GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Jeunes

Elle commence à Lisbonne, elle termine à Dublin, une vraie ballade Bruxelloise

L'Europe, ce progrès magnifique, ce projet superbe, cette projection audacieuse ! On s'y est écharpé dans le vieux continent. Notre mémoire est irriguée de fleuves de sang, elle bruisse du vacarme du fer et de l'éclair du feu qui se déversèrent comme le tonnerre pour de nobles et terribles causes : la Vraie Foi, le Roi, la Patrie, la Liberté, la ligne bleue des Vosges ! On y offrit sa poitrine en gentilhomme, on se sacrifia en patriote, on aimait l'empereur comme on adorait la mort. Les nations tenaient dans un fourreau, leur fierté était au bout du fusil. Et puis on se lassa des massacres. La guerre de cent ans, de trente, de sept, les guerres de religion, Napoléon et ses conquêtes, la Grande Guerre, la Shoah... on avait fait le tour des horreurs, épuisé toutes les ressources de l'art de la mort. A la charnière du vingtième siècle les européens se déclarèrent fatigués de mourir. Ils firent la paix. Ils firent l'Europe. Les peuples élevés dans les cachots du nationalisme furent éduqués à l'amitié. On rangea au placard les héros de la guerre et les nations se firent raisonnables. L'intelligence qu'on avait mis à s'entre-tuer, on l'usa à s'unir. Un drapeau, un hymne, des traités, une monnaie. L'hydre européenne grandit, de 6 têtes elle s'en découvrit 27. Un joyeux bazar, de plus en plus foutraque. Un vaudeville des peuples qui se cherchent un destin commun. Tous sont sommés de jouer la même pièce. Mais la trame est difficile, les acteurs ont leur ego, l'écriture prend du temps à défaut de prendre du retard, la mise en scène, souvent, est chaotique. C'est le bordel.

Les Irlandais viennent de rejeter le traité de Lisbonne. Les Français avaient envoyé dans les poubelles de l'histoire le TCE, imités par les hollandais. L'Europe est en panne, bloquée, piétine, bref, semble dans la merde. Les nonistes français avaient été traités de populistes, de nationalistes, de réactionnaires. Les élites européennes avaient décidé de faire la politique de l'autruche. Du TCE on a fait Lisbonne. Même texte, organisé différemment. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le seul peuple invité à se prononcer par référendum a dit non. L'Irlande revotera ! On leur a déjà fait le coup pour le traité de Nice ! Ou bien on permettra à l'Irlande de déroger à la règle commune ? L'Angleterre profite de telles mesures pour Maastricht et Schengen. L'Europe des peuples, démocratique, oui, mais sans l'avis des peuples, c'est plus commode !

La fulgurance de Saint Just (qui n'était que fulgurance !) « Le bonheur est une idée neuve en Europe » est toujours d'actualité. Mais ne nous voilons pas la face. Les batailles que nous devons mener dans le cadre européen sont les mêmes qu'ailleurs. La rapacité des banques qui imposent leur impérium à toute l'économie, le patronat criminel qui régente le salariat dans des conditions de plus en plus rudes, la police et la justice qui prennent de plus en plus de libertés avec les libertés au nom de la lutte contre le terrorisme et l'immigration illégale : voilà le sens que prend l'Europe quand la Commission n'existe qu'à travers ses Bulles incantatoires qui dérèglementent l'économie, privatisent les services publics, font tomber un rideau de fer sur les frontières de l'Union.

L'Europe dans laquelle nous vivons est datée. S'entêter dans la construction d'un gros machin libéral et technocratique ne rime plus à rien. Continuer dans cette voie, c'est assassiner l'Europe sur l'autel de l'arrogance des obsédés du robinet à profit, qui n'aiment l'Europe que parce qu'elle les sert.

L'Europe qui dit non aux traités, c'est l'Europe qui aime ses services publics de qualité, qui ne voit que vertus dans la protection sociale, qui désire une harmonisation, une intégration qui soit synonyme de nouveaux droits, de progrès social, de plus de liberté : en un mot de bonheur. Le Non Français était la meilleure nouvelle qui soit arrivée à l'Europe depuis sa création. On a tenté de faire sans les peuples, les Irlandais ont réagi pour nous tous. Un pour tous, tous pour un, voilà les peuples appelés au référendum qui se font mousquetaires de la démocratie ! Car le noeud gordien de l'avenir européen est là : dans la démocratie. Une constitution, oui ! Aucune constitution ne mérite ce nom si n'est elle le fruit d'un processus constituant qui naît du peuple, des peuples. Osons les Etats Généraux de l'Europe, quartier par quartier, entreprise par entreprise, village par village ! Voyons ce qui naît de beau du génie des peuples assemblés à la table de leur avenir commun ! Voilà une perspective qui a une gueule socialiste. Ce sera compliqué, un vaste bordel, on prend des risques avec une telle démarche, c'est la porte ouverte vers l'inconnu ? Mais c'est le propre de la démocratie que d'être la porte ouverte vers l'inconnu, camarades !

Renaud Chenu (75)

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