GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Juges de proximité = grande illusion

La loi relative aux compétences respectives du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance a été validée par le Conseil Constitutionnel le 20 janvier 2005.

Ce texte a pour objet d'étendre le champ de compétence des juges de proximité en matière civile et pénale mais également de permettre leur participation en qualité d'assesseur aux audiences collégiales du tribunal correctionnel sur désignation par le Président du Tribunal de grande instance. On ne peut sérieusement croire que cette décision de validation va mettre un point final aux débats que cette réforme judiciaire a fait naître car elle ne permet pas de répondre aux nombreuses interrogations suscitées par la création des juges des proximités.

Cette réforme politique, voulue par le candidat Chirac, a été imposée à marche forcée. Qui ne voudrait pas renforcer la légitimité de la justice et restaurer la confiance en l'institution en la rapprochant du citoyen? Mais peut-on sérieusement croire que la création de la juridiction de proximité peut répondre à cet objectif?

Pour mémoire, la juridiction de proximité se voulait une des premières réformes symboliques de la droite. Les moyens seraient au rendez-vous et les besoins seraient satisfaits : 3000 nouveaux juges allaient être nommés. Les professionnels de la justice, qui se sont efforcés d'expliquer de manière rationnelle que cette réforme n'était pas la bonne, ont été renvoyés sans appel dans les cordes de leur corporatisme.

Aujourd'hui, il s'avère qu'ils avaient raison car il existait déjà une justice de proximité : celle rendue par les 473 tribunaux d'instance. Ces juridictions du premier degré, qui connaissent avec une procédure simplifiée, des contentieux divers en matière civile et qui jugent les contraventions en matière pénale, sont celles qui ont toujours répondu aux attentes des citoyens. Proches du justiciable, notamment par l'absence de représentation obligatoire par avocat, les juges d'instance traitent depuis toujours au quotidien un contentieux diversifié, voire très technique, et dans des délais courts. De manière pertinente, ils ont mis en place localement des synergies avec les conciliateurs pour recréer autant que faire se peut du lien social . Mais tout cela n'a pas compté dans la balance et la réforme est née abandonnant toute vélléité de promouvoir d'autres modes alternatifs de règlement des litiges.

Rien n'a été laissé au hasard, aucun moyen n'a été refusé pour la mise en place de cette institution. En ces temps de LOLF , il sera intéressant de calculer par affaire le coût de la réforme. Ne nous y trompons pas: l'extension des compétences des juges de proximité traduit la volonté de réformer pour dire que l'on a réformé. Mais il reste à démontrer ce que peut en attendre qualitativement le justiciable.

Avec l'extension des compétences, tous les litiges civils allant jusqu'à 4000 euros seront concrètement jugés par un juge unique exerçant à la vacation, certes professionnel du droit mais sans possibilité d'appel. Or, il serait faux de croire que la difficulté juridique de l'affaire n'a rien à voir avec le montant réclamé. Il n'y a pas de petit litige pour le justiciable. Quelle sens a la “proximité”, quand pour contester une décision le justiciable prendra conscience que sa seule garantie pour faire reconnaître son droit sera un pourvoi en cassation ?

Indépendance et impartialité du juge sont les deux piliers incontournables qui fondent le droit à la justice. Mais ces conditions étant remplies, la confiance en l'institution judiciaire repose aussi sur sa capacité à comprendre et à traiter juridiquement et humainement les problèmes posés tout en maintenant la distance nécessaire à son exercice. Faire le choix de recruter des juges occasionnels dont le profil est celui d'un juriste, souvent encore en exercice, imposait des règles draconiennes tant au niveau de leur nomination qu'en terme d'impartialité. Or, elles ne sont pas au rendez-vous .

Le débat fait rage, de certains membres du Conseil Supérieur de la Magistrature à la Conférence des Premiers Présidents, en passant par les Associations de consommateurs, la presse se fait l'écho des difficultés dans le recrutement et dans les garanties d'impartialité. Mais le Garde des Sceaux persiste à tonner et à vilipender “le corporatisme de la magistrature”. Ne lui en déplaise, l'évaluation, certes limitée, sur les premières expériences du juge de proximité démontre que les justiciables français ne sont pas convaincus par cette réforme.

En matière pénale, la participation du citoyen à la justice est pratiquée dans la plupart des pays européens.

En France comme ailleurs, elle se fonde essentiellement sur la notion de “juge-citoyen” ou de personne qualifiée. Mais, les juges de proximité n'ont rien de commun avec ces assesseurs des Cours d'assises ou des juridictions des mineurs. Leur désignation repose sur des modalités très différentes. On peut donc s'interroger sur la finalité de cette réforme: pourquoi prévoir la participation des juges de proximité aux audiences correctionnelles ? Si le motif caché est en réalité de gérer la pénurie, à un moindre coût, pour étendre encore et toujours le domaine des audiences pénales de comparution immédiate en augmentant le nombre des affaires traitées, il faudra alors très vite redéployer les moyens accordés à l'exécution des peines.

En effet on atteindra très vite les limites : la surpopulation carcérale est telle (cf. article ci contre, sur l'état pénal, Ndlr) que l'emprisonnement ne peut augmenter de manière inflationniste, avec peine d'explosion des prisons. Il faudra que les politiques se rendent compte , et ainsi acceptent , sans crainte de dire aux français, que la prévention, la diversification des sanctions pénales et l'exercice effectif de toutes les mesures de suivi socio-éducatifs restent les seuls moyens efficaces de combattre la récidive.

Validée à deux reprises par le Conseil Constitutionnel, quel est l'avenir de la justice de proximité ? Il est impossible d'y répondre aujourd'hui. A question politique , réponse politique .

Toutefois, il faudra que les responsables de cette réforme entendent que le droit à la justice n'est pas divisible et que chaque justiciable doit bénéficier des mêmes garanties. .Toutes ces questions doivent être pesées, évaluées, le justiciable devant être au centre de la réforme. En décider autrement ne pourrait qu'engendrer une nouvelle crise de légitimité.

Réduire la distance entre les français et leur justice est un objectif possible. Les professionnels ne peuvent qu'y souscrire. Encore faudrait-il qu'ils puissent être réellement consultés et associés à l'élaboration de ces politiques . Or une telle concertation n'a jamais été réellement mise en oeuvre. Réformer c'est changer en mieux et on se prend à espérer qu'il existe quelque part des réformateurs prêts à se poser la vraie question de la mixité de toutes nos juridictions pour améliorer le fonctionnement de la justice .Arrêtons de rêver. Les justiciables devront se contenter des juges de proximité , faisons des voeux pour qu'ils n'en fassent pas les frais.

Gaxuxe Lacoste et Agnès Martinel Magistrates,

Membres du Syndicat de la Magistrature

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