GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

L'École en voie de caporalisation

Le 22 janvier dernier, un enseignant de Haute-Vienne était suspendu de ses cours par son Inspecteur d'Académie. Cette mesure, visant à éloigner dans l'urgence un professeur de ses classes, est prise exceptionnellement quand il y a une situation de danger grave, notamment pour les élèves. Or, quel crime a commis ce professeur des écoles ? Celui de ne pas respecter scrupuleusement les consignes de passation des évaluations nationales pour ses élèves de CM2, et de l'avoir fait savoir.

Cet épisode, exemplaire, est évidemment isolé. Rarement l'administration de l'éducation nationale va aussi loin dans sa dérive autoritaire. Pour autant, celle-ci est constante et structurée. Elle a pris une ampleur considérable depuis deux ans, et s'est d'abord appuyée sur la sanction des enseignants « désobéisseurs ».

Ce mouvement est né en 2008, dans le premier degré, suite à une refonte des programmes de l'école primaire organisée sans réelle concertation avec les enseignants, comme toujours, par Xavier Darcos. Le principe est simple : en désaccord avec ces nouveaux programmes, quelques centaines d'enseignants ont déclaré publiquement qu'ils ne les appliqueraient pas. Très minoritaire, pour ne pas dire marginal, le mouvement des « désobéisseurs » suscite cependant une sympathie certaine chez leurs collègues. Et pourtant, les fondements pédagogiques de leur opposition aux nouveaux programmes sont très loin d'être progressistes, sans pour autant, loin de là, qu'on puisse considérer les « désobéisseurs » comme des réactionnaires, raccourci facile qui empêcherait de réfléchir à la signification de ce mouvement.

Celui-ci trouve en effet une de ses causes dans une rupture profonde, née dans les années 90, entre la profession enseignante et l'institution scolaire. Longtemps en phase sur les principes et les valeurs, les enseignants et leur administration ne s'opposaient que sur les modalités et les conditions de leur mise en œuvre. Opposés à leur hiérarchie, parfois, sur les contenus pédagogiques, sur les structures mises en place, les professeurs et instituteurs, dont l'essentiel de l'encadrement (proviseurs, principaux, inspecteurs...) était issu des professions enseignantes, partageaient avec elle la même mythologie d'une école « libératrice » ou démocratisée. Cette conjonction, issue de la lutte laïque des premières années de la République dont les instituteurs étaient les « Hussards noirs », qui explique les atermoiements du syndicalisme enseignant, même pour sa branche la plus révolutionnaire (comme la fédération unitaire), à recourir à la grève avant la fin des années 30, semble désormais passée.

Les enseignants n'ont plus confiance en leur institution, et cette défiance prend des formes diverses, dont la « désobéissance » est une des plus médiatiques et des plus organisées. Mais elles touchent l'ensemble de l'éducation nationale. Ainsi, il est remarquable que la réforme de la formation des enseignants n'ait quasiment pas mobilisé les professeurs du premier et du second degré eux-mêmes, et que la question de l'élévation du niveau de recrutement ait été la seule à être contestée par une partie des étudiants et surtout des universitaires, alors que la disparition quasi-totale de la formation professionnelle et des IUFM n'ait suscité qu'un émoi « de salon ». Dans les faits, et c'est sans doute beaucoup plus vrai pour les professeurs du second degré que pour les Professeurs des écoles, la disparition des IUFM ne serait pas vécue comme un drame, tant ces instituts représentent, précisément, un discours officiel sur la pédagogie et l'école dans lequel ils ne se retrouvent plus.

L'institution scolaire a largement provoqué cet état de faits, et, à compter de l'arrivée de Xavier Darcos rue de Grenelle, une véritable chape de plomb pèse sur l'éducation nationale. Les hiérarchies se sentent ainsi autorisées à ne plus respecter les règles de base du fonctionnement de l'institution. Plus sensible dans les collèges et lycées, où l'encadrement est présent en permanence sur le lieu de travail, cette dérive autoritaire est vécue au quotidien comme un mode de « management » directement importée du privé, à rebours des pratiques du service public d'éducation.

Ainsi, les chefs d'établissements se voient accordés de plus en plus de pouvoirs discrétionnaires : sur les carrières des enseignants, qui dépendaient encore il y a peu essentiellement de l'appréciation de leur valeur pédagogique par les inspecteurs de leur discipline. La réforme des lycées dont les textes réglementaires ont été publié fin janvier accentue encore ce déni de démocratie. Ainsi, pendant que les horaires nationaux ne fixeront plus qu'un peu plus des deux tiers des heures d'enseignement, le reste était « de responsabilité locale », les conseils d'administration, instances comprenant des représentants élus des personnels, des élèves et des parents d'élèves, se voient dépossédés de leur droit de décider des structures pédagogiques, et donc de l'utilisation de ce tiers « de responsabilité locale », qui relèvera désormais uniquement du chef d'établissement et d'un « conseil pédagogique » composé de membres qu'il aura lui-même nommés.

Cette réforme s'inscrit donc clairement dans une caporalisation constante de l'éducation nationale : renforcement de l'arbitraire du petit chef, création de hiérarchies intermédiaires visant à servir de caution d'une part et de valorisation des personnels dociles d'autre part, le tout sur fond d'abandon de l'ambition de la démocratisation et de réduction massive des postes.

De quoi conduire les socialistes à s'opposer fermement à cette politique, et à s'interroger sur les moyens de renouer avec un monde enseignant qui a longtemps été un de ses plus solides appuis dans la société française.

Hervé Le Fiblec

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