GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Front national Aller à la racine du mal

Nous publions un article ici paru dans le numéro 195 de la revue Démocratie Socialisme

Le vote Front national au premier tour de la présidentielle est une question sérieuse. L’étude des résultats montre une grande hétérogénéité des votes. Selon le point de vue dans lequel on se place, ou la situation géographique dans laquelle on se trouve, on peut avoir des opinions différentes.

Il n’y a donc pas de réponse toute faite. La discussion, le débat approfondi est nécessaire à gauche.

Depuis les municipales de 1983, le Front national s’est peu à peu imposé dans le paysage électoral. Son programme se nourrit aux thèses de la droite extrême, en faisant la synthèse de plusieurs courants : néo-fascistes, maurassiens, négationnistes, catholiques intégristes, OAS, anti-immigrés, etc. Sa création en 1973 témoigne de ces filiations.

Depuis, des apports divers l’ont nourri (souverainisme par exemple), sans fondamentalement modifier cette synthèse. Mais la posture s’est modifiée, les questions sociales sont devenues une thématique plus courante, quitte à bousculer la posture libérale prise antérieurement.

Ces phénomènes ont aussi existé en 1919 en Allemagne, ou dans les années 20 en Italie.

Radicalisation d’un côté

Cette persistance du vote FN depuis 30 ans signifie que toute une génération vit avec cette réalité.

La banalisation des thématiques portées traditionnellement par le FN sur l’immigration, la préférence nationale, explique certainement le taux important de résultats aux élections régionales, cantonales, présidentielles de ces trois dernières années.

Il y a une porosité des thématiques entre le sarkozisme et le FN. La présence de P. Buisson, G Peltier en témoigne.

Du coup la tentation de renvoyer dos à dos UMP et FN est forte. Ce serait bonnet blanc et blanc bonnet, les alliances entre les deux forces se prépareraient, etc …

Cette explication n’est pas sans fondement, mais elle est réductrice. Il y a certes une radicalisation de l’électorat de droite avec des transferts de l’UMP vers le FN. Certains préfèrent l’original à la copie. C’est tristement banal. Ceux -là sont revenus voter Sarkozy au 2ème tour (44% de l’électorat de Le Pen). Ils ne se trompent pas de camp. Mais les autres ?

Hétérogénéité de l’autre

Il y a manifestement un électorat hétérogène derrière le vote le Pen. Une partie souhaite bousculer la droite, la faire imploser. Cela est désormais revendiqué par plusieurs membres de la direction.

Mais il y a aussi une autre partie de l’électorat qui est sensible à la posture sociale du FN. Ceux –là, rencontrés dans le porte à porte des cités, interpellent la gauche.

Ces classes populaires déclassées, sans emploi, aux pensions de retraites dégradées, vivant dans des cités sans âme, disent attendre « les salaires, l’emploi, les retraites » du vote Le Pen.

D’autres ajoutent avoir voté à gauche (pas seulement PC, mais PS aussi) et avoir été déçus, ne plus y croire … Il y a celles et ceux qui ne votent plus … et d’autres qui votent Le Pen.

Le « tournant » du « social »

La reprise de thématiques de gauche par le FN a été rendu possible parce que la gauche elle-même a abandonné les questions de l’urgence sociale au nom de la mondialisation, de l’Europe, de la concurrence libre et non faussée …

Si la gauche n’a pas répondu aux attentes de ces catégories et que la droite représente les riches, pourquoi alors ne pas essayer le Front national ou l’abstention, puisqu’ils sont « tous pourris ».

C’est le bilan des 20 dernières années, c’est « l’État (qui) ne peut pas tout » ou « mon programme n’est pas socialiste » qu’il faut réinterroger.

Que le FN se soit emparé de thématiques de gauche est un signal d’alarme fort. Surtout dans les couches populaires.

Si les communes rurales ont pu émettre un vote fort pour Le Pen, ce n'est pas seulement dû au vote des agriculteurs, de moins en moins nombreux, même dans ces communes, et dont beaucoup, parmi les "petits", connaissent d'ailleurs des baisses de revenus considérables.

Interviennent, là aussi, la disparition des services publics, les pertes d'emplois, plus l'éloignement des centres urbains pour cause de cherté du logement, avec le coût du transport (une auto indispensable, voire deux dans un couple, pour le travail, ou sa recherche, les courses, la vie sociale...)

Et d'ailleurs on qualifie rapidement de "rurales" des communes plus ou moins éloignées des villes-centres et des zones d'activité industrielle, commerciale, administrative, communes où sont venus s'installer des salariés souvent assez modestes. Ces communes n'ont plus grand chose à voir avec les "villages" traditionnels.

Agir pour reconquérir les couches populaires

Il nous faut donc engager le débat à gauche, reconquérir les classes populaires … et ne pas se contenter d’un constat un peu trop béat sur le retour du vote populaire vers Hollande.

30 ans de « dégâts », d’abandon même parfois des couches populaires paupérisées ne se soldent pas en deux tours d’élection présidentielle.

Pour preuve d’ailleurs, le débat engagé avant la campagne sur la cible électorale du Parti Socialiste, notamment par Terra Nova, pour preuve aussi la difficulté pour le Front de Gauche, malgré une réelle volonté de s’attaquer à l’audience du FN.

Les quelques éléments positifs de la campagne avec le « porte à porte », le retour dans les cités ne doivent pas rester sans lendemain. Ils sont la base pour déployer une activité politique durable.

L’hétérogénéité de l’électorat Front National entre « déclassés » (dans les banlieues et les cités), « rurbains » (dans les communes rurales), inquiets (dans les zones pavillonnaires de banlieue), « radicalisés » (électorat plus ancien) est à prendre en compte dans ce cadre.

Cette même hétérogénéité s’est exprimée aussi au 2ème tour. Un tiers seulement a suivi la consigne de vote blanc (nul ou abstention), 2,8 millions ont voté Sarkozy, 1,3 million ont voté Hollande.

Cette dernière catégorie peut être arrachée au vote FN.

Comme le dit Laurence Rossignol à partir d’une analyse dans son département de l’Oise,

« Les électeurs FN de mon département ne sont pas des fachos. Mais si rien ne changeait pour eux, alors, ils pourraient le devenir. »

Dans la banlieue rouennaise, je pourrais user de la même formule, comme bien d’autres ailleurs.

Agir à tous les niveaux, sur le social d’abord

Pour que ça change pour eux, il faut des politiques au plan national mais aussi dans les régions, départements et communes.

Ces politiques articulées et complémentaires sont d’abord des politiques sociales.

Le relèvement des salaires (dont le SMIC), des protections contre les licenciements, de meilleures pensions de retraite … en font partie, tout autant que la gestion publique de l’eau (et de son prix), la gestion des cantines scolaires, la construction ou la restauration de résidences de personnes âgées, aujourd’hui trop souvent le fait d investisseurs privés … de même que la réhabilitation des cités, des écoles primaires, le retour des services publics et d’un lien social à reconstruire.

La priorité doit être mise sur les quartiers ciblés dans les « porte à porte » pour y construire le changement, retisser les liens distendus (souvent depuis longtemps) entre élus et population.

Après les législatives qu’il faut gagner, il y aura les municipales en 2014. La réflexion sur les programmes municipaux est à travailler dès maintenant, pour que le changement soit au rendez-vous à tous les niveaux. La fin du cumul des mandats doit être un puissant levier en ce sens.

A défaut de cette dynamique nouvelle, on doit craindre un scénario type 1983 qui avait vu la gauche sévèrement sanctionnée aux municipales et… le Front National conquérir la mairie de Dreux. Mais 30 ans après, avec un paysage politique au moins sur le plan électoral assez différent, les choses seraient bien pires.

Jean-Claude Branchereau

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