GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Gaza

Nous publions ici la troisième partie de l’article « Gaza : 8 questions, 8 réponses » de notre camarade Jean-Jacques Chavigné (voir lettres de D&S des deux semaines précédentes).

5 - Les grandes puissances avaient-elles les moyens d’arrêter l’agression israélienne ?

Il a fallu attendre le 3 août pour qu’Herman Van Rompuy dénonce, au nom des 28 membres de l’Union européenne « d’intolérables souffrances depuis plus de 3 semaines déjà et qui ont coûté beaucoup de vie, dont celles de nombreuses femmes et enfants ». Cette déclaration était non seulement tardive mais sa volonté d’ « équilibre » était insupportable. Pourquoi ne pas préciser dans quel camp étaient les « nombreuses femmes et enfants » qui avaient perdu la vie ? Cette volonté d’« équilibre » n’avait rien d’équilibrée puisqu’elle ignorait l’énorme disproportion entre le nombre des victimes civiles, israéliennes d’un côté, palestiniennes de l’autre.

Les États-Unis ont poussé encore plus loin l’hypocrisie. Le 31 juillet, quelques heures après avoir fermement condamné l’attaque d’une école de l’ONU à Gaza par l’armée israélienne, ils confirmaient avoir réapprovisionné Israël en munitions, pour une valeur d’un milliard de dollars ! Au total, les États-Unis consacreront 30 milliards d’euros à l’aide militaire à Israël entre 2009 et 2018.

La seule question qui semblait se poser était celle de savoir comment les Palestiniens avaient pu s’armer et disposer de roquettes. Comme dans les westerns racistes où tout le monde trouvait parfaitement normal que les « tuniques bleues » soient armées de canons mais où la seule question était celle de savoir quels étaient les traîtres qui avaient fourni des Winchester aux Apaches. Alors qu’un civil israélien avait été tué pour 375 civils palestiniens, la seule interrogation portait sur les moyens de la « démilitarisation » de Gaza. La question de l’arsenal de destruction d’Israël et de ses sources d’approvisionnement n’avait aucune raison d’être.

Pourquoi l’UE et les États-Unis n’ont-ils pas sanctionné Israël comme ils ont sanctionné la Russie de Vladimir Poutine ?

En représailles de l’attitude de Vladimir Poutine vis-à-vis de l’Ukraine, Barack Obama a décidé d’importantes sanctions économiques touchant les domaines de l’énergie, de la finance et de l’armement.

L'Union européenne a, elle-aussi, réagi à la situation ukrainienne. Elle a annoncé le blocage de l'accès aux marchés financiers européens des entreprises et banques russes ainsi que l'interdiction de toute nouvelle vente d'armes et de technologies sensibles dans le domaine de l'énergie. Elle a également pris la décision de bloquer les avoirs, dans les banques européennes, de plusieurs hommes d’affaires accusés d’avoir bénéficié de l’annexion de la Crimée et d’avoir activement soutenu la déstabilisation dans l’est ukrainien.

Pourquoi les États-Unis et l’Union européenne n’ont-ils pas utilisé les mêmes méthodes contre l’agression israélienne ? Ils auraient pu sauver la vie de plusieurs centaines de civils palestiniens car Israël n’aurait pas eu d’autre choix que de cesser son offensive, tant il est dépendant économiquement et militairement des États-Unis et de l’Union européenne.

Les États-Unis avaient tenu à justifier, selon Le Monde du 31 juillet, pourquoi ils rapprovisionnaient Israël en armes : « Les États-Unis se sont engagés à garantir la sécurité d'Israël, et il est crucial pour les intérêts nationaux américains d'aider Israël à développer et à maintenir une capacité d'autodéfense forte et réactive. Cette vente d'armement est cohérente avec ces objectifs. » C’est clair et c’est net, ce sont les intérêts nationaux américains que l’Administration Obama affirme défendre en défendant Israël.

L’Union Européenne s’est alignée, sur la position des États-Unis qui, sur le fond, n’a guère varié de George W. Bush à Barack Obama. Le Parlement européen avait, certes, protesté contre la confiscation des terres palestiniennes et la construction du « Mur de séparation » jugé illégale par la Cour internationale de justice de La Haye. Mais aucune sanction n’a frappé l’État d’Israël et les accords commerciaux préférentiels avec l’Union européenne avaient continué de s’appliquer, ils ont même été « rehaussés ». Les seules sanctions prises par l’Union européenne ont frappé l’Autorité palestinienne : elle a été privée de toute subvention après avoir donné la majorité parlementaire au Hamas. Ces subventions ont été conditionnées à la reconnaissance d’Israël et au renoncement à la violence. Mais pourquoi l’Union européenne n’exige-t-elle pas, pour maintenir ses relations commerciales avec Israël, que cet État applique toutes les résolutions de l’Onu, reconnaisse un État palestinien indépendant et mettent fin à une violence beaucoup plus meurtrière que celle des Palestiniens ?

« Une villa en plein jungle »

« Vivre en Israël, c’est comme vivre dans une villa en pleine jungle » avait déclaré, en décembre 2006(1), Ehud Barak, ancien Premier ministre d’Israël de juillet 1999 à mars 2001.

Pour obtenir le soutien des grandes puissances, en premier lieu celui des États-Unis, et afin de justifier ce soutien aux yeux de leurs opinions publiques, cette image est celle que cherche à propager les dirigeants israéliens en opposant le « eux » (les Orientaux) au « nous » (les Occidentaux).

Le site du porte-parole de l’armée israélienne, le 10 juillet, adoptait pleinement ce point de vue en demandant à ceux qui visionnaient ses simulations de s’identifier aux Israéliens, en leur demander d’imaginer ce que signifierait la portée des roquettes palestinienne si Gaza était proche de la ville qu’ils habitaient : Londres, Paris, Bruxelles, Lille… Ce site se gardait, bien évidemment, d’inverser ce point de vue en demandant à un habitant de Londres, Paris, Bruxelles, Lille ce que pourrait bien représenter pour lui le fait d’être soumis aux bombardements incessants de l’armée israélienne.

La présence d’équipes israéliennes aux championnats d’Europe d’athlétisme et de natation (notamment pendant l’été 2014, alors que l’armée israélienne tuait plus de 2000 personnes à Gaza) participe de la même volonté d’identification d’Israël au monde occidental et tout particulièrement à l’Europe qui connaît là une extension surprenante.

Les dirigeants israéliens avaient parfaitement compris que ni les États-Unis, ni l’Union européenne ne s’opposeraient à la construction du « Mur de séparation » qu’ils construisaient en Cisjordanie, s’ils le présentaient comme une muraille protégeant le « monde civilisé », de la « jungle ». Ils avaient vu juste car ce mur, construit en violation du droit international, a pu continuer à tranquillement s’ériger et permis à Israël de mettre la main sur 40 % d’un territoire occupé, lui-aussi, en violation du droit international.

Les dirigeants israéliens ont aussi, très rapidement, compris le parti qu’il pouvait tirer d’une stratégie qui consiste à frapper sur tout ce qui bouge après avoir qualifiée cette frappe de « guerre contre le terrorisme ». Comme l’écrit Michel Warschawski dans son livre « À tombeau ouvert »(2) : « Ce ne sont plus des femmes et des enfants que les bombes à fragmentation déchiquettent, ni des familles entières que l’état de siège condamne à la misère et parfois à la famine mais des terroristes. Le concept de guerre a lui aussi son importance : il laisse entendre que, face à la cinquième force militaire du monde, on n’a pas une population civile mais une autre force militaire, ce qui justifie l’usage de blindés, d’hélicoptères de combat et d’avions de chasse ». Ces lignes ont été écrites en 2003, elles sont, malheureusement, plus que jamais d’actualité.

6 - Quelle a été la politique la France lors de l’agression israélienne contre Gaza ?

La politique de la France s’est longtemps affichée comme une politique d’équilibre entre Israël et le Monde arabe. Lors de la guerre des Six jours, en juin 1967, le général de Gaulle avait décidé l’embargo sur les ventes d’armes à Israël et condamné l’ouverture des hostilités par Israël. En novembre 1967, la France avait apporté son soutien à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies demandant la fin de l’occupation militaire des territoires palestiniens par Israël. Mais, dans les faits, aucun État n’a autant armé Israël que la France du général de Gaulle. Elle avait notamment, en 1971, livré 72 Mirages qui avaient largement contribué à la victoire israélienne lors de la guerre de 1967.

Pour Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, la « politique Arabe » de la France s’est surtout limitée à un petit nombre d’États avec lesquels ont été signés des contrats d’armement. Jacques Chirac a continué cette politique avec l’Irak, allant jusqu’à qualifier, en 1974, Saddam Hussein de « de Gaulle du Moyen-Orient ». Nicolas Sarkozy avait reçu le dictateur libyen, Mouammar Kadhafi, en grande pompe à Paris.

La position de la gauche française a été quelque peu différente. Avec François Mitterrand, puis avec Lionel Jospin, la diplomatie française devint plus ouvertement pro-israélienne. Mais la visite de François Hollande en Israël en novembre 2013 fait franchir un nouveau pas à la politique française lorsque le Président de la République déclara à Benjamin Netanyahou qu’il trouverait toujours « un chant d’amour pour Israël et ses dirigeants »(3). Ces dirigeants israéliens étaient, pourtant, le dirigeant de la droite radicale, Benjamin Netanyahou et celui de l’extrême-droite israélienne, Agvidor Liebermann !

Le 29 novembre, cependant, le vote de la France et de 137 autres États, permettait que la Palestine soit admise à l’ONU, en tant qu’État observateur non membre.

Le communiqué de l’Élysée, du 9 juillet 2014, s’inscrivait dans la droite ligne du « chant d’amour de François Hollande » : « Le président de la République a eu ce soir un entretien téléphonique avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Il lui a exprimé la solidarité de la France face aux tirs de roquettes en provenance de Gaza. Il lui a rappelé que la France condamne fermement ces agressions. Il appartient au gouvernement israélien de prendre toutes les mesures pour protéger sa population face aux menaces. Le président de la République rappelle la nécessité de prévenir l’escalade des violences. » La question de savoir qui protégeait le peuple palestinien n’était même pas posée.

Le Premier ministre israélien utilisait aussitôt ce communiqué pour justifier sa politique d’agression en déclarant : « Le président français François Hollande m’a donné raison et a même publié un communiqué condamnant les tirs de roquette ».

Dès le 10 juillet, cependant, l’Élysée essayait de rectifier le tir et, après une discussion avec Mahmoud Abbas, le dirigeant palestinien, François Hollande « déplore que les opérations militaires en cours aient déjà fait de nombreuses victimes palestiniennes ».

Au fur et à mesure de la mobilisation de l’opinion publique, les prises de position de l’Elysée et de Laurent Fabius prenaient peu à peu en compte la situation des Gazaouis. Le 21 juillet, alors qu’il y a déjà 530 tués palestiniens, François Hollande déclarait : « Il faut mettre un terme immédiat à la souffrance des populations à Gaza ». Le 22 juillet, Laurent Fabius parlait de « massacres » sur TF1. Le 4 août, François Hol¬lande dénonçait « le bombardement inadmissible d’une école de Rafah » et disait se joindre « au Secrétaire général des Nations Unies pour demander que les responsables de cette violation du droit international répondent de leurs actes ».

Cependant, lorsqu’il s’est agi de passer des paroles aux actes, ce fût une toute autre affaire. La France n’a pris aucune sanction contre Israël et ne demanda pas à l’Union européenne d’en prendre. Notre pays s’est, par ailleurs, honteusement réfugié dans l’abstention lors du vote, le 23 juillet au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, d’une résolution portant création d'une commission d'enquête internationale pour établir l'existence de crimes de guerre perpétrés lors de l’agression contre Gaza.

Les manifestations en France

La politique de François Hollande, de Manuel Valls et des dirigeants du Parti socialiste a, sur le territoire français, été dans la droite ligne du communiqué de François Hollande le 9 juillet.

Le Parti socialiste s’est refusé à appeler aux manifestations en soutien au peuple palestinien. 33 députés socialistes, cependant, ont appelé à participer à la manifestation parisienne du 23 juillet organisée par le Collectif National pour une Paix Juste et Durable entre Israéliens et Palestiniens. Le 21 juillet, une lettre de cent militants et élus socialistes de terrain témoignait de l'étonnement et de l’indignation de ces socialistes de base, pour beaucoup issus de l'immigration, face à la politique présidentielle.

Quant à Manuel Valls, s’il a autorisé plus de 300 manifestations sur le territoire, il en a interdit trois, dont deux à Paris et c’est lors de ces trois manifestations que des débordements ont eu lieu.

Le bilan de ces interdiction était remarquablement tiré par l’éditorial du Monde du 21 juillet : « Mais en choisissant la voie de l’interdiction de manifester, le président de la République et le premier ministre ont joué aux pompiers pyromanes […] C’est en encadrant les manifestations que l’État peut affirmer son autorité et éviter que la violence prenne le dessus. En interdisant, il rend d’avance les armes ».

La France a été le seul pays à interdire des manifestations de soutien à Gaza, mettant en péril un droit qui a été si difficile à conquérir, celui de manifester librement. Dans sa lettre à François Hollande du 23 juillet, Edwy Plenel visait juste : « Or voici qu’avec votre premier ministre, vous avez décidé, en visant explicitement la jeunesse des quartiers populaires, qu’un seul sujet justifiait l’interdiction de manifester : la solidarité avec la Palestine, misérablement réduite par la propagande gouvernementale à une libération de l’antisémitisme. »(4)

L’un des porte-parole de ces « manifestations interdites », Alain Pojolat du NPA, est convoqué, le 22 octobre, devant la justice. Le risque est donc réel que la « loi anticasseurs » de 1970 qui rendaient les organisateurs d’une manifestation responsables des dégâts commis à l’occasion de cette manifestation, fasse son retour, d’une façon ou d’une autre. Cette loi, très rapidement utilisée contre les manifestations de salariés, avait pourtant été abrogée par Pierre Mauroy en octobre 1981.

Les 6 autres parties du texte de notre camarade Jean-Jacques Chavigné ont été publiées dans le numéro de septembre de la revue Démocratie&Socialisme et chaque semaine dans la lettre de D&S.

  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (1/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (2/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (3/5)
  • 8 questions / 8 réponses sur Gaza (4/5)
  • Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    (1): Peter Lagerquist « L’insoutenable légèreté de la guerre » - Le Monde diplomatique – Février 2009. (retour)

    (2): Michel Warschawski « À tombeau ouvert - La crise de la société israélienne » - La fabrique - 2003. (retour)

    (3): « Israël-Palestine : l'indignation sélective de François Hollande » - Le Point – 11/07/2014. (retour)

    (4): Edwy Plenel « Palestine : Monsieur Le Président, vous égarez la France » Mediapart – 23 juillet 2014. (retour)

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