GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Jean-Jacques Chavigné répond à Michel Onfray

Une analyse de Michel Onfray : ce que permet de mettre au grand jour, la candidature de F. Bayrou

(Mardi 27 mars 2007)

Je dois à François Bayrou des remerciements pour les clarifications politiques qu'il permet ces temps-ci. Les médias l'ignoraient depuis des mois ; il a décidé de leur mettre la fessée en guise d'apéritif à sa campagne ; il a grimpé dans les sondages ; les médias l'ont dès lors chouchouté, cajolé, léché, le couvrant de leur bave qui est aussi très souvent, méfions nous, bave de chien enragé ; aujourd'hui, les mêmes titrent - le Journal du dimanche par exemple - : « Bayrou : le coup d'arrêt ? » - sur sa baisse dans les intentions de vote ; il stagne, il n'avance pas, il ne progresse plus, donc il meurt, il va bientôt rendre l'âme présidentielle. Le cirque continue.

Peu importe la suite car, dès à présent, Bayrou aura permis, quoi qu'il arrive demain, que tombent des masques derrière lesquels bon nombre se cachaient depuis des années en se prétendant de gauche et en pensant viscéralement comme des gens de droite. Cette gauche de droite apparaît enfin ce qu'elle était depuis plus de vingt ans : une fausse gauche, mais une vraie droite, une pensée socialiste en surface, pour l'allure, les mots et le look, et une vision du monde libérale en profondeur, donc de droite.

On a vu ces masques tomber chez un certain nombre de figures politiques dites de gauche. Cohn-Bendit par exemple. Et j'ai souvent fait savoir que le triste attelage libéral-libertaire dont lui et les siens, (Serge July et une bonne partie de Libération, mais aussi, parfois, Bernard Kouchner, et une série d'anciens soixante-huitards qui ne sont pas encore passés chez Sarkozy), s'affublaient, était un trompe l'œil : libéral, on voit bien, mais libertaire, où ça, quand ça ? Parce qu'ils apparaissent les uns les autres à Trans Europe Express, chez Christine Ockrent, sans cravate et le col de chemise ouvert ? Parce qu'ils défendent l'euthanasie du bout des lèvres ? Quand ils se soucient du droit des homosexuels, certes, mais en célébrant l'Europe comme la panacée du millénaire à venir pour ce sujet comme pour tous les autres ?

Même remarque chez les socialistes. Ne parlons pas de Laurent Fabius qui porte les habits trop grands pour lui du pourtant si petit Mitterrand, du moins du Mitterrand qui parlait à gauche, avant son accession au pouvoir, et qui eut si souvent l'impudence et l'insolence de parler encore à gauche, une fois président de la République, comme s'il était encore et toujours dans l'opposition et ne pouvait rien changer en France là où il se trouvait.

Parlons plutôt de Strauss-Kahn, ou de Rocard avant lui, mais aussi de tous ceux qui ont nourri les couleuvres du Parti Socialiste depuis le tournant de la rigueur en 1983, autrement dit de son virage à droite, jusqu'au soutien de la Constitution Giscard d'Estaing lors du dernier référendum où, comme un seul homme, Sarkozy, Badinter, Bayrou, Strauss-Kahn, Chirac, Royal, Hollande, July, Cohn-Bendit, Kouchner, Ockrent, Anne Sinclair, Giscard donc, Barre, Delors, Edith Cresson, Villepin, votaient « Oui » et , pour la plupart, transformaient les électeurs du « Non » en gueux puants, incultes, nationaux, compagnons de route des fascistes... Je me souviens des éditoriaux de July dans Libération et de Val dans Charlie Hebdo...

>Tout ce monde là - sauf probablement Sarkozy et Royal, mais plus pour des raisons de politique politicienne que de politique noble - défend un même projet de société où l'Europe compte plus que les emplois des ouvriers en France, où se référer à la République est une faute de goût quand l'économie de marché fait prétendument bien mieux la loi, où la Nation sent la sueur et le gras double des prolétaires, bien loin des belles odeurs des beaux quartiers, où le Socialisme passe pour un vieux truc, genre saucisson vin rouge, à l'heure où il faudrait « moderniser » la France, autrement dit la vendre définitivement aux patrons du CAC 40, où l'extrême gauche, avec son souci des victimes de la barbarie libérale, sa défense de la réduction du temps de travail, de la retraite à soixante ans, paraît plus condamnable qu'un Front National qui, lui au moins, ne dit pas de sottise sur le terrain économique en affirmant tout haut ce que tous ceux là pensent tout bas : les fonctionnaires sont trop nombreux, le temps de travail devrait s'allonger quotidiennement, certes, mais également sur la durée de toute une vie, les assistés paralysent la société , etc.

La lepénisation des esprits ne concerne pas que les affaires d'identité nationale, de racisme, d'antisémitisme, de xénophobie, de drapeau, de préférence nationale. Elle concerne aussi le programme économique de Le Pen qui est ouvertement libéral comme celui des libéraux qui votent « oui » à l'Europe du marché. La « valeur travail », le drapeau tricolore pavoisant les maisons particulières, la nécessité de travailler plus, plus longtemps, voilà la religion des libéraux - libéraux de gauche compris.

La gauche caviar a montré qu'on pouvait parler à gauche et agir à droite,causer socialiste et voter grands patrons, soutenir vaguement un candidat socialiste et partir en vacances avec le gotha du CAC 40 - ce sont parfois les mêmes...-, être verbalement du côté des opprimés et voter pour ceux qui assurent le maintien et la permanence de cette oppression. Pour des raisons cosmétiques - on ne va tout de même pas se laisser assimiler à la droite ! - cette gauche de droite voulait de manière schizophrénique le bénéfice moral d'une parole compassionnelle pour les plus démunis et l'avantage d'un pouvoir politique préservant les acquis des possédants, autrement dit : le beurre moral et l'argent immoral du beurre. Avec pendant quelques années, Bernard Tapie en héraut de cette religion-là. Et Yves Montand, Simone Signoret, plus quelques autres grands morts qui sont toujours vivants et accompagnaient chacune des sorties de cet aréopage malfaisant.

Merci à François Bayrou d'avoir déplacé les lignes et fait sortir du bois cette gauche de droite qui peut enfin voter à droite sans passer pour des soutiens de Nicolas Sarkozy. En votant UDF, le parti de Giscard, on peut ainsi voter à droite contre le patron de l'UMP et s'affirmer ni de droite ni de gauche... Grand luxe ! Avant Bayrou, nombre des figures de cette gauche en papier vivaient dans le giron du parti Socialiste, mais mal à l'aise, pas bien, de façon bancale, fâchées d'avoir à partager les sièges avec une petite poignée de socialistes restés de gauche...

Les voilà enfin fiers d'être ce qu'ils sont : des gens viscéralement, intellectuellement, ontologiquement de droite qui, entre autres méfaits, on vidé les gauches gouvernementales de leurs substances, désespéré nombre d'électeurs qui, désemparés, ont pour certain grossi le nombre des abstentionnistes, pour d'autres celui des réactifs ralliés à l'extrême gauche ou au Front National qui, pour mieux couvrir la radicalité de son programme libéral, parle encore avec une compassion feinte des ouvriers, des pauvres, des français oubliés et maltraités qui succombent au charme d'un rhéteur dont les médias amplifient la fascination sur le mode hypnotique du serpent charmant ses proies...

Quoi qu'il arrive maintenant, on sait que l'électeur de Bayrou pourra voter à droite en se croyant ni de droite, ni de gauche. Mais surtout pas de gauche. Après les présidentielles, les lignes franchies pendant la campagne obligeront à la reconstruction du paysage politique. Si Bayrou devenait président, les ralliements venus de la gauche libérale seraient probablement nombreux. Le PS y survivrait-il ? Ce qui en resterait pourrait alors non pas se radicaliser mais retrouver ses marques de gauche. Mais avec qui pour présider à ces destinées. Laurent Fabius ? Ce serait ajouter une catastrophe à une autre...

Décidemment, avec Bayrou, sans lui, malgré lui, ou contre lui, sale temps pour la gauche !

Mais réjouissons nous que sous son nom se rallient ceux qui, dans le lignage de Mitterrand, vendent les idées socialistes depuis des années pour une poignée de lentilles : le partage des postes, la jouissance des ors de la République, les prébendes, les signes extérieurs de richesse symbolique, les appartements et voitures de fonction, les gyrophares et les motards, les fastes de la grande vie avec l'argent public, la surexposition médiatique, et tout ce qui signe la fin des idées d'une génération descendue des barricades et ralliée au pire du principe de réalité. Bayrou fonctionne comme le ruban collant des fermes ou des étables : déjà les mouches les plus poisseuses y adhèrent visiblement.

Michel Onfray


La réponse de Jean-Jacques Chavigné

Michel 0nfray nous avait souvent habitué à mieux. Son "Europe des crétins" était, par exemple, un bijou.

Mais là, qu'apporte ce texte confus au débat politique ?

Sarkozy, Badinter, Bayrou, DSK, Chirac, Royal, Hollande, Jully, Cohn-Bendit, Kouchner... auraient appelé à voter "oui" lors du référendum européen. La nouvelle n'est pas très fraîche.

Bayrou aurait fait tomber les masques ? Lesquels ? Celui de July qui ne serait pas à gauche. Mais, avant même la photo de son accolade avec Sarkozy, la lecture de ses éditoriaux ne pouvait laisser aucun doute. Les masques de Cohn-Bendit ou Bernard Kouchner ? Ils n'ont pas attendus Bayrou pour affirmer leurs convictions. Les masques de Rocard et DSK qui se seraient avérés être des sociaux-libéraux ? Mais ils ne portent aucun masque et peu d'observateurs, même pas trés avertis, du Parti Socialiste pouvaient en douter.

Bayrou a fait changé d'avis les médias à son égard en leur mettant "la fessée ? C'est une fable, complaisemment distillée par les médias. Mais comment croire que Lagardère, Rotschild, Bouyghes... aient pu être sensibles à "la fessée" de Bayrou ? La réalité est d'une tout autre nature : la droite, le capital ont peur d'un affrontemnet gauche-droite. Ils savent aprés les mouvements sociaux de 2003 et 2006, aprés la victoire du "non" au référendum en 2005, la dynamique sociale qui serait derrière une victoire de Ségolène Royal. Ils savent aussi que le rejet de Sarkozy est tel que la droite pourrait bien perdre l'élection présidentielles et les législatives dans la foulée. Le plus sûr serait donc,pour tous ces gens là, d'avoir deux hommes de droite au second tour. C'est ce qui explique (un peu plus sérieusement que "la fessée" de Bayrou aux médias) la montée de ce même Bayrou dans les sondages. Une première montée, bien orchestrée, entraînait une meilleure couverture médiatique qui a son tour dopait les sondages... Bayrou lui-même avait dénoncé le mécanisme avant d'en être le principal bénéficiaire.

Souligner que le programme économique et social de Le Pen est ultra libéral est, certes, tout à fait juste mais quel rapport cela a-t-il avec Bayrou, le tombeur de masques ?

Quant à l'affirmation que Bayrou devenant président, les ralliements de la gauche librale "seraient probablement nombreux" est une pure spéculation. Car ceux qui choisiraient une telle voie, dans le rapport de force politique et social actuel, devraient avoir un goût prononcé pour le suicide politique.

Le plus probable est que, comme l'avait fait Giscard en 1974, Bayrou trouverait un 1er ministre UMP et que la seule chose qui changerait c'est qu'au lieu d'avoir une majorité UMP-UDF, nous aurions une majorité UDF-UMP.

Le seul masque qui sera tombé, en définitive, sera sans doute celui de Bayrou.

Cordialement,

Jean-Jacques Chavigné

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