Exactions ordinaires
Si la période de tueries de masse
(encore impunies) perpétrées dans
la bande de Gaza en décembre et
janvier derniers appartient désormais au
passé, et si la Palestine a quitté la une des
journaux, cela ne signifie pas pour autant
que la situation du peuple palestinien ait
fondamentalement changé.
En premier lieu, et on ne le rappellera
jamais assez, le blocus de Gaza n’est toujours
pas levé. Les prisonniers politiques,
dont la plus grande partie peut être considérée
comme des otages, n’ont jamais été
aussi nombreux: près de 12000. La colonisation
se poursuit, au mépris de toute la
réprobation internationale.
Les assassinats habituels ont repris : ne
citons que celui du manifestant pacifique
froidement abattu à Nil’in le 5 juin(2). Il
est fort à craindre que le nombre de victimes
ait encore augmenté entre le
moment de la rédaction du présent article
et celui de sa publication et, a fortiori, de
sa lecture. Il semble hélas que ce qui
passe peut-être pour une routine,
n’émeuve plus grand monde.
Les exactions de l’armée d’occupation
ne sont pas forcément toutes sanglantes,
mais elles n’ajoutent rien à une gloire des
plus théoriques. Un fait divers particulièrement
original illustre une imagination
toute entière tournée vers l’humiliation
d’un peuple: l’enlèvement d’un jeune
marié la nuit même de ses noces!
«Ahmad Abd Al-Hadi Tayoun, 24 ans,
s’est marié dans le village d’Hajja, à
l’est de Qalqiliya, dimanche [26 avril].
Tayoun n’a pu passer la nuit avec sa
femme, les soldats israéliens l’ont enlevé
à 2h du matin. Les troupes ont fait un
raid sur la maison et se sont saisies de lui
devant sa femme. Il est maintenant détenu
dans un endroit inconnu. » (3)
Ce sont toutefois les enfants palestiniens
qui paraissent incarner les craintes les
plus profondes de la vaillante armée. Ses
tentatives d’intimidation prennent
diverses formes : de la simple retenue
temporaire, comme à Beit Ommar, le 22
avril dernier, où l’armée a immobilisé un
bus plein d’enfants de 8 à 11 ans pendant
plus d’une heure (4) ; à l’enlèvement en
pleine nuit, chez leurs parents, de garçons
âgés de 11 et 12 ans, comme à
Hizma le 10 juin (5), sans oublier les
mauvais traitements de rigueur, ainsi que
le rappelle l’ONG Defence for Children
International(6).
Mais elles demeurent sans doute vaines.
La palme revient donc à certains vétérans
de Gaza (plus de 300 enfants tués entre le
27 décembre 2008 et le 19 janvier 2009),
qui ont choisi de décorer leurs T-shirts
avec le dessin d’une femme enceinte sur
laquelle se superposent les cercles
concentriques d’une cible, indiquant
comme devise : 1 shot, 2 kills. (1)
Et c’est là que les mots me manquent.
Car comment qualifier de tels agissements,
quelles manières de penser traduisent-
ils ?
Tout se passe comme si l’armée et l’État
israélien faisaient tout pour pousser le
peuple palestinien à des réactions de
désespoir, de manière à pouvoir par la
suite prendre prétexte de ces dernières
pour proclamer : «Nous vous l’avions
bien dit, vous êtes trop naïfs, ce sont des
terroristes», et commettre de nouvelles
tueries afin de provoquer un exode équivalent
à un transfert forcé de population.
Pendant ce temps, d’aucuns proclament
leur « soutien indéfectible à Israël ». Est-ce
bien acceptable?
Philippe Lewandowski
(1): 1 tir, 2 morts. (retour)
(2): Le 5 juin 2009, des soldats israéliens
assassinent Yousef Akel Sadiq Srour, un
manifestant palestinien à Nil’in,
www.france-palestine.org, consulté le 14 juin 2009. (retour)
(3): Les soldats israéliens enlèvent le marié la
nuit de ses noces, www.ismfrance.org, consulté le
14 juin 2009. (retour)
(4): L’armée israélienne détient un autobus
plein d’enfants pendant plus d’une heure à
Beit Omar, www.ism-france.org,
consulté le 14 juin 2009. (retour)
(5): Chronique de l’occupation,
www.eutopic.lautre.net, consulté le 14 juin 2009. (retour)
(6): La torture sur les enfants,
www.europalestine.com, consulté le 14 juin 2009. (retour)