GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

L’espoir et l'illusion

Le résultat de l’élection présidentielle américaine marque sans nul doute un tournant dans

l’histoire des Etats-Unis. Mais la victoire de Barack Obama est sans doute plus significative

de l’état de la société américaine que d’un véritable changement politique profond dans ce

pays.

Avec une majorité absolue de 52 % des voix et quasiment

les deux tiers des Grands Electeurs qui le désigneront

officiellement comme Président des Etats-Unis, Barack

Obama a emporté la plus large victoire présidentielle depuis

vingt ans. Elle est large et incontestable. Pourtant, si l’on prend

ses distances avec l’engouement ambigu que sa candidature a

suscité en Europe, l’analyse montre que le candidat démocrate

ne partait pas avec toutes les chances de son côté.

Alors que le Parti démocrate avait rudement bataillé pour désigner

son candidat, Obama ne l’emportant

sur la sénatrice Clinton que d’une courte tête

dans une bataille très rude, les Républicains,

eux, avaient rapidement désigné un candidat

de consensus qui pouvait à la fois incarner

une continuité conservatrice et une rupture

avec la politique Bush, tout en présentant

une expérience politique longue et sérieuse.

De fait, à la veille de la Convention nationale

démocrate, les deux candidats McCain et

Obama étaient au coude-à-coude dans les

sondages, le premier devançant même légèrement

le second. Tout était en place pour

une bataille électorale tendue et serrée,

comme cela avait été le cas lors des deux

élections précédentes.

La cassure dans la campagne fut en fait à l’initiative de John

McCain, qui commit deux erreurs manifestes. La première fut la

désignation de sa co-listière, la gouverneur de l’Alaska Sarah

Palin. Dans son esprit, il s’agissait à la fois de rassurer l’aile

droite de son parti à laquelle Palin appartient, de tenter de récupérer

des électeurs « féministes » déçus par l’échec d’Hillary

Clinton pour l’investiture démocrate et de peaufiner un profil de

candidat anti-bureaucratie en compensant ses années de présence

au Capitole par une élue d’un Etat exotique.

Cette annonce eut pour principal effet de mettre en avant la

Gouverneur de l’Alaska, qui fit la une de tous les médias, au

détriment justement du candidat à la Présidence. Tandis

qu’Obama, en choisissant un sénateur réputé pour son sérieux,

mais assez incolore, Joe Biden, maintenait l’attention sur sa personne.

Par ailleurs, l’alignement politique de Sarah Palin, très à

droite, eu pour effet principal d’annuler le recentrage tenté par

McCain, considéré comme un «modéré» dans son parti, et d’inquiéter

quant à ses capacités à gouverner en cas de malheur, et

sur la cohérence de l’attelage républicain.

La deuxième erreur fut évidemment de minimiser l’importance

de la crise financière, en déclarant que les «fondamentaux » de

l’économie américaine était «sains». Dès lors, son audience

sembla s’affaiblir, jusqu’à la date de l’élection, où il n’a recueilli

que les voix des Etats les plus conservateurs du «Far West» et

du Sud profond; et encore: Barack Obama réussit l’exploit

d‘emporter la Caroline du Nord et la Virginie, deux Etats marqués

par leur passé esclavagiste et ségrégationiste.

Paradoxalement, alors que les Etats-Unis entraient dans une

crise économique très grave, le discours d’Obama, volontariste

et ambigu, a porté. Tandis que chaque jour, les exemples des

limites de la puissance américaine se font jour pour les citoyens,

comme cela s’est manifesté lors de la catastrophe de La

Nouvelle-Orléans, son « Yes we can » semble pourtant complètement

à contre-sens de la réalité quotidienne. Jamais, en effet,

depuis le New Deal, les américains n’ont

été à ce point laissé à l’abandon par la

puissance publique. Les politiques ultralibérales

reaganiennes, puis menées par

les Bush, ont en effet ruiné les services

publics, détruit tout le système d’inspiration

keynésien qui avait été maintenu, peu

ou prou, par tous les présidents, démocrates

comme républicains, jusqu’à la fin

des années 70. Les systèmes scolaires et

judiciaires ont atteint un niveau d’amplification

des inégalités sociales qui a annulé

largement les politiques d’affirmative

action qui avaient pu être menées.

En votant pour lui, les américains ont voté

pour une vision de leur pays mêlant finalement nostalgie et

modernité : nostalgie d’une Amérique toute-puissante et volonté

d’un homme « neuf », noir, représentant une rupture avec le

système Bush et avec le milieu social blanc, anglo-saxon et protestant,

qu’il représente. On ne peut minorer l’ampleur de l’espoir

et de l’émotion suscité par cette élection.

Pour des millions d’Américains, et au-delà dans le monde, elle

a signifié la fin de la domination de l’homme blanc sur la planète,

la possibilité de faire changer de cap politique les Etats-

Unis, dont le repli nationaliste et l’interventionnisme

messianique a lourdement pesé partout dans le monde.

Mais la question qui se pose est de savoir si le costume n’est pas

un peu trop grand pour celui qui le porte. Dans son programme,

dans ses prises de position, rien n’indique que Barack Obama

puisse apporter une réponse aux attentes soulevées par son élection.

Ni en matière économique, ni en matière sociale, il n’a pris

de distances avec les politiques libérales qui ont été menées par

les Etats-Unis.

Or, faute d’une réorientation fondamentale de ces aspects de la

politique des Etats-Unis, l’espoir risque de se transformer en

désillusion, une désillusion d’autant plus forte qu’effectivement,

l’espoir aura été grand. Et qui sait, alors, vers quels nouveaux

extrémismes les américains pourraient se tourner ?

C’est en général l’issue du populisme «de gauche», qui ouvre la

voie à un populisme bien plus grave, celui de la droite extrême.

Hervé Le Fiblec

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