GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

La fabuleuse invention des "auto entrepreneurs"

Le 1er chapitre du texte LME est consacré

au statut de l’entrepreneur individuel,

on pourrait croire que ce texte

qui ressemble à un simple élargissement

des mesures qui se succèdent depuis plusieurs

années pour simplifier la situation

administrative des micro- entrepreneurs est

anodin et purement technique. En effet, il

ne modifie pas radicalement le mode de

calcul ou le montant des prélèvements des

micro-entrepreneurs mais élargit la possibilité

de les régler mensuellement sans régularisation

ultérieure.

En quoi cette mesure mérite-t-elle le titre

1er de la loi de modernisation de l’économie

et pourquoi est elle présentée comme innovante.

Parce que :

  • Elle intègre une modification du calcul et
  • du mode de paiement de l’impôt sur le

    revenu d’une catégorie de contribuables.

    Les travailleurs non-salariés au régime

    micro pourront s’acquitter de leur impôt

    sur le revenu par versement libératoire (art.

    161-0 du CGI).

  • Elle dispense d’immatriculation, les personnes
  • qui ont une activité indépendante à

    titre principal ou complémentaire avec un

    chiffre d’affaires ne dépassant pas la limite

    du régime micro entreprise. Cette réforme

    implique que ces personnes n’ont pas

    d’obligation formelle de contracter une

    assurance.

  • Elle élargit la protection du patrimoine personnel
  • de l’entrepreneur individuel à tout

    bien foncier bâti ou non bâti non affecté à

    un usage professionnel grâce à une déclaration

    d’insaisissabilité.

  • Elle élargit la possibilité d’exercer une activité
  • y compris commerciale et de recevoir

    des clients à son domicile (en rez-de-chaussée)

    sans modification du bail d’habitation.

  • Elle crée aussi l’effacement de la dette
  • résultant de l’engagement que des personnes

    physiques en situation de surendettement

    ont donné de cautionner ou

    d’acquitter solidairement la dette d’un

    entrepreneur individuel ou d’une société.

    On assiste à la création d’un nouveau

    sous-prolétariat et à la suppression progressive

    des règles de protection du

    consommateur.

    Qu’est-ce, au juste, qu’un «micro-entrepreneur

    » ?

    Il s’agit d’un indépendant dont le chiffre

    d’affaires encaissé (les recettes) durant

    l’année ne dépasse pas la limite de 32 000€

    pour des prestations de services ou 76 300€

    pour de ventes de biens. (32000€ et

    80000€ à compter de 1/1/2009). Ces très

    petites entreprises « bénéficient » d’un

    mode de calcul très simplifié de leur bénéfice

    qui, comme pour tous les travailleurs

    indépendants, constitue le revenu imposable

    et assujetti aux cotisations sociales.

    En effet, ce bénéfice est calculé en déduisant

    des recettes des charges évaluées forfaitairement.

    Exemple : un petit artisan

    réalise un montant de recettes annuel de

    26000€, ses charges déductibles s’élèvent

    à 50%. Son revenu imposable et assujetti à

    cotisations sociales est de 13000€. Le

    pourcentage applicable est de 71% sur les

    ventes de biens, de 50% sur les services, et

    de 34% sur les activités libérales.

    Le micro-entrepreneur n’est pas assujetti à

    la TVA, a une comptabilité très réduite,

    aucune déclaration spécifique à produire

    pour son entreprise et note simplement le

    montant de ses recettes annuelles sur sa

    déclaration d’impôt sur le revenu.

    L’administration fiscale s’occupe de calculer

    l’abattement.

    « Ce régime est simple » nous dit le dossier

    de presse, certes, mais, la simplification

    n’est pas un critère en soi et n’est pas

    toujours avantageuse. Selon le fonctionnement

    réel de la très petite entreprise le %

    défini par l’administration fiscale peut correspondre

    à la réalité ou être totalement

    sous-estimé. Le micro-entrepreneur ne

    tenant qu’une comptabilité réduite à sa plus

    simple expression et ne bénéficiant pas de

    l’aide d’un professionnel peut se retrouver

    avec un revenu déclaré largement plus

    élevé que le revenu réellement perçu, sans

    même le savoir. En effet, si le petit artisan

    décrit dans l’exemple précédent, a en réalité

    60% de charges, son revenu réel s’élève

    à 10 400 et son revenu imposable et assujetti

    à cotisations est de 13 000 €.

    « C’est un système simple, lisible et sans

    mauvaise surprise. D’autant qu’il permet

    d’être affilié à la sécurité sociale et de valider

    des trimestres pour sa retraite,… Avec

    des taux fiscaux et sociaux globaux réduits

    à 13 % (pour le commerce) et à 23 % (pour

    les services), le régime est incitatif pour

    l’auto entrepreneur ». Les taux de 13 % et

    de 23 % correspondent exactement aux

    actuels taux des cotisations sociales des

    micro entrepreneurs appliqués sur les

    recettes :

    Un commerçant a un taux de cotisations de

    45% de son revenu. S’il est au régime

    micro, son revenu correspond à 29% de ses

    recettes : les cotisations sont donc de 45%

    de 29% des recettes, soit 13%.

    Un prestataire de services a un taux de cotisations

    de 46% de son revenu avec une

    revenu «micro» de 50% de ses recettes,

    nous arrivons directement à 23%.

    Mais ces taux incluent désormais une part

    d’impôt sur le revenu puisque le texte nous

    donne des taux d’imposition sur le revenu

    de 1% pour les commerçants, de 1,7%

    pour les prestataires de services et de 2,2%

    pour les professions libérales.

    Nous assistons à un transfert des cotisations

    sociales vers les impôts. Or, une grande

    partie des micro-entrepreneurs avait un

    revenu insuffisant pour être imposables.

    Le prélèvement libératoire exclut la prise

    en compte de la situation familiale ou

    sociale du contribuable et la progressivité

    de l’impôt. Le versement libératoire de

    l’impôt ainsi calculé est pénalisant pour

    tous les contribuables les plus modestes

    (non imposables ou imposés à un taux inférieur

    à 5,5%). Le versement libératoire ne

    prend pas en compte le quotient familial et

    à revenu égal la famille monoparentale

    paiera le même montant que le couple avec

    enfants ou le célibataire. Le code général

    des impôts, dans son article 193, précise

    que «Le revenu imposable est pour le calcul

    de l’impôt sur le revenu divisé en un

    certain nombre de parts…, d’après la situation

    et les charges de famille du contribuable

    ». L’imposition de l’auto

    entrepreneur sortira donc du champ d’application

    du code général des impôts ou

    donnera-elle lieu à dérogation ? Autre nouveauté

    présentée, une fois de plus, comme

    un avantage important pour le micro-entrepreneur,

    la suppression du forfait minimum

    d’assurance maladie (calculé sur 40% du

    plafond de la Sécurité sociale) qui permet

    de bénéficier de la couverture sociale.

    Encore une excellente nouvelle? Pas si sûr.

    Ce forfait étant désormais supprimé, le

    micro entrepreneur dont le revenu est inférieur

    à 40% du plafond sera-t-il encore

    couvert par l’assurance maladie du régime

    social des indépendants ?

    Pour 2008, les 40% du plafond correspondent

    à 13 310 €, donc, le petit artisan de

    l’exemple ne serait pas couvert, aucune

    importance, il a réalisé une économie

    142€. Mais qu’il se rassure, le Régime

    Social des Indépendants lui conseille, si

    son revenu est insuffisant (ou s’il est bénéficiaire

    du RMI), de demander la CMU.

    Qu’en est-il du pluriactif cumulant des activités

    à statut social différent : salarié et

    micro-entrepreneur?

    C’est pour cette catégorie de personnes

    qu’avait été créé initialement le régime

    micro (avec des recettes limitées à

    70000 francs). Ce régime concernait

    alors la personne qui organisait des

    réunions Tupperware après sa journée de

    travail, ou toute autre petite activité destinée

    à arrondir les fins de mois.

    Le salariat à temps plein était alors la situation

    la plus courante et le chômage était

    faible. Les petits boulots sont devenus,

    pour une part grandissante des travailleurs

    sans emploi, l’activité principale et le régime

    micro est arrivé sur le devant de la

    scène, s’est étoffé et a fini par remplacer

    l’ancien régime fiscal du forfait.

    Parallèlement, les salaires à temps partiel et

    les bas salaires se sont développés et

    nombre de salariés sont maintenant obligés

    de cumuler plusieurs emplois ou plusieurs

    activités. Une partie des salariés pauvres ou

    des demandeurs d’emploi arrive à l’âge de

    la retraite sans avoir atteint le nombre d’années

    de cotisations (40, 41…) et sont obligés

    de travailler pour compléter une

    pension très insuffisante pour vivre.

    Créer leur petite activité leur permettra de

    proposer leurs services à des particuliers ou

    à des employeurs sans leur « imposer » les

    contraintes du contrat de travail. Et la

    boucle est bouclée. Le régime de l’autoentrepreneur

    permettra à l’ensemble de ces

    personnes d’exercer leur activité sans

    immatriculation (simple information au

    CFE), de payer cotisations et impôts par

    versement libératoire et de supprimer les

    contraintes et contrôles administratifs.

    En revanche, ces personnes qui jusqu’à

    présent, après immatriculation en bonne et

    due forme, ne payaient que des cotisations

    complémentaires à celles de leur revenu

    principal, seront dans le nouveau cadre,

    assujetties à la totalité.

    Ces mesures peuvent avoir un intérêt individuel

    certain pour des personnes en grande

    difficulté qui ont besoin d’un revenu

    supplémentaire, car de nombreuses entreprises

    préfèreront confier du travail à un

    auto-entrepreneur payé « à la tâche »

    qu’embaucher un salarié. Le Medef s’ingénie

    à casser le salariat et ses droits collectifs

    pour en revenir par tout moyen à des

    loueurs de bras plus ou moins dissimulés…

    Marie-Christine Aragon

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