GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

L' Europe de la défense "essentielle" par rapport à l'Europe sociale ?

Laurent Fabius, mais il n'est pas le seul à se précipiter sur cette position, a écrit une tribune dans Le Monde pour faire savoir que dorénavant "l'Europe de la défense" était "essentielle" à ses yeux - avant l'Europe sociale.

Certes l'Europe fédérale, politique, que nous appelons de nos vœux devra aussi être dotée d'une politique "étrangère", et disposer de moyens de défense. Mais nul n'imagine d'investir sérieusement dans une "Europe de la défense" sans que de nombreuses conditions ne soient remplies.

Il faudrait évidemment qu'une Constitution démocratique existe. Qu'elle soit débattue et acceptée par les peuples. Il faudrait que l'intégration des 25 pays ait progressé. Ce qui représente déjà une bataille volontariste difficile mais incontournable. Il faudrait enfin que les peuples y adhérent vraiment, démocratiquement, donc qu'ils la perçoivent comme "leur" Europe sociale.

Europe de la défense ou Europe sociale ?

Sinon, on sent mal la proposition étonnante et imprécise de François Hollande faite le 31 mars devant 500 militants à Béthune, dans le débat pour le congrès de Dijon, d'étudier la façon de placer notre "force de frappe nucléaire" au service de "l'Europe de la défense".

On peut imaginer une telle "Europe de la défense" comme résultante d'une Europe fédérale et non l'inverse. Quel sens sinon, aurait le choix de placer "notre force de frappe" au service d'une Europe divisée, dans laquelle 8 pays sur 15 approuvent l'agression contre l'Irak et sont donc prêts à affronter la déstabilisation qui en résulte dans une région du monde transformée en poudrière ?

On peut imaginer qu'une telle "Europe de la défense" soit un moyen de mutualiser les coûts, et de collectiviser les décisions : en ce cas, cela relève d'une économie d'échelle et s'il faut l'accord unanime des 25 pays pour engager des armes nucléaires, c'est plutôt rassurant. Mais ce n'est apparemment pas de cela qu'il est question dans les nombreux éditoriaux, tribunes et articles qui se multiplient.

Les motivations sont bien plus contestables : il en est, par exemple, pour envisager cette fonction en toute urgence, avec un "noyau d'avant-garde" dans lequel la Grande-Bretagne aurait une place présentée comme indispensable, irremplaçable. Les mêmes, comme Laurent Fabius parlent donc d'Europe de la défense "essentielle" sans une seule seconde poser la question de l'Otan, ni de "l'Alliance atlantique". Ce serait une "Europe de la défense" sous hégémonie américaine.

Qu'est-ce qui rend "essentielle" cette soudaine préoccupation ? Cherche-t-on, "pour une autre fois", à être une composante active et "respectée" de la politique impérialiste de Washington ? Est-ce pour s'opposer ou accompagner les choix de Washington ?

Certains présentateurs insistent sur l'indépendance de l'Europe qui ne saurait exister sans projet commun de défense : mais quelle politique vis-à-vis des alliances existantes, des Usa ? Ne s'agit-il que d'être concurrentiels en matière militaire ?

Le but ne serait-il que d'avoir "les moyens" d'agir à notre tour, avec assez de force, pour mener ou partager des objectifs comme celui de l'intervention en Irak. L'Europe doit-elle s'armer, s'unir pour rivaliser sur ce terrain ? Doit-on nourrir nos "Lagardére" nos fabricants de char, nos marchands de canon en toute priorité, fabriquer un deux trois porte-avions, au détriment de nos hopitaux et de nos écoles ? Est-ce cela la réponse aux épisodes guerriers que nous venons de vivre du Kosovo au Moyen-Orient ?

Veut-on fabriquer plus de "bombes intelligentes" ?

On assiste à une campagne médiatique d'opinion en ce sens : "Chirac a t il eu raison de s'opposer ? ", "De quel poids pèse la France ? ". "Que vont devenir nos marchés dans le Golfe si nous opposons sans avoir les moyens de nous imposer ?". "Avons-nous une alternative à la soumission aux Usa ?". Tous ces discours militent sournoisement, à la fois pour "rentrer dans le rang" vis-à-vis des admonestations américaines, à la fois pour suggérer que la seule façon de s'en émanciper, c'est d'engager la course aux armements.

Les Usa dépensent à eux seuls un budget militaire égal à celui de toute la planète et vendent davantage d'armes que le reste du monde. Même après la chute du mur de Berlin ils n'ont baissé leur budget que de 2 %. Veut-on être compétitifs ?

Tout le monde sait que les 450 milliards de dollars du budget de la défense américain sont, comme le disait Eisenhower, le résultat d'un "vol" des autres budgets"sociaux"... Les 35 millions d'américains en dessous du seuil de pauvreté le doivent à la priorité donnée depuis des décennies au lobby militaro-industriel. Les tensions et dangers du monde actuel en sont aussi la résultante : car la moitié de ce budget, s'il était consacré au développement des économies arriérées, contribuerait largement à déminer de nombreux conflits régionaux. Des dizaines de millions d'humains, dans de très nombreux pays, verraient avec reconnaissance les Usa si, au lieu de donner la priorité à la vente d'armes, à l'installation de bases militaires, et au pillage de matières premières, ils organisaient le développement et la coopération.

L'Europe a bien des difficultés, depuis dix ans à donner un contenu social a son union : les projets de "charte" sociale restent vagues, ou bien sont rejetés en" annexe" aux traités, les directives sont essentiellement consacrées à démanteler le droit du travail au lieu de le rendre constitutif du droit de la concurrence. Que signifierait, dans ce cadre, de rendre l'Europe de la défense plus "essentielle" que l'Europe sociale ? Imiter les Usa, et détourner les budgets sociaux déjà insuffisants ? Donner à notre tour, au monde pauvre, l'image du choix de la force et de la guerre en priorité par rapport au développement ?

Les marchands d'armes sont-ils à l'origine de ce soudain déversement de préoccupations en faveur d'une Europe de la défense, cherchent-ils à susciter un marché à l'exemple des Usa, a créer une autre puissance et est-ce comme cela qu'ils envisagent un monde "multipolaire" ou il y aurait plusieurs "hyper puissances" ?

Pour un mouvement mondial "paix et désarmement général" :

Une course européenne aux armements, sous prétexte d'autorité, de respectabilité, de capacité à rivaliser avec Washington, en alliance ou en concurrence, serait bien évidemment un danger supplémentaire pour la planète.

Peut-on, nous dira-t-on, laisser seuls, les intégristes de Washington faire régner la terreur et aggraver le désordre mondial ? Peut-on ne pas se défendre face aux autres intégristes islamistes stimulés par l'agressivité impérialiste US et rêvant de nous attaquer nous aussi, en tant que complices et mécréants ? Mais comment se défendre ? Est-ce en alimentant l'idéologie de la course aux armements ou au contraire, en la combattant, en ouvrant une autre voie ?

Prôner la paix et le désarmement, la coopération et l'échange régulé, un monde rivalisant en matière de droits et de démocratie, demeure la seule alternative auxB 52, aux "bombes intelligentes", aux "faucheuses de marguerite" et aux bombes nucléaires.

Oui, il faut militer pour la" destruction des armes de destruction massives" à commencer par celles qui sont possédées par les Usa, et construire, c'est la seule réponse réaliste, un mouvement mondial pour la paix, base d'une nouvelle Onu rénovée, démocratisée, sur la base du principe de l'égalité entre les nations et les peuples.

Il n'y a pas d'avenir pour un nouvel ordre mondial "social" sans battre la politique, l'arrogance, les crimes des Bush et autre Blair.

Gérard Filoche

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