GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

L'incontournable réduction du temps de travail

Au rythme actuel, nous allons tout droit vers un million de chômeurs supplémentaires à la

fin de l’année. Un million de chômeurs supplémentaires selon le chiffre officiel (la catégorie

1 de l’INSEE). Et donc vers un total véritable de plus de 5 millions de chômeurs. Car ce qu’occulte

ce chiffre officiel, ce sont les chômeurs découragés qui ne sont même plus inscrit à

l’ANPE mais aussi les travailleurs qui ne bénéficient que d’emplois «en pointillé» (CDD, intérim,

contrats aidés, contrats saisonniers…) ou d’emplois à temps partiels. Ces deux dernières

catégories représentent à elles seules (chiffres de Denis Clerc - CAES magazine n° 90) 80%

des travailleurs pauvres (dont le revenu est inférieur à 880 euros par mois pour une personne

seule), soit 1,6 million de salariés. Et, comme le remarque avec force Denis Clerc, ces

emplois ne sont pas le fruit du hasard puisqu’ils correspondent aux politiques patronales mais

aussi aux politiques gouvernementales qui subventionnent ces types d’emplois.

Il n’est plus possible, en effet, comme dans les années

1980 ou même 1990 de ne pas considérer comme demandeurs

d’emplois (d’emplois à temps plein et à salaire

décent) ces centaines de milliers de salariés précaires. Ils

remplissent d’ailleurs la même fonction que les chômeurs de

la catégorie 1 de l’INSEE pour le capital, celui d’une armée

de réserve qui pèse sur les salaires et les conditions de travail.

Et c’est pour cela que le patronat, comme le gouvernement,

malgré toutes leurs déclarations réitérées, la main sur

le coeur, de vouloir lutter contre le chômage et la précarité, y

tiennent, en réalité, comme à la prunelle de leurs yeux.

Une pandémie de paresse

Pour expliquer le chômage, la droite n’a, sur le fond, qu’une

seule explication : les chômeurs sont des fainéants. Tant

qu’ils ne sont pas obligés de travailler, ils ne travaillent pas.

C’est pourquoi, il faut baisser au maximum les allocations

chômage, pourtant conçues, dans notre pays, comme une

assurance collective contre le chômage, contrepartie du

«droit au travail» inscrit dans le préambule de la

Constitution.

Comment peuvent-ils expliquer, dans ce cas, qu’avec des

montants d’allocations différents le chômage augmente dans

tous les pays de l’Union européenne sans qu’il y ait la

moindre relation entre cette augmentation et le montant des

allocations versées dans chacun des pays ?

Comment expliquer, autrement que par une pandémie de

paresse, l’arrivée de ce million de chômeurs supplémentaires

dans notre pays en 2009 ?

La droite a une autre explication en réserve : la flexibilité du

travail. Plus le travail est flexible, précaire, moins il y a de

chômeurs. Cela ne reposait déjà sur aucun constat sérieux

avant la crise. Avec l’arrivée et l’extension de la crise, c’est

bien pire : plus les contrats de travail sont précaires (il suffit

de constater le sort réservé en France aux intérimaires et aux

CDD), plus les salariés vont rapidement rejoindre les rangs

des chômeurs.

Oui, mais nous disent les libéraux: demain, lors de la reprise,

ils seront les premiers à être réembauchés… Demain ?

Les derniers seront les premiers, comme au Paradis ?

Un autre argument des néolibéraux pour expliquer le chômage,

c’est l’inadéquation de l’offre de travail à la demande

de travail. Le fossé qui existe entre les deux ne pourrait être

comblé que par la formation (professionnelle, scolaire et

universitaire). Cet argument n’est que poudre aux yeux. Il a,

en fait, une double fonction. La première est de libérer le

patronat d’une bonne partie du coût de la formation professionnelle.

La deuxième est de faire croire que les emplois

existent mais que s’il y a des chômeurs, c’est dû (outre la

paresse et les allocations) à l’inadéquation de la demande, à

la formation inadaptée des demandeurs d’emplois. Au cours

des années 1970, avant l’arrivée du chômage de masse, les

salariés qui arrivaient sur le marché du travail n’étaient pas

plus (plutôt moins d’ailleurs) adaptés aux emplois qu’ils

auraient à occuper. Mais, à ce moment-là, le patronat prenait

en charge, dans l’entreprise, l’adaptation des salariés à leurs

postes de travail. Aujourd’hui, profitant, du chômage de

masse, le patronat n’accepte plus de financer ces dépenses.

Il veut, d’emblée, des salariés expérimentés (ce qui explique

en partie le chômage des jeunes) et immédiatement opérationnels.

Il a réussi à transférer l’essentiel des coûts de formation

sur les salariés (ou futur salariés) ou sur la société

(école, université).

La formation

ne crée pas d’emplois

Quant aux emplois, censés exister et être destinés à tous les

chômeurs sous réserve qu’ils se forment, ils n’ont qu’une

très mince réalité.

La propagande régulière du patronat et du gouvernement sur

les dizaines de milliers d’emplois qui ne trouveraient pas

preneurs, repose sur des approximations grossières : des

« sondages » auprès de chefs d’entreprises, des emplois dont

la nature et la durée (les missions d’intérim avaient une

durée moyenne inférieure à une semaine avant la crise) ne

sont jamais précisées.

La réalité est qu’il n’y a pas suffisamment d’emplois, loin de

là, pour la population en âge de travailler. En prenant au

pied de la lettre les chiffres du patronat et du gouvernement,

concernant les offres d’emplois non satisfaites, il resterait

toujours plus de 2 millions de chômeurs. Des formations qui

permettraient de répondre au plus près aux besoins des

postes de travail réellement offerts ne diminueraient que de

quelques dizaines de milliers le nombre des chômeurs. Pour

les autres bénéficiaires, elles ne feraient que changer leur

place dans la file d’attente pour l’emploi.

L’expression rebattue de « mettre le pied à l’étrier de l’emploi

» est, le plus souvent, une supercherie, car derrière

l’étrier, il n’y a pas de cheval.

Cela ne veut bien sûr pas dire qu’une formation professionnelle

(tout au long de la vie) ne soit pas nécessaire. Mais il

ne faut pas confondre les problèmes, celui de l’accès à l’emploi

et celui de l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs

emplois. Il ne faut pas non plus confondre ce qui est du ressort

de l’école et de l’université et ce qui doit être à la charge

des entreprises.

La croissance ne suffira

pas à retrouver le plein emploi

Mais, nous affirme les néolibéraux, avec la croissance, tout

s’arrangera et nous vaincrons le chômage.

Il est, tout d’abord, possible de se demander quand la croissance

renouera avec ses taux, pourtant modeste, des dernières

années. Le Japon, après la crise immobilière qui

l’avait frappé au début des années 1990, avait attendu plus

de 10 ans pour renouer (timidement) avec la croissance.

Faudra-t-il attendre 10 ans avec 5 millions de chômeurs pour

que les « mécanismes du marché » permettent de faire reculer

le chômage de masse ?

En quoi, ensuite, ces « mécanismes du marché » permettront-

ils d’en finir avec le chômage de masse ? Ce n’est pas

exactement la direction que prenait l’économie française

avant la crise. Malgré une démographie favorable (le départ

à la retraite du « Papy-boom»), le chiffre officiel ne reculait

que très lentement alors que le chiffre des « nouveaux chômeurs

» les salariés à temps partiel ou « en pointillé »

connaissait une croissance robuste et continue.

Enfin, la croissance n’est pas suffisante, à elle seule, pour

créer des emplois.

C’est ce qu’indiquent très clairement les travaux de Michel

Husson («Emploi et niveau de vie» Fondation Copernic).

Selon ces travaux, en fonction des fluctuations cycliques, le

nombre de chômeurs peut varier de façon importante mais, à

long terme, sans réduction du temps de travail, le chômage

de masse ne pourra que perdurer. Michel Husson constate,

en effet, que « Pour une durée du travail donnée, la croissance

ne crée des emplois qui si elle est supérieure à la progression

de la productivité. Et on constate justement que la

productivité a augmenté à un rythme supérieur à celui du

PIB : elle a été multipliée par 15,6 entre 1896 et 2004, et le

PIB seulement par 10,9. S’il n’y avait eu aucune réduction

du travail sur l’ensemble du siècle, l’emploi aurait considérablement

baissé, de l’ordre de 30% ».

L’économiste Jean-Marie Harribey (Politis n° 910) souligne

également : «En France, du début du XIXe siècle jusqu’à

la fin du XXe siècle, la productivité horaire du travail a

été multipliée par 30 environ, la production par 26 et le

temps de travail a été divisé par deux. Résultat : l’emploi a

été multiplié par 1,75 » et il précise : « Sur les deux derniers

siècles, en France, si la durée du travail n’avait pas été divisée

par 2 avec l’augmentation de la population qu’on a

connue […], l’emploi aurait baissé de 13 % et on aurait 14

millions de chômeurs ».

Ce qui se passe, en effet, c’est que l’augmentation de la production

est, sur le long terme, compensée par l’augmentation

de la productivité du travail (augmentation de la production

par heure de travail). C’est pourquoi, si la croissance est

nécessaire, la réduction du temps de travail est indispensable

pour extirper le chômage de masse.

Pourquoi le Parti socialiste ne s’appuie-t-il pas, aujourd’hui,

sur les 400 000 emplois supplémentaires que les lois sur les

35 heures, malgré toutes leurs limites et toutes leurs concessions

au Medef, avaient permis de créer ? Pourquoi ne s’appuie-

t-il pas sur le fait qu’à ce moment-là, pour la première

fois depuis plus de 20 ans, l’espoir d’en finir avec le chômage

de masse était vraiment devenu crédible ?

Pour renouer avec le plein emploi, il faudra donc renouer

avec la croissance et pour cela adopter des politiques diamétralement

opposées à celles des néolibéraux qui nous gouvernent

mais aussi réduire sévèrement le temps de travail,

sans diminution de salaire. D’abord, en imposant des vraies

35 heures, dans toutes les entreprises, avec embauches proportionnelles

et fixation de maxima journalier et hebdomadaire.

En allant ensuite, vers les 32 heures pour partager le

travail existant entre tous ceux qui veulent travailler. C’està-

dire en refusant le partage actuel du temps de travail : surtravail

d’un côté et sous-travail ou chômage de l’autre.

C’est un choix de société que le Parti socialiste doit, de nouveau,

affirmer avec force. Ce choix de société nécessite une

autre répartition des richesses et la volonté que les gains de

productivité réalisés chaque année ne servent plus à gonfler

les profits mais soient répartis autrement en augmentant les

salaires (directs et indirects) et en réduisant le temps de travail.

Jean-Jacques Chavigné

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