Jamais nous n'avons eu autant besoin de l'Europe
La crise financière devenue crise
économique et sociale a joué le
rôle d’un double révélateur
pour l’Union européenne: jamais une
Union européenne n’a été aussi
nécessaire, mais jamais l’actuelle
Union européenne n’a été aussi inutile
ou aussi néfaste.
JAMAIS L’EUROPE
N’A ÉTÉ AUSSI
NÉCESSAIRE
Nécessaire pour instaurer, comme le
propose Frédéric Lordon dans ses
« Six principes et dix propositions
pour en finir avec les crises financières
», une « Zone européenne
régulée » prohibant la libre circulation
des capitaux avec les zones non
régulées. L’Europe, précise Frédéric
Lordon, est une zone financière
« suffisamment profonde et diversifiée
pour satisfaire les ambitions de la
finance privée » à condition qu’elle
renonce aux objectifs de profits
mirobolants qui sont les siens.
Nécessaire pour protéger l’Europe
des excès toxiques de la finance, en
interdisant les produits dérivés, la
« titrisation » des créances, la confusion
entre banques de dépôts et
banques d’affaires qui sont à l’origine
de la crise financière.
Nécessaire pour mettre en place un
plan de relance européen centré sur
l’augmentation de l’emploi, des
salaires et des prestations sociales, la
construction d’infrastructures ferroviaires
et fluviales, le développement
durable.
Nécessaire pour lutter contre le changement
climatique.
Nécessaire pour protéger l’économie
européenne en fixant des restrictions
au libre-échange grâce à la mise en
place effective d’un Tarif extérieur
commun.
JAMAIS L’UNION
EUROPÉENNE
LIBÉRALE N’A ÉTÉ
AUSSI ABSENTE
OU AUSSI NÉFASTE
Absente quand les résultats de la
réunion du G4 volaient en éclat dès le
lendemain sous les coups de boutoirs
d’Angela Merkel qui découvrait
l’ampleur des dégâts causés par la
faillite de Lehman Brothers à l’un des
fleurons bancaires allemands l’Hypo
Real Estate. «A chacun sa merde» en
concluait-elle.
La coopération était tout aussi absente
lors de la réunion des chefs d’Etat
et de gouvernement des 27 pays de
l’Union. Non seulement chaque pays
décidait seul des sommes qu’il était
prêt à mettre sur la table pour sauver
son propre système bancaire (480
milliards d’euros pour l’Allemagne,
360 pour la France…) mais cette
réunion des 27, prisonnière de ses
dogmes libéraux, était incapable de
faire le moindre geste en défense de
l’emploi, du pouvoir d’achat et des
systèmes sociaux mis à mal par la
crise.
Néfaste quand la Banque Centrale
Européenne (BCE) ne baissait ses
taux d’intérêt qu’au compte-gouttes
sous prétexte de danger inflationniste
alors qu’un danger autrement plus
pernicieux pointait son nez : la déflation.
Néfaste quand cette même BCE fait
tout pour que l’euro soit cher (c’est sa
seule mission) et continue ainsi, en
pleine crise économique, à pénaliser
les exportations européennes, à
encourager les délocalisations et les
restructurations toujours assorties de
plans de suppressions d’emplois.
Néfaste quand la Commission européenne freinait des quatre fers pour
retarder l’assouplissement (qu’elle
veut temporaire) du corset de fer
imposé aux budgets des Etats de la
zone Euro par la BCE.
Néfaste quand la « concurrence non
faussée », imposée scrupuleusement
par la Commission européenne,
empêche toute coopération européenne
et laisse aux marchés le soin de
mettre fin à une crise dont ils sont
responsables.
LE MANIFESTE
DU PARTI
SOCIALISTE
EUROPÉEN
EST À CÔTÉ
DE LA PLAQUE
Ce manifeste, adopté à Madrid, une
semaine après la clôture du Congrès
du Parti socialiste français n’est en
rien une réponse à la hauteur de la
situation à laquelle se trouve confrontée
l’Europe.
D’abord parce que le Manifeste du
PSE affirme, dès la première
page, que «l’entrée en vigueur du
traité de Lisbonne, après ratification
par tous les Etats membres, donnerait
à l’Europe plus de moyens pour
mener, face à nos problèmes, une
action démocratique, transparente et
efficace ».
Cet appui au traité Lisbonne indique,
d’emblée, les étroites limites du
Manifeste « Les citoyens d’abord ».
L’appel à la démocratie est particulièrement
mal venu dans notre pays qui
a repoussé le Traité Constitutionnel
Européen par 54,67 % des suffrages
en 2005. Alors que le traité de
Lisbonne a exactement le même
contenu que le TCE. « Les outils sont
exactement les mêmes, seul l’ordre a
été changé dans la boîte à outils»
affirmait Valéry Giscard d’Estaing,
l’ancien président de la Convention
européenne, dans le Monde du
26 octobre 2007.
L’annonce de « la fin de l’ère néolibérale
des marchés sans régulation
crédible » est dénué de tout sens dans
le cadre d’un traité garantissant
(article 3) que la « concurrence n’est
pas faussée », ce qui est la définition
même du néolibéralisme.
L’affirmation que « l’euro a protégé
très efficacement nos économies
européennes dans cette crise financière
mondiale » alors que l’Union
européenne est la zone la plus touchée
après les Etats-Unis, a quelque
chose de surréaliste.
La prétention à faire du budget européen
l’outil de l’amélioration du
niveau de vie, du soutien, de la cohésion
et de la croissance dans toute
l’Europe est dérisoire quand on sait
que le traité de Lisbonne limite ce
budget à 1,27 % du PIB européen,
dans le meilleur des cas.
Les mesures préconisées contre le
retour d’une nouvelle crise financière
ne diffèrent guère de ce que propose
Sarkozy. Rien sur l’interdiction de la
« titrisation » qui a permis l’épidémie
des « subprime », rien sur les produits
dérivés ou l’effet levier qui ont
démultiplié les ravages de la spéculation
financière.
Rien surtout sur le nécessaire rétablissement
de la part salariale dans le
partage des richesses créées chaque
année alors que l’accroissement de la
part des profits est la cause essentielle
de la crise financière.
Leurs détenteurs ne trouvent pas, en
effet, d’occasion d’investissements
productifs suffisamment rentables (à
leurs yeux) et préfèrent utiliser une
part de plus en plus importante de ces
profits à spéculer en bourse et gonfler
les bulles financières, les unes après
les autres.
La volonté de « mettre fin aux paradis
fiscaux » relève d’un vœu pieu
dans le cadre d’un traité européen qui réaffirme l’interdiction de toute
entrave à la libre circulation des capitaux.
L’harmonisation sociale par le
haut est interdite par le traité.
Ce n’est donc pas un hasard si le projet
(très en deçà de ce que défendait
le Parti socialiste français lors des
dernières élections européennes) ne
propose pas un Smic européen mais
se contente de proposer un « Accord
Européen sur les salaires, garantissant
un salaire égal à travail égal et
prévoyant l’établissement d’un salaire
minimum décent dans tous les
Etats membres, soit par la loi, soit par
la négociation collective ». Un Smic
par Etat et non un Smic commun,
atteint par étape, à tous les Etats
européens.
La volonté de parvenir « à l’égalité
des sexes en Europe » est positive.
Mais avec le traité de Lisbonne et la
primauté donné au marché, ce principe
pourrait facilement se retourner au
détriment des femmes.
Il suffit pour s’en persuader de
constater comme la Cour de justice a
interprété ce principe dans le domaine
du travail de nuit en autorisant le
travail de nuit des femmes.
C’est également en se réclamant de
ce principe énoncé par l’Union européenne
que le Conseil d’orientation
des retraites tente de justifier la remise
en cause des 4 trimestres de cotisations
retraites accordés aux
femmes pour chaque enfant élevé…
Le Manifeste du PSE préconise « un
cadre européen pour les services
publics » alors que l’Union européenne
ne reconnaît pas les services
publics mais simplement la forme
allégée des Services économiques
d’intérêt général (SIEG). Pourquoi,
surtout, passer sous silence le fait
qu’il faudrait abroger, pour garantir
des services publics dignes de ce
nom, la directive McGreevy qui
(contre le vote des députés européens
du Parti socialiste français) met à mal
les services publics existant en reprenant
à son compte 70 à 80 % de la
directive Bolkestein ?
Il reste encore un an pour que cette
directive soit introduite dans la législation
française et soumette à la
concurrence une partie décisive de
nos services publics.
La volonté de « mettre l’Europe en
tête de la lutte contre le changement
climatique » est un objectif relatif…
Surtout, il ne sera pas à la hauteur du
problème posé à la survie de la planète
si le marché continue, comme le
prévoit le traité de Lisbonne, à définir
la règle du jeu économique et à imposer
la loi du profit et du court terme.
Pour le marché, c’est « après moi le
déluge » et ce n’est plus une simple
image.
POUR
UNE EUROPE
DÉMOCRATIQUE
ET SOCIALE
Une Europe démocratique et sociale
et incompatible avec le traité de
Lisbonne.
Ce traité est un obstacle à l’harmonisation
sociale, à l’harmonisation fiscale,
au maintien des services
publics.
Il est également un obstacle à la
démocratie. Le Parlement qui est, en
effet, le seul organisme élu au suffrage
universel, est aussi celui qui
détient le moins de pouvoirs.
Ce sont les organismes non élus au
suffrage universel qui détiennent les
pouvoirs essentiels. Le Conseil des
ministres est le véritable législateur,
la Commission a l’initiative des
directives et contrôle leur application,
la Cour de justice à une très
large latitude d’interprétation des
directives, la BCE décide de la politique
des taux d’intérêts et de la politique
de change.
Il est, enfin, par la suprématie qu’il
donne au marché à l’instauration
d’une puissance publique régulatrice
autour de laquelle pourrait se
construire une véritable Union européenne.
Or, le traité, une fois adopté, sera
extrêmement difficile à modifier.
Toutes les modifications essentielles
ne pourront plus, en effet, être prises
qu’à l’unanimité.
Ce n’est qu’en modifiant le traité de
Lisbonne que les propositions du
PSE auraient les possibilités d’aboutir.
Le plus efficace serait donc de ne
pas laisser se refermer la lourde porte
blindée du traité de Lisbonne et de
soutenir le « non » du peuple irlandais,
ultime obstacle à sa ratification.
Ultime levier, aussi, pour obliger (à
la lumière de la conséquence de la
crise financière et de la remise en
cause de la toute-puissance du marché),
à réviser le traité de Lisbonne
dans un sens qui permettrait aux propositions
du Manifeste du PSE de
devenir réalité.
Jean-Jacques Chavigné