GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

L'étranger ne sera qu'un travailleur... précaire si possible !

Opposer immigration familiale et immigration de travail n'a aucun sens. Ni sur le plan sociologique, ni sur le plan juridique. De plus politiquement qualifier l'immigration familiale d'immigration subie et l'immigration de travail d'immigration choisie est un objectif non démocratique.

Comme la majorité de la population française, les étrangers ont besoin de travailler pour vivre. Les travailleurs salariés représentent l'écrasante majorité de la population active, qu'il s'agisse de nationaux ou d'étrangers. Travailler c'est aussi la condition de l'émancipation des femmes, Françaises ou étrangères.

Par ailleurs, sur le plan juridique c'est la reconnaissance aux travailleurs immigrés du droit de mener un vie familiale normale qui a amené le Conseil d'Etat en 1978 a imposer au législateur de mettre en œuvre la procédure de regroupement familial (arrêt GISTI).

Déconnecter ce qui relève des droits civils ou de la personne ( droit au séjour, droit à une vie familiale normale, etc...) et ce qui a trait aux droits sociaux (droit de travailler) correspond à la mise en œuvre d'un régime particulièrement anti-démocratique. C'est tout simplement le partage qu'avait choisi un temps l'Afrique du Sud de façon à se procurer une main d'œuvre misérable et docile.

Traiter les noirs africains comme des étrangers en les parquant dans des territoires autonomes et n'autoriser au séjour sous le régime du «pass» que les salariés pour des contrats de huit à neuf mois. Il ne fallait pas trop enrichir ces salariés et les obliger à des périodes d'inactivité.

Le projet Sarkosy se propose en effet de mettre en concurrence sur un marché du travail, uniquement régulé par les besoins énoncés par les employeurs, des salariés dont certains seront privés de droits fondamentaux et de la stabilité (droit au séjour) nécessaire à l'exercice plein des droits sociaux et civils. Le Gouvernement avec le CPE et le CNE veut des salariés limités à leur fonction de production privés des droits essentiels des salariés.

De la même façon, avec des salariés étrangers dont le séjour est limité aux conditions précaires du contrat, il veut offrir aux employeurs un volant de salariés démunis de droits et des possibilités de faire valoir le peu de droits qui leurs sont attribués.

Sous-couvert de rupture et de pragmatisme N.Sarkosy veut nous emmener dans cette voie en opposant immigration familiale et immigration de travail. Est-il concevable que les travailleurs n'aient pas tous les mêmes droits civils, sociaux et politiques ? La question du droit de vote des résidents étrangers reste toujours une revendication à satisfaire. Avec le projet de loi Sarkosy, non seulement on s'éloigne de cette possibilité, mais de surcroît on emprunte le chemin contraire, en divisant les droits civils et les droits sociaux.

La gauche n'a pas osé donner le droit de vote aux étrangers, mais indéniablement elle ne voulait pas briser ce lien entre droit des personnes et travailleurs étrangers. C'est une vraie différence. Souhaitons-lui tout simplement d'avoir le courage d'être ce qu'elle est, sans complexe et d'oser !

Le projet de loi discuté depuis le 2 mai 2006 à l'Assemblée nationale met en œuvre la logique suivante: les étrangers en tant que personnes auront moins de droits et connaîtront des parcours administratifs plus difficiles, tandis qu'en qualité de travailleurs ils ne seront admis sur le marché du travail qu'à la condition de n'avoir pas droit au séjour. C'est l'homme réduit à sa fonction de travailleur au seul bénéfice des employeurs. Ils espèrent ainsi mettre en concurrence les salariés entre eux et continuer à générer sur le marché du travail français un surreffectif reconduisant cette tension qui impose aux travailleurs français et étrangers une docilité et un prix de vente de leur force de travail et de leurs compétences sans cesse re-vu à la baisse.

L'Etranger est-il une personne?

Il ne faudrait pas en ce moment poser cette question à nos députés car on n'est pas sûr qu'ils répondent par l'affirmative. Avec détermination, pour lutter contre ce qu'ils nomment «l'immigration subie» c'est tout le régime de l'immigration familiale qui est déstabilisé.

Disparition des procédures de régularisation

Cela commence avec la suppression de l'accès à la carte temporaire (valable 1 an et accès libre au travail) après dix années de séjour irrégulier mais habituel en France (15 si l'on a séjourné en tant qu'étudiant). Cette disposition que la Gauche avait instituée et qui permettait de mettre fin à la situation précaire de nombreux étrangers évitait tout simplement que ne se crée une population définitivement exclue de tout droit et de toute visibilité. Voilà donc programmé le retour des îlots de pauvreté et des ghettos de sans-droits juste admis à survivre. Supprimer ce mécanisme de régularisation et refuser des opérations de régularisation massives, c'est tout simplement condamner nombre d'étrangers à une vie de « sous-hommes » à perpétuité. Rien que cela mérite de rentrer en résistance.

Gardons bien à l'esprit que la Gauche avait reculé déjà sur ce point puisqu'en 1997 elle avait remplacé l'octroi d'une carte de résident valable 10 ans par une carte de temporaire valable un an. Comme quoi, ce n'est pas en affaiblissant des principes qu'on les défend le mieux.

Par ailleurs, N.Sarkosy qui tient à adopter une posture de fermeté explique qu'il ne sera pas procéder à des mesures de régularisations massives. Cela signifie que seules demeureront possibles, au risque de se faire repérer et expulser, des régularisations au cas par cas, c'est à dire dépendant de la bonne volonté des préfets. On débouche sur des droits « clientélistes ».

Les conditions du regroupement familial sont plus strictes

C'est ensuite le droit de vivre en famille qui est rendu plus difficile. Le droit des étrangers est droit tatillon, c'est un droit de conditions.

Après un recours intenté par le GISTI auprès du Conseil d'Etat en 1978 qu'est reconnu comme un principe général du droit, le droit de mener une vie familiale normale. En 1993 la loi institue la procédure de regroupement familial. Depuis des révisions récurrentes à chaque alternance politique (notons au passage que ce sont les plus démunis qui subissent toujours plus fortement les retours de la droite au pouvoir) modifie sans cesse les conditions d'admission des familles des travailleurs immigrés. Le droit de mener une vie familiale normale est ainsi devenu un droit/condition : Il faut être en situation régulière, avoir un logement en capacité de loger la famille (nombre de m2) et des ressources suffisantes. Sous la gauche on inclut les allocations familiales à percevoir et sous la droite on les ignore. Soyez ouvrier et père de famille avec ça ! Après avoir supprimé la prise en compte des prestations familiales, le projet de loi actuel se propose de ne pas tenir compte non plus des prestations non-contributives dans les ressources. Mais la loi continue d'exiger des ressources suffisantes pour faire vivre correctement toute la famille. Autrement dit, on continue d'exiger un salaire du niveau du SMIC mensuel sans toutefois exiger des employeurs qu'ils emploient leurs salariés à temps plein ou sans exiger que les minima conventionnels respectent le niveau du SMIC.

Il faudra aussi avoir séjourné au moins 18 mois au lieu de 12 mois pour déposer une demande de regroupement. En pratique le temps de disposer de toutes les conditions requises, avec la crise du logement aidant, il faut des années pour faire venir sa famille. Enfin, le projet de loi ajoute une nouvelle condition au regroupement familial : la condition d'intégration. Selon le projet le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne se conforme pas aux principes qui régissent la République française. Et toi lecteur, es-tu certain de te conformer aux principes de la République française ? Comment les préfets vont-ils apprécier cette condition d'intégration?

Les mariages mixtes sont sous haute surveillance

Pour les conjoints de français, forcément suspectés d'avoir épousé un ressortissant français pour sa nationalité les conditions d'admissions se durcissent encore. Longtemps cette qualité de conjoint de français suffisait pour accéder à une carte de résident. Le mariage étant la preuve de l'attachement à un national. La précédente loi Sarkosy ( 2003) avait déjà durci le régime d'admission au séjour. Pour obtenir une carte de séjour temporaire valable un an,la loi exigeait déjà une entrée régulière (avec un visa touristique valable trois mois).

Désormais il faudra un visa long séjour particulièrement difficile à obtenir dans les consulats qui considèrent souvent que le mariage a été contracté à des fins étrangères à la vie conjugale. Une fois arrivé en France le conjoint de Français pouvait après deux années de séjour sous couvert d'une carte temporaire et à la condition que la vie commune n'ait pas cessée, obtenir de plein droit, c'est à dire sans que l'administration puisse la refuser, une carte de dix ans. Cette faculté est tout simplement supprimée et remplacée par la possibilité après trois années de mariage, et sans interruption de la vie commune, de demander une carte de dix ans. Là encore, le préfet se basera sur la condition d'intégration dans la société française. Le retrait du titre de séjour dans les quatre premières années du mariage en cas de rupture de la vie commune est également prévu. Pourquoi une rupture remet-elle en cause le mariage ?

L'étranger ne sera qu'un travailleur... précaire si possible !

Sélectionner les salariés étrangers en fonction des besoins de flexibilité des employeurs sans avoir à assumer l'installation des familles de ces travailleurs résume la logique des nouvelles dispositions du projet de loi de N.Sarkosy. travailler C'est en fait tous les travailleurs, nationaux et étrangers qui sont menacés par ces dispositions qui fragilisent toute la société.

« L'immigration choisie » c'est soit celle choisie sur des critères élitistes. C'est la carte « compétences et talents », qui correspond à une sorte de « pipolisation » du droit des étrangers. Mais même cette carte, octroyée selon des critères de classe, est frappée de précarité car sa durée est limitée à trois années.

Le retour de l'immigration de travail

Soit celle choisie en fonction des besoins immédiats des entreprises ou de certains secteurs d'activité, sans répondre aux questions que soulèvent ces pénuries de travailleurs dans un pays qui compte officiellement presque trois millions de chômeurs. Ni y-a-t-il pas là matière à réfléchir sur les niveaux de salaires et les conditions de travail proposés?

Plus que des déficits particuliers dans certains secteurs, la reprise de l'immigration de main-d'œuvre correspond en fait aux orientations prises au niveau européen. Depuis quelques années, les spécialistes européens de l'immigration alertent les gouvernements sur un possible retournement démographique (le papy-boum) qui mécaniquement conduirait à de sérieuses pénuries de salariés. Cette inversion de tendance sur le marché du travail pourrait conduire les salariés à exiger avec succès des salaires plus élevés. Disposer d'un volant de main-d'œuvre étrangère dont le séjour serait limité à la durée de la mission, sans droit au séjour, sans droit à venir s'installer avec sa famille devrait rassurer les employeurs. L'une des dispositions de ce projet correspond à cette vision.

Le projet de loi prévoit en effet de délivrer une carte temporaire valable un an dans deux situations différentes. Pour les deux situations, la situation de l'emploi reste le critère retenu pour admettre ou refuser l'admission au travail. Mais dans un premier cas, qui est actuellement en vigueur, le travailleur étranger produit un contrat de travail ou une promesse d'embauche d'un an minimum pour un poste pour lequel la situation de l'emploi n'est pas opposable. Il obtient ainsi une carte mention « salarié » valable un an et renouvelable. Si le contrat de travail est rompu, il conserve le droit au séjour et peut percevoir des indemnités de chômage. La seconde hypothèse, qui est la grande nouveauté de ce projet de loi consiste à prévoir annuellement des listes de métiers ou de secteurs d'activité pour lesquels une pénurie de main-d'œuvre avérée est établie. Dès lors les salariés embauchés dans ces secteurs ou ces métiers se verraient doter d'une carte temporaire mention « salarié » mais cette carte serait retirée en cas de rupture du contrat de travail. L'article L.311-8 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit le retrait automatique dès lors que les conditions d'octroi ne sont plus remplies. Imaginez deux minutes, les effets de ce type de situation dans la tête d'un travailleur étranger face aux exigences de l'employeur ?

Le projet prévoit également pour les missions de moins d'un an la possibilité de délivrer la carte de séjour mention « travailleur temporaire » dans les mêmes conditions que la carte de séjour temporaire mention « salarié ». C'est à dire soit en contrôlant l'opposabilité de l'emploi pour le poste proposé, soit en fonction de listes de métiers et de secteurs « qui n'arrivent pas à recruter ». Voilà de quoi faire face aux besoins ponctuels de main-d'œuvre, où à tout le moins ceux présentés comme tels.

Travail saisonnier facilité... pour les employeurs

C'est enfin le régime des saisonniers qui est modifié avec la création d'une carte temporaire mention « travailleur saisonnier », valable trois années mais ne permettant travailler chaque année que six mois. Cette carte est assortie de l'engagement à maintenir sa résidence habituelle à l'étranger. Les admissions au travail saisonnier ordinaires, dits contrats de travail OMI, sont réservés aux ressortissants de certains pays ayant signé avec la France des accords de main d'œuvre (Pologne, Maroc et Tunisie) et permettent de travailler jusqu'à huit mois.

Voilà de quoi mettre à disposition des employeurs des travailleurs dociles et peu exigeants sur les conditions de travail. Des précaires encore plus précaires. Voilà de quoi rassurer ceux qui souhaite réguler le marché du travail à l'aune des exigences des actionnaires. Avant d'être élu il faut faire un cadeau au patronat : N.Sarkosy vient d'offrir sa contribution pour que les salaires n'augmentent pas et que le marché du travail reste sous la totale maîtrise des employeurs.

Anne de Haro

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