ancien député PS au Conseil national suisse, militant socialiste et syndical) est à retrouver dans le numéro de novembre 2018 de la revue Démocratie&Socialisme

Jean-Claude Rennwald & Adrian Zimmermann (dirs), La Grève générale de 1918 en Suisse. Histoire et répercussions, Éditions Alphil, coll. Focus n° 25, paru le 25 octobre 2018.

Pour commander l’ouvrage : https://www.alphil.com

 

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