GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes

Il faut sauver la révolution Bolivienne !

Nos « élites » sont parfois

surprenantes.

Quand le danger extrémiste

est objectivement loin à l’horizon, elles

n’hésitent pas à brandir son spectre pour

servir leurs intérêts les plus immédiats. Il en

est allé ainsi il y a quelques semaines, quand

en France, la « gauche caviar » s’est

associée avec la droite pour attaquer

ignominieusement Siné en le qualifiant

d’antisémite et d’extrémiste… En revanche,

lequel de ses messieurs va ne serait-ce

que

lever le petit doigt pour dénoncer les

véritables bandes fascistes qui sévissent en

Bolivie et tentent de plonger le pays dans la

terreur ? Lequel d’entre eux aura le courage

de dire que ces « bataillons de la mort »,

soutenus par les oligarques boliviens et

équipés par l’impérialisme mondial,

constituent l’avant-garde

armée de la

réaction qui s’est fixée pour tâche de détruire

le processus révolutionnaire, et donc

démocratique, qui touche ce petit pays

andin ? Pourtant, le 12 septembre 2008,

dans la province du Pando, au Nord du pays,

trois groupes armés d’extrême droite

proches du préfet réactionnaire Leopoldo

Fernandez ont attaqué des municipalités

proches de la capitale régionale Cobija,

loyale au régime, et y ont massacré des

paysans pauvres partisans du président

Morales et solidaires du processus

révolutionnaire bolivien. D’après les

dernières nouvelles, l’armée aurait investi

Cobija, mais ne parvient pas à reprendre les

bourgs où les bandes fascistes

continueraient leur œuvre de mort1…

Dernier épisode d’un affrontement social

ascendant depuis plusieurs mois, voire

plusieurs années, dont il nous incombe de

tirer les leçons.

La Bolivie est un pays typique du

continent sud-américain.

Elle doit assumer

un héritage hispanique fort, malgré

l’indépendance obtenue en 1825. Le passé

colonial de la Bolivie est en effet encore

inscrit dans la chair de son peuple, puisque

la majorité amérindienne (55 % de la

population) cohabite avec des métis et des

blancs européens (15 %), au niveau de vie

plus élevé en moyenne. En outre, la partition

du pays entre le plateau andin (l’Altiplano) à

l’Ouest et les plaines fluviales et tropicales

de l’Est renforce et « spatialise » cette

hétérogénéité ethnique. Néanmoins, la

géographie procure certains avantages,

puisque le pays dispose de richesses

naturelles abondantes, notamment dans son

soussol

exploité dès la période coloniale.

Comme dans toute l’Amérique latine, la

bourgeoisie bolivienne, tout aussi indigente

que ses voisines, n’a jamais réussi à imposer

la démocratie la plus élémentaire, ce qui a

permis à l’armée d’occuper une place

dirigeante. Si, dans la tradition hispanique,

les militaires ont pu jouer un rôle

progressiste, il reste que l’armée a

surtout imposé sa dictature

sanguinaire des années 1960

au milieu des années

1980. A l’instar des

autres pays

hispaniques, la

transition

« démocratique »

s’est alors fait sous le

talon de fer de la

concurrence mondiale et de

la libéralisation forcée, prônées

comme des dogmes par les institutions

internationales. La lutte contre l’inflation,

contre le déficit public et contre le secteur

nationalisé a laissé ce pays dans une

situation exsangue à l’orée des années

20002. La Bolivie était alors un des pays les

plus pauvres du monde.

C’est lors de la dernière année du

XXe siècle

que la situation économique de

la Bolivie évolue radicalement, avec la

découverte du gigantesque gisement gazier

de Tarija. Cette nouvelle donne économique

donne le signal au réveil de la combativité

ouvrière, paysanne et indigène, car le

mouvement social chilien, quoique apathique

depuis 1962, peut se targuer d’un passé

glorieux en la personne du Mouvement

Nationaliste Révolutionnaire qui avait imposé

le suffrage universel et une ambitieuse

réforme agraire à l’oligarchie au début des

années 1950. Depuis 2000, ce retour d’un

état d’esprit combatif permet aux masses de

se lancer hardiment sur les voies de la

contestation du libéralisme, qu’il soit de

droite ou de « gauche ». Leur mot d’ordre est

simple : la manne financière assurée par

l’extraction du gaz naturel doit profiter à tous,

et non aux seules multinationales

occidentales, ce qui passe par la

renationalisation des hydrocarbures. Depuis

2000, il n’y a pas eu une année, pas un mois

sans de grandes manifestations contre le

pouvoir. Les chiffres sont éloquents : en 5

ans, les travailleurs boliviens, par leur action

autonome, ont réussi à acculer deux

présidents à la démission et ont forcé le

troisième à appeler à des élections

anticipées en 2005, élections qui ont vu la

victoire d’un dirigeant indigène et

syndicaliste peu connu jusque là : Evo

Morales. C’est le premier

enseignement que l’on peut

tirer de cette histoire

récente. Ceux qui

crient à la

personnalisation

du pouvoir et au

bonapartisme, que

ce soit au Venezuela

ou en Bolivie, oublient

ou

font semblant d’oublierque

Chavez et Morales ne

seraient rien sans les masses qui les ont

portés au pouvoir. Ils n’ont leur confiance

que parce qu’ils incarnent leurs aspirations

confuses au mieux-vivre

et surtout leur refus

de revenir à l’esclavage antérieur. Nul doute

que ces chefs prétendument

« charismatiques » perdraient leur aura en

un jour, s’ils opposaient aux masses leur

refus d’aller plus loin ou s’ils s’engageaient

sur la voie des concessions avec l’ordre

ancien…

Morales est un démocrate, ce fait

est incontestable.

Son action

gouvernementale depuis le début de l’année

2006 est déterminé par cette exigence :

satisfaire les aspirations légitimes de la

majorité du peuple bolivien. C’est la

démocratie, dans son sens noble et

à vrai

dire le seul qui existe qui

imposait au

président de nationaliser les gisements

d’hydrocarbures, puisque cette réforme était le mot d’ordre n° 1 de la force sociale qui a

amené Morales et son parti, le MAS, au

pouvoir en 2005. L’objectif proclamé de

conserver 82 % des recettes pétrolières face

aux firmes étagères permet depuis de

financer des plans d’alphabétisation et de

lutte contre la pauvreté qui sont à la hauteur

de l’urgence sociale. Il devrait en aller de

même pour la réforme institutionnelle et la

reconnaissance du fait indigène. Mais c’est

là où le bât blesse. Car il y a démocrates et

« démocrates » ! La contrerévolution,

qui

préparait dans l’ombre sa contre-offensive,

a

finalement décidé, devant l’enthousiasme

populaire, de concentrer ses forces sur une

opposition dite « civique », dont l’objectif est

de renforcer

l’autonomie des

provinces qui le

souhaiteraient

avec, à court

terme, la

perspective de

faire sécession,

si le processus

révolutionnaire

emmenait le

pays trop loin à

gauche. Là où

Morales réalise

la démocratie

véritable en

appliquant le

programme

élaboré

progressivement par les masses dans le

cadre de leur lutte, les oligarques qui ont

perdu le pouvoir étatique utilise la

démocratie, pour temporiser et faire

triompher des positions fondamentalement

minoritaires. Cette opposition légale mise sur

les hésitations et l’irrésolution de Morales et

de son gouvernement qui ne comprennent

pas nettement que ces « démocrates » de

droite tendent un piège au nouveau régime.

La véritable démocratie exigerait de

combattre sans concession cette opposition,

ennemi mortel des travailleurs boliviens.

Cette opposition officielle et parlementaire,

visant à séparer les provinces riches de l’Est

du centre andin, indigène et populaire, a de

fait obtenu du président Morales

l’organisation d’un référendum sur

l’autonomie provinciale, le 2 juillet 2006. La

droite a largement perdu au niveau national,

ce qui prouve que l’oligarchie est ultra

minoritaire, mais la vérité sociale est ailleurs,

au niveau local. Les provinces andines

autour de La Paz, fidèles au MAS, ont voté

contre toute dérive autonomiste, tandis que

les régions riches de l’Est se sont

prononcées pour, ce qui prouve la fracture

socio-géographique

de ce pays3. Cette

fracture patente a mis à l’ordre du jour dans

les rangs de l’opposition la question de la

guerre civile en Bolivie.

Les succès politiques de

Morales, porté par les masses,

ont obligé

la réaction à

s’organiser

davantage.

L’opposition

« civique » cherche à

rassembler tous les

mécontents et à

temporiser en

attendant le déclin de

l’état de grâce du

président. Rien de tel,

alors, que le débat

constitutionnel pour

couper le MAS de sa

base sociale, acheter

certains de ses

parlementaires et

s’enfermer dans des

débats d’experts à

même de « refroidir » l’enthousiasme

révolutionnaire… Morales a fait une nouvelle

erreur en intégrant la minorité dans la

discussion sur les nouvelles institutions,

alors qu’elle n’est que l’émanation de l’ordre

ancien que les masses boliviennes veulent

mettre à bas. Plus généralement,

contrairement aux républicains français de la

fin du XIXe siècle, Morales n’a pas épuré

l’appareil d’État et a laissé la police,

l’administration, la justice et les médias aux

mains des oligarques par peur de passer

pour trop radical. C’est pourtant une nouvelle

fois la démocratie elle-même

qui exigeait ce

coup de balai qui n’a pas effrayé en leur

temps les Gambetta et autre Ferry, bien

décidés à mettre à la porte le personnel

publique monarchiste ! Les préfets des

provinces de Santa Cruz ou de Pando, bien

que considérés par tous comme des valets

des oligarques, n’ont pas été remplacé par

des fonctionnaires loyaux à Morales et au

mouvement social. C’est là la préhistoire du

drame de Cobija, où les fascistes ont pu

profiter de la protection du préfet Fernandez

lors de leur raid du 12 septembre dernier…

Malgré le regain d’activité de

l’opposition, Morales dispose d’une

majorité large

pour aller de l’avant et pour

faire franchir au processus révolutionnaire un

nouveau pallier. Face aux velléités

sécessionnistes des provinces orientales, qui

elles n’ont pas peur de braver les règles de la

démocratie en organisant des référendums

illégaux et même des lockout

patronaux,

Morales a remis son mandat en jeu le 10 août

2008. Il l’a emporté avec plus de 60 % des

voix, malgré la campagne de haine de ses

ennemis de Santa Cruz et d’ailleurs. C’est

véritablement depuis cette date que

l’opposition « civique » régionaliste a fini sa

mue en opposition terroriste de type fasciste.

Dès le mois de septembre, les attaques

contre les locaux syndicaux, contre les

organes de presses des partis politiques et

même contre les militants se sont multipliées.

Le massacre de la région de Cobija n’est que

le couronnement de l’activité intensive des

bandes fascistes. Face à ce danger de plus

en plus éminent, face au risque d’une guerre

civile généralisés, Morales doit cesser les

faux-semblant.

Il n’y a pas de conciliation

possible avec les oligarques qui sont

maintenant décidés à détruire le nouveau

régime, à recourir au coup d’État et à

l’assassinat. L’alternative est simple et aucun

troisième voie n’est à l’ordre du jour :

approfondissement du processus

révolutionnaire et auto-organisation

des

masses bien décidées à se défendre face

aux fascistes ou victoire dans le sang de la

réaction intérieure soutenue par

l’impérialisme. Le MAS doit passer le guet au

plus vite, car le temps presse. Le souvenir du

Chili n’est que trop présent dans les esprits…

Jean-François

Claudon

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  • 1 Source : www.hnsinfo.
  • net/article.php3?id_article=15393

  • 2 RUDEL C., La Bolivie, Karthala, Paris, 2006, p. 133 sqq.
  • 3 DORY D. « Polarisation politique et fractures territoriales en
  • Bolivie », Hérodote, n°123, 2006, p. 86.

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