GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Encore sur le bilan précis du 21 avril

Il faut y revenir, car trop de discours changent. Hier, toute la direction du Parti socialiste reconnaissait : « Nous nous sommes coupés des couches populaires, des salariés » maintenant François Hollande ne le dit plus dans sa contribution…

La défaite historique que nous avons connu le 21 avril 2002 n'est pas un "accident", ni un "malentendu". Elle n'est pas due à l'incivisme, ni à la dispersion des voix. C'est trop facile de dire que « c'est la faute aux autres »…à « ceux qui n'étaient pas au rendez-vous ».

Car, pour que le Parti socialiste passe ainsi derrière l'extrême droite, il a fallu que se creuse une terrible incompréhension entre ses dirigeants et la majorité écrasante de sa base sociale naturelle.

Nous n'avons pas su mobiliser la gauche.

Le 21 avril, la droite a perdu 4,4 millions de voix, l'extrême droite n'en a regagné que 900 000, Le Pen + Megret n'ont même pas récupéré toutes les voix de de Villiers ni de Pasqua.

Le total des voix de gauche atteignait 42,96 % des voix. (dont 5,2 millions pour le PS, 960 000 pour le PCF, 2,9 millions pour l'extrême gauche, 1,5 million pour les Verts, 1,5 million pour le pôle Républicain).

Ce qui a été décisif c'est que la gauche plurielle perdait 1,5 million de voix tandis que l'extrême gauche gagnait exactement 1,35 million de voix. Voilà la vérité du 21 avril : le centre de gravité de la gauche se déplaçait à gauche, et pour la première fois le Parti socialiste perdant 1,8 million de voix était minoritaire au sein de la gauche.

Ce n'est pas, comme le dit François Hollande, « tous les français que nous n'avons pas assez écouté », c'est précisément la gauche ! Ce sont les salariés (la « majorité sociologique » selon François Mitterrand en 1981) auxquels nous n'avons pas su proposer de mesures-phares.

Lionel Jospin disait souvent dans ses discours, qu'il "reconnaissait des impatiences sociales". Ce sont celles-ci qui se sont brutalement révélées. La France allait mieux après cinq ans de gouvernement de gauche... mais pas tous les Français. La croissance, le recul du chômage rendaient encore plus intolérable, à ceux qui la subissaient, la misère sociale créée par la crise antérieure : ceux qui n'ont pas bénéficié du progrès des années 1997-2000 souffraient d'autant plus intolérablement, et ils demandaient un volontarisme, un interventionnisme de l'état dans l'économie, que notre gouvernement n'a malheureusement pas voulu avoir. Nous n'avons pas frappé assez fort pour faire face aux urgences sociales, pour combler les inégalités, pour redistribuer les richesses.

L'erreur fatale serait, de la part des socialistes, d'attribuer "la faute aux autres" : en vrac, aux "abstentionnistes", à "ceux qui ont dispersé leurs voix", à la "diversité de la gauche", aux "gauchistes qui divisent", à tous ceux qui n'ont pas compris, ne se sont pas rendu compte, n'ont pas vu le danger, etc.

Car le problème clef est celui de la coupure entre la direction principale de la gauche, socialiste, et sa base populaire.

Ce n'est pourtant pas faute de signes avertisseurs : lors des élections municipales de mars 2001, déjà, nous avions été nombreux, dans le Parti socialiste à tirer le signal d'alarme. Nous avions insisté avec force sur la nécessaire fusion, tôt et dans de bonnes conditions maîtrisées, entre le Parti socialiste et le mouvement social, entre la gauche institutionnelle et la gauche militante, "motivée".

D'autant que lors de nombreux scrutins européens, la social-démocratie s'était vue, ces dernières années, sanctionner pour des raisons semblables, l'Europe rose laissant la place à une vague bleue... La gauche était au pouvoir dans 13 pays sur 15, au sein de l'Union européenne, en 1997, et si, peu à peu, cette situation s'est inversée, ce n'est pas le résultat d'une fatalité. C'est qu'au lieu de répondre aux attentes des peuples et d'engager le chantier de l'Europe sociale, les différentes directions des partis sociaux-démocrates, ont subi l'Europe libérale, monétaire, marchande, laissant les pouvoirs aux multinationales toutes puissantes, et aux technocrates libéraux soucieux de déréglementer les services publics, de rogner les interventions économiques des états et des citoyens.

Pourtant, les forces populaires des différentes gauches ne sont pas vaincues, ni réellement minorisées : ni en France comme on l'a vu, ni en Europe où il y a une grande combativité : de Porto à Goteborg,, de Nice à Laeken, de Gênes à Barcelone, Séville et Rome, depuis 1997, ce sont chaque fois des centaines de milliers de manifestants, parfois des millions qui ont défilé pour l'Europe sociale, avec leurs syndicats et leurs associations, type Attac.

Il est quand même contradictoire de constater que les mobilisations montent et que le cours politique à gauche semble inversé. C'est bien la faute à nos partis qui ne "prennent" pas "le vent" des impatiences sociales !

Il y a deux causes profondes au 21 avril :

La première, c'est le bilan du gouvernement Jospin qui était nettement partagé, positif et négatif, pas unilatéral. On a pu, certes, souligner qu'il était "le plus à gauche d'Europe". Mais au plan intérieur il était pourtant en dessous des exigences sociales des salariés français, ce qui l'a perdu.

La deuxième est dans la campagne de Lionel Jospin : elle n'a pas su dessiner un projet de transformation sociale assez radical pour séduire ceux auxquels il était vraiment censé s'adresser. Pas de projet de changement de société, pas d'idéal socialiste, pas de souffle global, pas de mesure-phare pour le salariat.

En matière de bilan, qui nous occupe ici, il faut combattre le simplisme selon lequel Lionel Jospin aurait "agi comme la droite", et qu'il aurait "été social-libéral comme Blair".

Dans le rapport de force français et mondial, le gouvernement "rouge-rose-vert" de Lionel Jospin avait des caractéristiques plus avancées, qui le distinguait significativement des tenants de la "troisième voie" Clinton-Blair. Il était davantage proche de ce que fut le premier gouvernement de la gauche en 1981-82. Il a opéré certains choix volontaires que le reste de la social-démocratie européenne a refusé : les "35 h sans perte de salaire", des droits nouveaux du travail, le maintien des retraites, la CMU, l'APA, mais aussi le PACS, la parité, l'IVG, le non-cumul des mandats... La France était, après novembre-décembre 95, la défaite de Chirac en 97, et au terme des cinq ans de la gauche, en 2002, un des pays au monde les plus avancés socialement,

Cela provient d'un rapport de force, qui est lui-même un "résultat différé" de la grande gréve générale de novembre-décembre 1995 et de la mise en place d'un gouvernement de coalition rouge rose verte. Cela provient aussi de ce qu'au cours des années 1997 - 2000, la combativité des salariés (nombre de jours de gréve, durée des grèves, caractère massif des grèves, priorité revenue aux revendications salariales, etc.) a été remarquablement dynamique et croissante : pour la première fois depuis les années 70, l'activité sociale se redéveloppait à un rythme très fort (Cf. Le Monde, 7 mars 2000).

En cinq ans, le salariat s'est renforcé et non pas affaibli.

La masse salariale globale a ré augmenté par rapport au capital.

De 1977 à 1997, la politique de développement du chômage et de précarisation de l'emploi avait pesé sur les salaires et obtenu une hausse importante de la part des profits dans la valeur ajoutée : elle était passée, en France, de 31 % à 41 %. De 1997 à 2002, le gouvernement Jospin a stoppé cette régression de la part des salaires dans la valeur ajoutée : même si elle a stagné à 59 %. Les inégalités qui se creusaient sous la droite, ont été freinées (cf. "CAC 40 des inégalités" d'Alternatives économiques) puis ont stagné elles aussi.

Ce gouvernement a favorisé délibérément la croissance, et fait reculer le chômage de masse : 1 742 000 emplois créés en cinq ans dont 643 000 dans la seule année 2000, record historique sans précédent (+ 4,3 %). Le taux de chômage des jeunes est passé de 28 % en 97 à 18,7 en 2000. Il a imposé une avancée majeure avec la réduction du temps de travail par la loi à 35 hebdomadaires : 400 000 emplois créés, 21 millions de salariés concernés, même si, hélas, un sur deux en a réellement bénéficié, et encore un sur trois, parmi ceux-là, en a vraiment profité comme une conquête sociale (2 à 3 millions de salariés). Une loi pleine de contradictions mais nettement plus avancée que n'importe où ailleurs. Il y a même eu un petit début de recul de la précarité (- 0,4 % environ) des CDD (- 33 000 soit une baisse de 1,5 % entre mars 2000 et mars 2001) temps partiels (- 0,6 %) en fin 2000, début 2001 et une forte baisse du chômage partiel (- 64 % en 1999) y compris des "emplois aidés" (de 455 000 à 408 000). L'intérim baisse fin 2000-2001 mais il ré augmente en 2° semestre 01. Il y a eu aussi une hausse du nombre et de la durée moyenne des CDI. L'écart entre la moyenne des salaires des cadres et celle des employés-ouvriers n'est que de 2,5 points.

Tous cela a réellement distingué Lionel Jospin du reste de la pratique social-démocratie européenne. Ceux qui ont intérêt à le nier ou à le sous-estimer privent notre gauche française d'autant de point d'appui, de référence sur ce qui est possible, et d'espoir d'aller plus à gauche. Ni Laurent Fabius, ni Dominique Strauss-Kahn n'ont apprécié et l'ont fait savoir, les aspects les plus avancés des 35 h ou de la loi de modernisation sociale.

En vérité, à l'heure du bilan, nous nous félicitons, de ce que le socialisme français ait plutôt été un pôle de résistance au social-libéralisme, et à "la troisième voie" façon Blair... même si, encore une fois, cela n'a pas été suffisant pour répondre au niveau des exigences sociales.

Regardons-y de plus prés :

L'Europe :

D'Amsterdam (juin 1997) à Barcelone (mars 2002), l'acceptation de compromis, sans bataille ouverte, sans orientation compréhensible, a abouti à laisser en permanence l'Europe libérale l'emporter.

Parce que la situation économique était bonne, il n'y avait pas d'inflation, le commerce extérieur était excellent, les déficits limités, une politique de relance était possible, les critères de Maastricht et d'Amsterdam ont été relativisés pendant cette période.

Mais dés qu'au milieu 2001, des nuages noirs se sont amoncelés dans la situation économique internationale, le carcan des critères maastrichiens s'est refait re-sentir, les mises en garde contre les déficits, ont recommencé, l'échéance de 2004 est réapparue.

Et à Barcelone, le 23 mars 2002 en pleine campagne électorale, Lionel Jospin est obligé de côtoyer, comme en juin 1997, Jacques Chirac en faisant mine de s'entendre avec lui... et d'accepter des mesures indignes sur les retraites et contre les services publics !

Pire : Lionel Jospin a même engagé la polémique électorale en accusant Chirac de faire des promesses incompatibles avec le "déficit-zéro" exigé par les libéraux à Barcelone !

Il fallait, il faut accuser Chirac du contraire : de ne pas se battre pour desserrer l'étau du "déficit-zéro" fixé en 2004. D'autant qu'en Europe nous n'étions pas les seuls à vouloir le faire !

Les 35 h :

Il a fallu cinq ans, deux lois, des dizaines de décrets et de circulaires, des dizaines de milliers d'accords ad hoc, 105 milliards, une "usine à gaz" juridique, pour permettre à une partie trop restreinte des salariés d'obtenir les 35 h.

Autant le projet était grand et conquérant, historique, autant il a été géré petit bras, en multipliant les concessions à un patronat pourtant délibérément hostile et décidé à saboter le projet par tous les moyens. Ainsi, il apparaît dans les sondages, une perception mitigée des 35 h : tous les maux du monde leur ont été attribués (gel des salaires, flexibilité, annualisation, augmentation des cadences, non embauche, "travail à deux vitesses, forfaits-jours, etc. selon la taille des entreprises, les branches, ou le secteur privé ou public..)

L'article n°1 des deux lois "Aubry" - la durée légale à 35 h - est pourtant une avancée fantastique, aussi importante que les 40 h en 36, les 39 h et la cinquième semaine en 82. Les jours de réduction du temps de travail s'ajoutent aux congés payés : on est ainsi passé, grâce à la gauche, entre 1936 et 2002 de deux semaines à six semaines de congés payés, record dans le monde.

La réduction du temps de travail était conçue à juste titre comme l'instrument privilégié de lutte contre le chômage de masse : si elle n'a créé que 400 000 emplois, c'est en raison des timidités d'application et, bien sûr, du sabotage, de la "guerre" déclarée menée par le patronat.

Mais il aurait été possible à tout moment de faire autrement et mieux : la Gauche socialiste, n'a cessé de le redire, de proposer des aménagements juridiques précis, argumentés, réalistes, aux deux lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000.

Le pire est que le Parti socialiste et son candidat aient même donné l'impression de "tourner" sur le bilan des 35 h et ont décidé de ne pas mener campagne sur ce thème. Ainsi s'explique "l'oubli" incroyable pendant la campagne électorale, de ces 35 h, réduites en une ligne, page 4 du programme du candidat : contresens, erreur politique et pédagogique considérable alors que 9 millions de salariés (4,5 millions dans les entreprises de moins de 20 salariés 4,5 millions dans le secteur public) ne "découvraient" lesdites 35 h qu'à partir du 2 janvier 2002, en février et mars, en pleine campagne.

Laurent Fabius avait même proposé un "assouplissement" des 35 h pour les entreprises de moins de 20 salariés : c'est ainsi que le contingent annuel d'heures supplémentaires est porté à 180 h (... en 2004) et que des millions de salariés des petites entreprises ne verront que du feu en guise de 35 h... ce sont pourtant ceux-là au bas de l'échelle du salariat qui souffrent le plus et ne voient jamais rien venir des réformes de la gauche...

Il aurait fallu une politique offensive, convaincue et pratique pour développer tous les avantages des 35 h : avoir fait l'impasse sur cette mesure emblématique (celle-là même qui avait permis de gagner en juin 97) fut une immense erreur - encore sous-estimée gravement par la direction du parti.

La question des retraites

Elle fut tout aussi mal utilisée. Pourtant Lionel Jospin a eu un rôle concret positif : il a protégé nos retraites pendant cinq ans, dans la foulée de la grande gréve de novembre-décembre 1995 qui les avait déjà vigoureusement défendues contre le gouvernement Chirac-Juppé.

Finalement, en abrogeant la loi Thomas sur les fonds de pension (tardivement, 17-1-02, loi de modernisation sociale), en défendant la retraite par répartition (intervention en mars 2000, rapport du COR, décembre 2001), et l'âge de départ officiel à 60 ans, (y compris après Barcelone, 23 mars 2002) en demandant des rapports différents de l'erroné "livre blanc" de Michel Rocard, en mettant en place un "fonds de réserve", en refusant toutes les pressions, pourtant forcenées, du Medef contre les retraites complémentaires, (blocage du 31-12-00, accord du 11 février 2001 avec détournement de 16 milliards, trois mois de cotisations !) le gouvernement rouge, rose, vert, répondait en partie aux attentes des Français.

La question des retraites, comme celle du Smic, de l'Ecole et de la "Sécu" compte parmi les grandes questions décisives dans l'opinion, la culture, les "réflexes sociaux" profonds des Français. Elle est même au "palmarès" des préoccupations et elle a, rappelons-le, suscité encore une fois, la plus grande manifestation de la législature, le 25 janvier 2001.

Mais, paralysé par ceux, comme Laurent Fabius, qui estimaient qu'il était "aussi courageux d'aligner les fonctionnaires sur les 40 années de cotisation du privé... que d'être contre la peine de mort en 1981", (intervention faite à L'Atelier, pendant la campagne, cf. Libération) ou Michel Sapin qui proposait dans Le Monde de faire reculer les fonctionnaires à 40 annuités, Lionel Jospin, pas aidé par ses proches, laissait percer des intentions contradictoires, inquiétantes pour des millions de salariés !

Paradoxe : le gouvernement refusa en novembre 2001 le principe de verser une retraite à taux plein à ceux du privé qui avaient travaillé 40 ans... et le candidat le proposa en mars 2002.

Pourtant, la Gauche socialiste avait argumenté en temps utile sur l'importance de cette question (comme sur d'autres) et de nombreux votes dans les fédérations avaient démontré qu'une immense majorité du Parti socialiste (et de toute la gauche, et de la France...) étaient favorables à un retour aux 37,5 annuités pour tous,

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