GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Faire payer Total et pas les ménages

Sarkozy aimerait fanfaronner à la conférence de l’ONU sur

les changements climatiques qui aura lieu à Copenhague

(capitale du Danemark) du 7 au 18 décembre 2009.

L’enjeu est grand et la conférence médiatique. Un accord mondial

et des objectifs communs pour la réduction des émissions

de gaz à effet de serre sont nécessaires pour l’après 2012, date

d’expiration du protocole de Kyoto. Dix ans après Kyoto, la

communauté internationale va donc devoir trouver un accord

pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique.

C’est entre autre pour apparaître comme le grand champion de

l’écologie que Sarkozy met en place la taxe carbone. C’est un

peu comme si aujourd’hui l’écologie se résumait à une seule

proposition : ou l’on est pour la taxe et on accepte le principe

de cet impôt, ou on est contre l’écologie et on la refuse.

Pourtant, les sondages montrent que la majorité des français

sont contre cette taxe alors qu’ils semblent de plus en plus

concernés par la question écologique comme l’ont montré les

élections européennes.

Des critiques superficielles

D’emblée la taxe fait l’objet de critiques de toutes parts. Mais

la majorité des critiques qui s’élèvent contre la taxe carbone

sont assez superficielles : Sarkozy à décidé de ne faire payer

« que » de 17 € la tonne de carbone alors que pour être efficace,

la commission Rocard qui a théorisé cette taxe, préconise

32€ la tonne de CO2, avec une progression de 5% par an pour

atteindre 100€ en 2030. Par ailleurs, cette taxe ne s’applique

pas à la production d’électricité qui en France est majoritairement

nucléaire, et donc pas responsable des émissions de CO2.

Ces deux critiques sont importants : le faible montant de la taxe

réduit cette taxe en une taxe écologique en peau de chagrin,

avec une efficacité quasi nulle, ne permettant pas de changer les

comportements ; et le fait qu’elle ne s’applique pas à la production

électrique présente le nucléaire comme seule alternative de

production énergétique actuelle. Or, on connaît les dangers du

nucléaire, et ils rendent ce type de production peu écologique…

Mais en réalité la taxe carbone pose des problèmes plus importants

encore.

Une logique tout marché

qui doit être combattue

Les lois du marché, et plus généralement les théories libérales,

ne se sont jamais soucié de l’écologie. Pour les théoriciens libéraux,

les dégâts causés par les entreprises à l’environnement

sont des « externalités » ou « effets externes », c’est-à-dire non

pris en compte, extérieurs aux mécanismes de marché qui se

contentent de fixer un prix en fonction de l’offre et de la demande

sur chaque marché. Les ressources naturelles utilisées pour

produire ne sont considérées que comme des facteurs de production

(des « imputs »), jusque-là considérées par la théorie

libérale comme inépuisables. Mais face à l’évidence du massacre

écologique causé par la production capitaliste, et à la

diminution des stocks de ressources, les théoriciens libéraux

veulent « internaliser » ces effets externes, c’est-à-dire les intégrer

dans les mécanismes de marché, et prendre en compte les

quantités limitées de ressources naturelles.

D’où l’idée d’une part, d’une taxe carbone qui permet d’intégrer

dans le prix des marchandises les dégâts causés à l’environnement

(mais uniquement du point de vue des émissions de

CO2), et d’autre part, de la mise en place d’un marché des

droits à polluer sensé limiter les émissions de ces gaz.

Or, ce marché des droits à polluer est un énorme échec: les

Etats de l’UE distribuent depuis 2005 aux industries polluantes

des quotas de droits d’émission (gratuitement jusqu’en 2012 au

moins !) échangeables sur le marché. Mais ces droits sont si

abondants que leur prix a chuté et qu’ils ne contribuent nullement

à une quelconque diminution des émissions de CO2.

Alors, pour pallier à cet échec, on tente la mise en place d’une

fiscalité écologique, la taxe carbone.

Tout comme le marché des droits à polluer, la taxe carbone ne

sort pas de la logique des marchés. C’est par des mécanismes de

marché que l’on veut faire de l’écologie. Or, il y a une contradiction

extrême entre la logique de marché et l’écologie, tout

comme il y a une contradiction extrême entre la logique de marché

et la question sociale.

Ce sont les entreprises, et en particulier les Firmes Multi

Nationale qui utilisent majoritairement les ressources naturelles

dans leur processus de production. Ce sont donc elles qui utilisent

la plus grande partie des ressources énergétiques et qui sont

responsables de la pollution engendrée par la production. Or, les

entreprises ne contribueront que marginalement à la taxe carbone,

son financement reposant principalement sur la consommation

des ménages.

Ce sont également ces entreprises qui déterminent l’offre sur les

marchés : ce sont les choix industriels de ces FMN si les voitures

utilisent du pétrole pour rouler…

La taxe carbone vise à renchérir les marchandises responsables

des gaz à effet de serre. Elle vise donc à inciter les consommateurs

à choisir d’autres produits. Mais le principal problème est

justement celui des produits qui sont sur les marchés. Et cela

relève de choix industriels plus que de choix des consommateurs.

Ce n’est pas parce qu’une taxe va augmenter de quelques

centimes le prix de l’essence que les FMN du pétrole

(TOTAL…) et de l’automobile par exemple, vont se tourner

vers d’autres types de production, comme des moteurs à air

comprimé… les effets sur le réchauffement climatique ne peuvent

être que extrêmement limités.

Les marchés financiers accentuent la pression sur l’environnement.

« L’économie numérique » est un mythe, bien au contraire,

la finance est en grande partie responsable des émissions de

gaz à effet de serre. La recherche de rentabilité maximale des

actionnaires engendre une modification du processus de production.

Depuis l’ouverture totale des frontières aux marchandises

et au capital, le lieu de la production ne dépend plus que

des coûts de production. C’est-à-dire notamment des salaires.

On connaît les effets sociaux des délocalisations, mais n’oublions

pas les effets écologiques. La production ne se fait plus

en fonction de la proximité avec les marchés où on veut l’écouler,

on préfère la transporter à travers le monde. Elle ne se fait

même plus en fonction des quantités d’énergie disponibles : on

les transporte aussi. Mais elle se fait seulement en fonction des

salaires et des coûts de production pour une maximisation de la

rentabilité. Une vraie politique écologique nécessite donc une

remise en cause de la recherche de la rentabilité maximale.

Or c’est justement l’inverse qui se passe, il n’est pas question

de remettre en cause la loi des profits. C’est d’ailleurs un objectif

fixé par la commission Rocard : la mise en place de cette taxe

ne doit pas nuire à la compétitivité des entreprises françaises,

autrement dit aucune remise en cause de l’économie de marché.

Un langage qui a sûrement plu à Sarkozy et à ses amis du

MEDEF. Et pour cause, alors que la taxe professionnelle est

supprimée, on met en place une nouvelle fiscalité reposant sur

les consommateurs, les actionnaires ont donc tout à gagner de

la mise en place de cette taxe qui peut être considérée comme

un transfert de fiscalité des entreprises vers les ménages.

Un nouvel impôt

Dans la mesure où les impôts et les cotisations sociales sont les

principales sources de financement des services publics et de la

protection sociale, nous ne pouvons pas être à la fois socialistes,

c’est-à-dire pour de vastes services publics et une protection

sociale forte, et pour une baisse du taux d’imposition. Mais tous

les impôts ne se valent pas : certains sont dits redistributifs,

c’est-à-dire qu’ils sont progressifs, ils augmentent avec le revenu,

et d’autres anti-redistributif, les plus pauvres les payent

davantage que les plus riches. C’est par exemple le cas de la

TVA : lorsqu’un individu gagne le SMIC, il consomme l’ensemble

de son revenu, il paye donc la TVA sur tout son revenu,

alors qu’un individu plus riche dégage une capacité d’épargne

et ne paye donc la TVA que sur la part de son revenu qu’il

consomme. Les pauvres sont donc plus fortement imposés que

les riches. L’impôt sur le revenu, lui, est progressif : plus le

revenu s’élève, plus le taux d’imposition s’élève : c’est donc un

impôt redistributif, les plus riches participent plus fortement

que les plus pauvres.

La mise en place de la taxe carbone est encore un pas en avant

contre la redistribution des revenus : comme il pèse sur la

consommation des ménages, il est dans la logique anti redistributive

de la TVA. On peut même le considérer comme une nouvelle

TVA, un impôt qui ne s’appuie que sur la consommation

et qui pèse donc davantage sur les plus pauvres.

Par ailleurs, il vient renforcer la baisse de l’impôt sur le revenu,

celui qui justement devrait être augmenté, puisque le montant

de la taxe payée par les ménages sera déduit de l’impôt sur le

revenu. Ajouté au bouclier fiscal qui protège les plus riches de

l’impôt sur le revenu, cela signifie encore une baisse des impôts

progressifs, qui sont les plus justes socialement, compensé par

une augmentation des impôts anti redistributifs. On reste donc

dans une logique ultra libérale, et la taxe carbone est un élément

visant à renforcer ce type de politique.

Des effets sociaux néfastes

La taxe carbone vise donc à inciter les ménages vers des choix

de consommation moins responsable d’émissions de CO2 en

renchérissant le prix des produits plus polluants. Mais les

consommateurs n’ont pas forcément le choix de ce qu’ils

consomment. Et évidement ce sont ceux qui sont les plus

pauvres qui choisissent le moins leurs consommations : le choix

du lieu d’habitation dépend du marché de l’immobilier, ce qui

peut conduire à de très forte distance avec le lieu de travail et

donc une obligation de transport importante. Or les coûts de

transport, en particulier lorsqu’il n’y a plus de service public se

font en voiture ; le choix du véhicule dépend lui aussi du prix

du marché, et les plus pauvres n’ont d’autre choix que les voitures

les plus vieilles et les plus consommatrices de carburant.

Autrement dit, les plus pauvres sont ceux qui vont payer le plus

la taxe, et ce sont les plus riches et les entreprises qui vont la

payer le moins.

Un autre effet néfaste est celui de la mise en opposition entre

écologie et société. En mettant en place un impôt qui repose sur

la consommation, on donne l’impression aux citoyens que

l’écologie est une contrainte qui repose sur les citoyens.

La taxe carbone comme le marché des droits à polluer ont une

efficacité économique et écologique douteuse, parce qu’ils ne

vont pas à l’encontre des lois du marché. Face à l’urgence climatique,

il est nécessaire de commencer par réduire les gaspillages

notamment en matière de transport des matières

premières et de l’énergie. C’était l’idée de départ de la contribution

climat-énergie, avec une taxe fondée sur «le bilan carbone

» des produits et qui frapperait particulièrement les

importations, ce qui pourrait conduire à la relocalisation de certaines

industries. Autrement dit, pourquoi pas une fiscalité écologique,

mais cela n’est pas suffisant. Pour une vraie politique

écologique, il est nécessaire de sortir de la logique des marchés

: produire en fonction des besoins et non des profits, élargir

les services publics des transports et de l’énergie, mettre en

place des pôles de recherche publics de l’énergie pour financer

la recherche dans les énergies renouvelables… il faut donc

changer de cap, rompre avec le libéralisme, et vite, le climat

n’attend pas.

David Torres

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