GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention de Gérard Filoche

Je remercie François Kalfon de son rapport fait dans l’exercice de ses fonctions comme secrétaire national chargé de ces questions. J’étais déjà intervenu lorsque François Rebsamen était venu, il y a quinze jours, nous présenter son projet de loi. Je ne vais pas répéter aujourd’hui les objections que j’avais formulées : je les ai écrites alors. Mon syndicat, la confédération CGT, est opposé à ce projet de loi, et je pense qu’il a raison. Ce n’est pas du dialogue social, ni des « avancées ». Tout est déjà compromis par les reculs énormes contenus dans le projet de loi Macron, facilitation des licenciements, travail du dimanche et de nuit, donc flexibilisation des horaires, insécurisation des élus du personnel, des CE, recul du droit pénal de travail, de l’inspection du travail, des prud’hommes, de la médecine du travail, et surtout modification de l’article 2064 du code civil.

Certes, j’avais alerté des février 2013 sur le risque de remise en cause des seuils sociaux, Michel Sapin ayant été sensible à cette demande patronale, et j’y étais revenu à plusieurs reprises depuis, François Rebsamen ayant repris l’idée : cette idée est écartée et je me félicite de ce non-recul.

Je répète cependant le principal : concernant l’article 2064 du code civil modifié par le projet de loi Macron, je redis que c’est une rupture historique, théorique, fondamentale, avec toute l’histoire de notre droit du travail. Et une rupture décisive du « dialogue social ». Je l’avais signalé ici dès le mois de décembre, puisque c’est dans l’article 83 du projet, et que cela touche aussi la loi du 8 février 1995… Ces articles précisaient que toute relation de travail relevait du Code du travail, de l’ordre public social, de l’état de droit spécifique à l’entreprise. En modifiant ces articles, on permet que des relations de travail ne relèvent plus du code du travail, mais du code civil et donc… n'entraînent plus aucun droit en échange de la subordination. Ce serait de la « soumission librement consentie » sans contrepartie. Il devient possible de travailler en dehors du droit du travail, comme l’exige la société Uber qui veut des VTC à zéro heure, corvéables sans droits, sans feuille de paie, sans protections, sans cotisations sociales, auto-entrepreneurs faisant office de salariés sans l’être. Tout pourra ainsi être contourné, le smic, les 35 h, les heures sup, les IRP, le droit des licenciements… Faire cela et parler de « dialogue social » pose un problème, tellement énorme que je me demande où est la cohérence… Avant la deuxième lecture du projet de loi Macron qui arrive fin juin à l’AN, car c’est bien fin juin, n’est-ce pas, il faut que notre parti demande à ce que ceci soit retiré…

Maintenant, sur le « mémorandum » qui nous est proposé avant la loi Rebsamen, j’ajoute que :

1°) je ne crois pas à une commission régionale paritaire patrons/syndicats de 20 personnes concernant les entreprises de moins de 10. Trop éloignée du terrain, trop bureaucratique : ce sera sans effet. Je propose à nouveau qu’on développe ce qui existe : les conseillers du salarié, en étendant leurs droits, leurs heures de délégation, les thèmes de leurs interventions. Ils ont l’immense mérite d’exister et d’être efficaces. Il faut un numéro vert dans les entreprises et qu’ils puissent être appelés lorsqu’il y a conflit dans l’application des conventions collectives, pas seulement pour les entretiens préalables aux licenciements. C’est efficace d’avoir des interventions extérieures dans les petits établissements, car c’est vrai, ce sont des unités humaines trop petites pour qu’il y ait des délégués dedans, tandis que la venue  d’un œil extérieur change tout, le climat, le dialogue, et permet des solutions. Les conseillers du salarié, proposés par les syndicats, sur des listes nommées par les préfets, sont débordés, il faut leur donner les moyens : ce serait une avancée dans les petites entreprises. Je rappelle qu’il y a un million d’entreprises de moins de 10, soit 4,2 millions de salariés, et aussi que les élections de TPE de nov-déc 2012 ont donné une nette majorité à la CGT et FO (comme lors des prud’hommes de 2009), majorité nette et contradictoire d’ailleurs avec la majorité dégagée par le recollement par les DRH des votes aléatoires des DP/CE [Délégués du personnel/Comités d’Entreprise] étalés sur 4 ans (entre 2009 et 2013).

2°) le plus important, vital, c’est la question des CHSCT [Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail]. Inclure les CHSCT dans des « DUP » [Délégation Unique du Personnel], c’est les étouffer. Si les CHSCT sont nés séparément, c’était justement parce qu’il n’y avait jamais le temps de traiter des questions d’hygiène-santé-sécurité et de conditions de travail dans les CE. Elles étaient toujours repoussées et maltraitées dans les ordres du jour. C’est un peu comme ici au bureau national : quand vient le temps de traiter la dernière question, internationale, il n’y a plus le temps et il n’y a plus personne ! Donc on a voulu, après guerre, qu’il y ait une structure ad hoc spécifique, consacrée à l’étude des questions d’hygiène et de sécurité. Les CHS ont été considérablement enrichis avec les Conditions de Travail (santé, TMS [Troubles Musculo-Squelettiques], AT [Accidents du Travail], AVC, stress, RPS [Risques PsychoSociaux], burn-out…) ajoutées par les lois Auroux : c’était un bond en avant. Le patronat a freiné de toutes ses forces, puisque les CHSCT n’existent que dans 22 000 entreprises sur 1,2 million. C’est trop peu.

Je demandais dans un avis adopté par le Conseil économique et social daté de 2001 et publié au Journal Officiel, avis soutenu par notre parti à l’époque, pour les 20 ans des lois Auroux, que les CHSCT soient au contraire un « deuxième CE », qu’ils soient élus, qu’ils aient un budget, qu’ils soient mieux formés, qu’ils aient 20 h de délégation, et pas 2 h, qu’il y ait une « obligation de faire » sur les cas graves légitimés par les personnalités extérieures - les inspecteurs, les médecins du travail et l’agent de la Cram qui assistent aux CHSCT. Demandez à Jean Auroux ce qu’il en pense, il  vient de s’exprimer à ce sujet. 
Mais là, on n’est pas en train d’étendre hélas, mais d’éteindre les CHSCT, et au contraire, le patronat est en train de gagner leur extinction dans les boites d’en-dessous de 300 (pourquoi 300 ? Pour en revenir à la situation d’avant 1982, quand les CACT [Commission d’Amélioration des Conditions de travail] n’étaient obligatoires que dans les entreprises de plus de 300 ?) et cherchera à « négocier »-imposer leur disparition dans les autres. Déjà, lors de l’ANI, puis de la loi du 14 juin qui en est issue, les CHSCT ont été attaqués : les CHSCT de base ont été muselés et un employeur peut les regrouper dans un seuil de 20, leurs droits à expertises ont été diminués… Dans les grandes entreprises avec plusieurs établissements et plusieurs CHSCT, l’ANI permet désormais pour ces différents CHSCT de limiter les éventuelles expertises et les principales consultations à une seule expertise et une seule consultation, en instituant une « instance de coordination des CHSCT ». Et là avec des délais impératifs. C’est un affaiblissement des CHSCT d’établissement, de terrain : l’explosion d’AZF aurait plutôt poussé à renforcer ceux-ci. Les salariés sont mieux à même de défendre leur peau que des experts extérieurs, même que des inspecteurs du travail ou des inspecteurs "Seveso"

Là, une fois intégrés dans des DUP uniques, les CHSCT perdront leurs particularités : il n'y aura plus les membres salariés formés et orientés, spécialisés vers ces questions ad hoc, et il n’y aura plus les personnalités extérieures, IT, médecin, agent de la CRAM, présences si décisives pour faire « ouvrir les yeux » aux deux parties salariales et patronales, débloquer les problèmes. Je sais combien c’est important, après 30 ans de pratique des CHSCT.

Je suggère donc un amendement au « mémorandum » pour que notre parti demande que les CHSCT indépendants restent vraiment en place et soient renforcés.

3°) Point de détail de droit dans le mémorandum : les syndicats n’ont pas d’experts, mais ce sont les CE et CHSCT qui en ont. Ce droit a d’ailleurs été rogné dans l’ANI et la loi du 14 juin. De toute façon, hélas, seulement 1% des 22 000 CHSCT savent faire appel à des experts, et c’est seulement dans 1 % des cas que les patrons acceptent.

4°) La pratique consistant à contourner les syndicats pour passer des accords d’entreprise par des « referendums » patronaux, n’a rien à voir avec le dialogue social, mais tout avec son opposé ! Au contraire, on doit réaffirmer que tout accord doit être passé avec les syndicats, pas avec des salariés subordonnés qui n’ont pas le choix, ni le moyen de se défendre.

5°) Quant à la représentation des salariés aux conseils d’administration, on sait les limites de l’ANI et de la loi du 14 juin : cela ne concerne que les entreprises de 10 000 qui ont au moins 5000 sur notre territoire, soit 255 entreprises en tout. Il s’agit de l’éventuelle participation restreinte de un ou deux salariés, dont on ne sait comment ils seront désignés, mais dont la fonction sera incompatible avec celle de membre du CE, du CHSCT, de DP ou de délégué syndical. De plus, ces représentants des salariés ne seront pas « protégés ». Ils auront voix délibérative mais seront soumis aux règles de confidentialité… Le délai pour la mise en place est le 30 juin 2015 Mais déjà le Medef, qui a pourtant signé cela, s’est réorganisé pour y échapper : sur les 40 entreprises du CAC, 10 se considèrent hors périmètre, car leurs holdings font… moins de 50 salariés !

Pourquoi ne pas profiter  de la situation pour imposer un grand coup : composer ces conseils, comme en Allemagne, de 50 % de salariés ? Comme en Allemagne ! Conformément à notre Constitution de 1958, intégrant le préambule de 1946 qui prévoit que "les salariés s’expriment à travers leurs délégués et participent ainsi à la gestion des entreprises" ! Voilà qui serait une grande novation pour la fin du quinquennat.

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