GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

François Chérèque, le Medef, et le changement de l'article 34 de la constitution :

Fin août, avec une rigueur jamais démentie depuis Edmond Maire, la direction de la CFDT fait sa rentrée avec un tribune de son secrétaire général publiée par le Monde.

François Chérèque n'a pas dérogé à la règle. Avec une rentrée placée sous le signe du pouvoir d'achat, des attaques contre le service public avec le projet de privatisation de GDF, des milliers de suppressions d'emplois dans l'Education Nationale et dans la fonction publique ... on pouvait s'attendre à un discours un tant soit peu revendicatif.

Plusieurs observateurs avaient souligné en juin, lors du congrès de la Confédération, un discours plus revendicatif. Nous-mêmes indiquions en mars sur le projet de résolution : « On note quelques inflexions pour tenir compte des débats internes notamment sur le lien avec les associations, la nécessité du partage des richesses (thématique nouvelle mais traitée de façon contradictoire dans deux parties du texte). ».

La rentrée du dirigeant de la CFDT, tout comme les débats de son congrès, témoignent que ces inflexions n'étaient que concessions de pure forme.

Médiation ou négociation sociale ?

La direction de la CFDT avait déjà essayé de convaincre que son attitude dans la bataille unitaire contre le CPE et celle sur les retraites étaient deux facettes d'une même politique exigeante.

On peinait à comprendre tout en se félicitant de l'unité réalisée jusqu'au retrait du CPE.

On comprend mieux maintenant. Ce qui compte pour la direction de la CFDT semble relever plus de la forme que du contenu des décisions. L'important pour elle est d'asseoir un rôle de médiateur social dans la société.

Haro contre le CPE parce qu'il n'y a pas eu de négociation sociale ... mais pourquoi pas le contrat unique si on négocie la fin du CDI. Ainsi François Chérèque redit dans sa tribune au Monde qu'il y a nécessité d'un « dialogue social structuré » sur les évolutions nécessaires du code du travail.

Heureusement pour nous la victoire acquise contre le CPE a un effet différé, c'est le report sine die de la réécriture du code du travail. Nous nous en félicitons et il est curieux de regretter l'absence de dialogue social sur ce thème...

Mais, au-delà de telle ou telle question liée à la rentrée, au-delà des questions d'urgence sociale dont on s'attend à ce qu'un grand syndicat s'attelle, c'est la méthode proposée qui fait débat.

François Chérèque reprend une proposition désormais ancienne de la confédération CFDT. Ce serait par la négociation, le contractuel, le libre jeu des acteurs sociaux ... la « démocratie sociale » réduite aux relations organisées et structurées entre « partenaires sociaux » que l'on pourrait résoudre les questions sociales urgentes auxquelles les salariés sont confrontés.

Sa tribune se veut un plaidoyer et un argumentaire en ce sens. C'est volontairement qu'il adopte un profil proche du « lobbying » pour plaider cette cause à quelques mois des présidentielles et à un moment où tous les candidats, ou presque, se réfèrent à la nécessité du dialogue social.

Ce n'est donc pas aux salariés, aux syndiqués que la tribune est destinée mais à celles et ceux qui proposent un projet politique au pays.

Nous sommes ainsi directement concernés. Examinons donc les arguments développés par le responsable syndical.

F. Chérèque conteste tout d'abord l'argument selon lequel « donner de l'espace à la négociation reviendrait à donner le pouvoir au Medef ». C'est pourtant ce que l'on a pu observer lorsque Nicole Notat dirigeait la centrale et qu'elle n'avait de cesse de vouloir s'engager sur le chantier de la « refondation sociale » ouvert par le Medef. Rien de positif n'est sorti de ces échanges. Les négociations entre les deux lois Aubry ont même servi de carcan à la rédaction de la seconde loi sur les 35 heures. Celle-ci s'adaptant aux contraintes des accords négociés : flexibilité renforcée, effet emploi minoré ... lorsque le bilan de cette période est abordé, c'est pour regretter d'avoir été trop vite alors que le processus de généralisation des 35 heures a été bloqué.

La confédération CFDT qui a tant fait avec ses syndicats et ses militants pour promouvoir la revendication des 35 heures au service de l'emploi devrait en tirer les conclusions.

L'affaire des retraites est encore dans toutes les têtes, surtout à la CFDT qui a perdu 100 000 adhérents du fait de son positionnement favorable à la proposition de loi Raffarin-Fillon pourtant en pleine mobilisation sociale ...

Comment prétendre que les rapports de forces font partie de la négociation lorsque les discussions se mènent sur d'autres bases que celles sur lesquelles les salariés sont mobilisés ?

Oui nous affirmons que le rapport de force serait favorable au Medef dans le cadre de relations institutionnalisées et pas aux salariés. C'est déjà un constat tiré par tous les syndicalistes dans les entreprises : lorsque le rapport de force, qui peut prendre des formes multiples, est insuffisant, rien ne sort des négociations. Les PV de carence se substitue alors aux accords.

Ceci ne signifie pas que la négociation est inutile, bien au contraire.

Dans les branches et les entreprises des accords nombreux sont signés. Au plan national, des accords interprofessionnels servent de point d'appui lorsqu'ils vont au-delà de la loi et les nombreuses instances de concertation doivent voir leur fonctionnement amélioré. Ce qui est en cause avec la proposition de F. Chérèque, c'est l'institutionnalisation d'un « espace de dialogue social » qui se substituerait au législateur.

Dialogue social, oui,

mais pourquoi “obligatoire” ?

Ce n'est pas un problème de défiance vis-à-vis de l'action syndicale. Ce n'est pas le rejet de tout compromis en fonction des rapports de force. C'est le constat tout simple que le patronat détient outre les moyens financiers, le pouvoir de dire NON et que les syndicats ne peuvent imposer des compromis ou des réformes favorables aux salariés qu'avec la mobilisation de ces derniers.

C'est ce qu'a démontré le mouvement contre le CPE grâce à une unité indéfectible. C'est aussi ce que prouve l'action contre la loi Fillon sur les retraites. A partir de la volte-face de la direction de la CFDT, véritable coup de poignard dans le dos de la mobilisation, le rapport de force redevenait favorable au Medef et au gouvernement.

Combiner démocratie sociale et politique ?

Deuxième argument, F. Chérèque nous explique qu'il faut que démocratie politique et démocratie sociale se combinent. En réalité il prône une prééminence de l'accord entre partenaires sociaux sur la loi ou sur les décisions politiques.

Il y a eu sous le gouvernement de Lionel Jospin une bonne illustration de cette conception. Lorsque CFDT et Medef se sont mis d'accord pour instituer un Contrat de retour à l'emploi (CARE), ils ont exigé ensemble que le Gouvernement donne son agrément à la nouvelle convention UNEDIC.

L'accord primait selon eux sur la décision du Gouvernement.

C'est le refus de Laurent Fabius et Martine Aubry d'agréer la convention Unedic sur ces bases qui a obligé la reprise des négociations et le remplacement du contrat qui devait s'imposer aux chômeurs par un plan.

Nous soutenons l'idée qu'il y a une prééminence de la loi et que les accords ne peuvent être que plus favorables.

Ce n'est pas la conception du Medef qui souhaite imposer ses propres règles aux salariés. Celui-ci ne représente que des intérêts particuliers.

Les salariés, majoritaires dans nos sociétés, ne peuvent se défendre qu'en gagnant des droits reconnus par la loi. C'est tout l'enjeu de politiques de gauche porteuse des intérêts du plus grand nombre, répondant aux urgences sociales.

Toute l'histoire confirme cette nécessité. Les lois sur les 40 heures, sur la retraite à 60 ans, sur les 35 heures, les congés payés, les dispositions relevant de l'ordre public social sont autant de conquêtes sur lesquelles le Medef veut revenir.

Que la direction de la CFDT prête la main à ces tentatives au nom de la démocratie sociale est inquiétant. Elle conduit son organisation à sortir de sa fonction syndicale première pour aller sur le terrain de la médiation comme plusieurs anciens dirigeants de cette centrale l'ont plusieurs fois souligné.

Cette orientation affaiblit cette organisation comme l'ont montré les épisodes sur la retraite, les recalculés, les intermittents...

On peut légitimement poser la question du projet politique que poursuivent ses dirigeants.

De nombreux militants et syndicats CFDT rejettent la conception de leur direction. Mais après l'épisode des retraites c'est le repli sur l'entreprise qui domine plutôt que l'opposition construite aux thèses de leur direction.

Pour développer un syndicalisme de masse utile aux salariés, les socialistes ont des responsabilités. Ils ne doivent pas mettre le petit doigt dans cet engrenage d'un dessaisissement des élus du suffrage universel au profit d'un système qui donnerait la main au Medef.

Que la concertation et la négociation avec les partenaires sociaux soit développée « notamment avant l'examen de toute loi portant sur les principes fondamentaux du code du travail et de la sécurité sociale » (voir les 7 engagements de Laurent Fabius du 23 août 2006) oui, trois fois oui.

Mais le dernier mot doit rester à la loi.

De même, lorsque les négociations obligatoires sur les salaires n'aboutissent pas, il faut par la loi contraindre les employeurs à un meilleur partage des richesses plus favorable au travail.

A François Chérèque qui s'exclame : « Créons un espace de dialogue social, vite ! », il faut opposer : « Répondons ensemble à l'urgence sociale, vite ! ». Ce doit être le véritable enjeu pour une majorité nouvelle en 2007

Christian Normand

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