Antoine Thivel est décédé le 2 décembre 2010. Depuis 1994, il était le correspondant de «Démocratie Socialisme » dans les Alpes-Maritimes. Tout au long de ces années, il a accompagné notre comité de rédaction par ses conseils, en commentant notre orientation dans des lettres manuscrites toujours chaleureuses et argumentées.

Antoine Thivel avait longtemps milité dans les rangs « lambertistes » de l'Organisation Communiste Internationaliste, en proximité d'idées avec Pierre Broué (1926-2005), « historien des idées politiques ». Si Pierre encouragea le comité de rédaction de D&S dans son choix d'adhérer au Parti Socialiste pour l'ancrer à gauche et le faire renouer avec l'union de la gauche, Antoine alla plus loin encore en décidant de nous accompagner pour cette plongée dans la réalité. Nous nous orientions, et Antoine avec nous, à l'aide de la critique des erreurs sectaires des dirigeants d'une Internationale Communiste en gestation, que Pierre Broué avait faite dans son principal ouvrage « Révolution en Allemagne (1918-1923) ».

Antoine Thivel n'était pas seul, parmi les proches de Pierre Broué, à expérimenter les leçons tirées de ces premiers pas de l'Internationale Communiste avant qu'elle ne soit stalinisée puis dissoute. Le groupe des anciens étudiants de Pierre a emprunté la même voie et, autour de René Revol, ils ont eux aussi adhéré au PS. Mais Antoine appartenait à la génération antérieure et, dans leur activité au sein du PS, ils n'ont pas évolué de concert. Pour René Revol, le passage par le PS était une tactique momentanée : il fut l'un des artisans de la sortie et de la constitution du Parti de Gauche. Antoine Thivel, lui, se retrouvait mieux dans l'orientation de D&S, dans la perspective d'un parti unifié de la gauche : c'était une rupture avec la conception tacticienne, issue du lambertisme. C'était choisir l'objectif du pluralisme pour que la lutte contre le social-libéralisme ne soit pas le prétexte du sectarisme. Sur la conception du parti dont la gauche a besoin, il avait peu à peu abandonné le sectarisme issu de la formation lambertiste.

Antoine Thivel était professeur émérite de civilisation grecque à l'Université de Nice, doté d'une immense culture en lettres classiques et en philosophie. J'en ai beaucoup profité car il lui plaisait de donner conseils et avis. Il avait lu l'excellent petit livre de Denis Collin « La théorie de la connaissance chez Marx » mais tempêtait : « Marx n'a rien écrit sur la théorie de la connaissance ! ». Je lui disais : « Marx en a rêvé, Denis l'a fait… », il riait. C'est vrai, Denis l'a fait mais il n'était pas le premier et il fallait un peu de temps pour qu'Antoine accepte ce qui l'avait d'abord heurté. Il s'intéressait à toutes les sciences humaines en connaisseur. Comme je le questionnais un jour sur la grammaire et la linguistique, connaissant la mode dont bénéficiait encore le structuralisme, il me répondit : « En linguistique, contre le structuralisme, je suis partisan des théories de Gustave Guillaume ». Or, je venais de tenter de lire, avec difficulté, « Gustave Guillaume et Jean Piaget, contribution à la pensée génétique » de Philippe Geneste. Mais Antoine Thivel était là pour expliquer Gustave Guillaume (1883-1960), grand linguiste, pourtant méconnu. Merci Antoine !

Nous sommes tristes de l'avoir perdu, mais heureux de l'avoir connu.

Pierre Ruscassie