GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Intervention au BN du PS du 10 décembre en présence de Michel Sapin sur l’emploi, les travailleurs détachés, l’inspection du travail, les élections prud’hommes

Merci à Michel Sapin de sa présence et de son exposé, ce qui autorise au débat. Sur trois questions :

1°) Oui, pour inverser la courbe du chômage, il faut combattre le faux travail « détaché » et dissimulé.

Il existe dans doute un milliard d’heures supplémentaires dissimulées et cela représente 600 000 emplois. Alors s’il y avait davantage de contrôles, on aurait des meilleurs résultats contre le chômage de masse. Pareil pour les salariés détachés, et sans dépendre de la directive européenne de 1996, on peut se référer à la jurisprudence, de 1982, « Rut Portuguesa », qui défende le Smic français sur le territoire français. Mais ça s’interprète en Smic brut, en smic brut et net, ce qui permet de sanctionner toutes les infractions aux vrais faux travailleurs détachés, non ? De même c’est la loi Barrot du 12 mars 1997 qui a établi la « coresponsabilité » des donneurs d’ordre dans ce type d’infractions, mais la coresponsabilité, ce n’est pas la responsabilité, ils se défilent, il faut leur imposer (ce que je demande depuis 20 ans) la responsabilité juridique, économique, financière, pénale, complète pour tout ce qui se passe sous leurs ordres, ce qui aurait de façon générale un effet d’assainissement des dérives de la sous-traitance.

2°) Quant aux contrôles, il faut une inspection du travail dont les effectifs ne diminuent pas mais doublent.

Et une inspection du travail n’est efficace que si elle est indépendante. Si le corps de l’inspection, à 90 %, s’oppose à la réforme que tu veux lui imposer par loi en janvier prochain, c’est parce que cette indépendance est en cause. Ce n’est pas parce qu’ils sont corporatistes, mais parce qu’ils ont une haute idée de leur mission.

Je me rappelle une grande directrice du travail de Paris, elle était démocrate chrétienne, une résistante, et elle accueillait les agents de contrôle en leur disant « votre mission est une des plus importantes de la République, vous allez contrôler des employeurs, ils se croient le sel de la terre mais ne respectent pas l’état de droit dans leurs entreprises, pour leur tenir la dragée haute, il faut que vous soyez indépendants, il faut qu’ils sachent que c’est VOUS qui allez décider en opportunité de poursuivre leurs infractions ou pas, il faut qu’ils sachent quand vous êtes en face d’eux, dans leurs locaux, que c’est VOUS qui allez leur envoyer des observations, des mises en demeure, ou leur dresser un procès verbal, vous et personne d’autre, ça ne dépend pas de votre hiérarchie, sinon vous n’êtes pas crédible, alors… assumez ! ».

Je n’ai connu, en trente ans, qu’un seul directeur qui m’ait appelé quand je verbalisais pour travail dissimulé un patron d’une assez grosse boite de la rue Charlot qui faisait des médailles. Le DDTE, au téléphone, en 1997, m’avait demandé de « prendre des gants » avec ce patron « parce qu’il était un responsable du Medef, patron du conseil des prud’hommes de Paris et qu’on avait besoin de lui pour l’emploi ». Comment avoir besoin « pour l’emploi » d’un patron qui fait du « travail dissimulé » ? J’ai fait mon procès-verbal, et c’est l’inspecteur qui doit le faire, pas sa hiérarchie qui doit en décider. Or dans ta réforme, où tu dis que l’inspection sera « renforcée », qu’elle pourra même mettre des « sanctions administratives », faire davantage d’ « arrêts de travaux » ce sera la hiérarchie qui en décidera, ce sera le « DUC », ou la DUCHESSE, le directeur ou la directrice qui en décideront. Il est même question que les employeurs puissent « plaider coupable » auprès de la hiérarchie pour éviter le procès en correctionnel. Quand tu dis, ce sera un travail collectif, « ensemble, » c’est ça que ça veut dire, et c’est pour ça que la majorité écrasante de l’inspection est CONTRE, ce sont des gens habitués à lire les textes, à voir ce qu’il y a derrière et c’est bien ça qu’il y a derrière. Les agents de contrôle affectés dans des unités de contrôles par groupes de 8, 9 ou 10, deviendront ré affectables et interchangeables selon une hiérarchie renforcée qui pourra intervenir par dessus-eux dans les entreprises « sensibles ». Il y aura aussi des équipes « spécialisées » qui pourront intervenir par-dessus eux. Cela diminue d’autant l’autorité de l’intervention indépendante en opportunité de l’inspecteur dans son face à face avec l’employeur.

Alors oui, les sections, le caractère territorial et l’indépendance des contrôles sont remises en cause en même temps. Quand à la « spécialisation », j’ai souffert d’entendre Karine Berger me dire à la télévision que l’inspection devait faire du « conseil » et se « spécialiser » sous peine de n’être plus « pérenne ». On n’est pas là pour faire du « conseil » les employeurs ont tout moyen de se faire conseiller, on est là pour contrôler. On n’est déjà pas assez nombreux et tu vas baisser nos effectifs. Il aurait fallu doubler les sections. On ne doit pas être « spécialisés » je me rappelle encore, au centenaire de l’inspection du travail en 1992, quand, avec Martine Aubry et Jacques Delors, François Mitterrand était venu nous promettre un « corps unique », l’ovation debout, de 3000 agents du ministère, dura près de dix minutes. On n’a pas eu tout de suite satisfaction, la droite ne nous a cédé cela qu’après un rapport qui a suivi l’émotion créée par l’assassinat de deux de nos collègues à Saussignac en Dordogne, en 2004. L’évolution vers une inspection plus « généralistes » (fusion généraliste, agriculture et transport) était en route depuis 2008, mais avec ton plan, ta loi en janvier, vous allez contrecarrer cette tendance. Être généraliste c’est être plus indépendant. Etre « spécialisés » c’est être davantage soumis au lobbies patronaux, des branches ou secteurs concernés.

La droite n’avait pas osé s’attaquer ainsi à l’inspection du travail, ce n’est pas à la gauche de la faire

3°) quant à la suppression des élections prud’hommes ce n’est pas non plus à la gauche de faire ça.

Il y a deux arguments avancés : le premier c’est qu’il n’y aurait pas assez de votants et le second c’est que ça couterait trop cher. Mais aucun des deux ne tient :

a) Il y a eu 4,5 millions de votants pour les syndicats en 2009. C’est encore énorme et légitimant pour eux. Certes ça fait moins de 30 % de votants, mais dans les conditions de 5 millions de chômeurs, des limites dans les listes d’inscrits, des freins mis par les employeurs pour que les salariés aillent voter sur leur temps de travail sans perdre de salaire… Il faudrait des débats télévisés, booster l’intérêt pour cette élection au lieu de l’éteindre. Si on se met à supprimer toutes les élections où il y a moins de 30 % de votants, ca va être mauvais pour la République. Les immigrés peuvent voter pour une élection nationale, c’est la seule, pour élire les juges de le République, va t on la supprimer ? Cette élection – comme celle des TPE - est plus franche loyale, transparente que les élections des CE/DP étalées sur 4 ans dans 3 % des entreprises et contrôlées par les DRH. Il faudrait même restaurer les élections aux caisses de sécu et avoir, tous les cinq ans, un jour férié, une grande élection sociale de représentativité, utile pour les syndicats aux yeux de la grande masse des salariés, c’est à nous de faire ça pas de supprimer la seule qui existe.

b) Parce que ça coûte trop cher ? La démocratie sociale ne coute pas (jamais ?) trop cher, elle vaut qu’on y investisse ! Cela coute 91 millions c’est 4 fois moins que ce qu’écomouv se proposait de prendre sur l’écotaxe (440 millions). Cela fait 4,77 euros par électeur, mais c’est le même prix que toute élection. Pas plus cher que les élections aux chambres de commerce, d’industrie, d’agriculture. Va-t-on les supprimer aussi ? Va-t-on supprimer les élections aux corps consulaires ? N’est ce pas l’élection le meilleur moyen dynamique de consolider un lien démocratique, actif entre syndicats et salariés ? Là encore, que la gauche ne fasse pas cela !

Michel Sapin m’a interrompu en cours de parole, au moment ou j’ai souligné la mise en cause de l’indépendance de l’inspection du travail. « Je ne peux pas te laisser dire cela parce que c’est faux » ! J’ai continué, il m’a redit « C‘est faux, mais c’est faux ». J’ai dit que 90 % du corps de l’inspection en était convaincu. Il m’a dit que ça n’en était pas moins faux, et il ajoutera ensuite que « si 90 % ou 50 % de l’inspection était contre, tant pis pour elle, l’IT "se marginaliserait" »… Comme il essayait de m’empêcher de poursuivre et voulait m’interrompre, ce qui ne se fait jamais en BN, je continuai, Harlem lui a demandé de me laisser parler et de me répondre après, Michel Sapin a dit « non je lui répondrais pas, ce qu’il dit est faux »… Puis tout à la fin, Michel Sapin m’a quand même répondu, tout en essayant de m’isoler du BN, « sauf l’un d’entre vous », s’est emporté en affirmant que jamais au grand jamais il n’était question de mettre en cause l’indépendance de l’inspection du travail, qu’elle était garantie par l’OIT, par la République, que personne ne donnera d’ordre aux inspecteurs, que le caractère généraliste, géographique, était maintenu, que tout salarié doit pouvoir avoir accès à l‘inspection, qu’il n’est pas question de grossir une hiérarchie ce serait imbécile, qu’il faut garantir les droits sociaux, travailler contre les grands fléaux que sont le travail dissimulé, les fraudes patronales…

Il a fini en disant « pardonnez ma fougue à la fin de ma réponse, à la hauteur de la fougue de quelques autres, d’un surtout ». Mais il n’a pas précisé un seul point du détail de la réforme de l’inspection qu’il n’avait pas pris la peine d’aborder dans son exposé introductif, (alors qu’il était venu parler au BN de l’emploi, des contrôles des travailleurs détachés, des « lois de janvier » sur la formation professionnelle). Auparavant il avait répondu sur les prud’hommes, en substance : là, oui, c’est un débat, une seule organisation syndicale, la CGT demande à maintenir les élections, pas les autres. Et encore, la CGT le fait avec ou double langage… on y réfléchit encore, « la décision n’est pas prise ». Mais le vote qui compte est celui des DP/CE, et là les immigrés votent aussi…

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