GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Féminisme

Écoféminisme : mot à la mode ou perspective ?

La primaire écologiste a finalement débouché sur la victoire, en demi-teinte, mais bien réelle, de Yannick Jadot. Toujours est-il que les récents débats ont mis en lumière la notion d’écoféminisme à laquelle Sandrine Rousseau et Delphine Batho se réfèrent volontiers.

On ne peut que se réjouir de voir des femmes assumer/expliquer à nouveau que le féminisme ne se réduit pas à une « défense corporatiste » des femmes, mais que, comme le proclamait déjà le MLF, « nos luttes changent la vie entière ».

Histoire d’un concept

Qu’y a-t-il derrière cette référence ? Disons-le d’emblée : l’écoféminisme regroupe une très grande diversité d’idées et résiste mal à une définition rapide qui risque d’être caricaturale et d’occulter l’existence de plusieurs approches, de plusieurs « écoféminismes »1.

L’écoféminisme, c’est avant tout l’idée qu’il y a une connexion très étroite entre écologie et féminisme, que l’exploitation destructrice de l’environnement par le capitalisme et l’oppression des femmes par le patriarcat sont les conséquences d’un même système.

Le mot est employé pour la première fois en France et en 1974 par Françoise d’Eaubonne dans son livre Le féminisme ou la mort. Mais le concept suscite alors en France une grande méfiance ; d’une part le mouvement féministe rejette absolument l’ambiguïté entretenue par certains courants essentialistes renvoyant les femmes vers une prétendue « nature féminine » – ce qui n’était pas le propos de Françoise d’Eaubonne –, mais aussi parce que ce concept introduisait, sans que le mot ne soit alors employé, la nécessité d’une décroissance, heurtant également une partie de la gauche.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni en revanche, les mouvements féministes et anti-nucléaires s’emparent largement du terme. En 1980, 2 000 femmes encerclent le Pentagone dans une action spectaculaire connue sous le nom de Women’s Pentagon Action. Elles publient à cette occasion une déclaration d’unité2 qui est l’un des textes fondateurs de l’écoféminisme. Au Royaume-Uni, des femmes occupent pendant près de vingt ans un camp militaire où sont stockés des missiles nucléaires et fondent la communauté de Greenham Common. On peut également citer le Green Belt Movement au Kenya, emmené par Wangari Maathai. En Inde, les femmes Chipko luttent contre la déforestation en enlaçant des arbres pour éviter qu’ils ne soient abattus. Le mouvement est porté par les écrits de la militante indienne Vandana Shiva et de la sociologue allemande Maria Mies.

C’est d’ailleurs en partie par leur ouvrage Ecoféminisme que le terme est réintroduit en France en 1998. Elles incarnent ce que l’on peut nommer le courant matérialiste de l’écoféminisme. Elles s’opposent à l'idéologie naturaliste et à l'idée qu'il existe un ordre naturel des choses ; elles analysent capitalisme et patriarcat comme deux systèmes ayant fusionné pour donner naissance à un « capitalisme patriarcal ».

Universalisme concret

L’écoféminisme pose certainement de nombreuses questions qui nécessitent des approfondissements et aucune n’est à repousser d’un revers de main.

Certains reprochent à l’écoféminisme de juxtaposer artificiellement des préoccupations d’ordre différent. Pourtant, l’écoféminisme n’est pas juste la reconnaissance de l’analogie qu’il y a entre l’oppression des femmes et la destruction de la nature. C’est la compréhension du fait qu’elles mettent en jeu le même mécanisme. On comprend très bien la cohérence de l’idéologie dont Trump par exemple est l’incarnation et qui conjugue misogynie, xénophobie, homophobie, climato-scepticisme, accaparation des richesses et du pouvoir. La cohérence de l’écoféminisme s’y oppose en développant une réponse globale.

Parce qu’elles considèrent que le résultat final du système mondial est une menace généralisée contre la vie sur terre, les écoféministes considèrent que « la vie sur terre peut seulement être préservée si les gens se remettent à percevoir toutes les formes de vie comme sacrées ». Toutefois, toutes n’ont pas la même conception de cette « sacralisation de la vie ». Pour Maria Mies et Vandana « cette qualité n’est pas localisée dans une déité d’un autre monde, dans une transcendance mais dans la vie de tous les jours, dans notre travail, dans notre immanence ». En ce sens, elles développent une approche matérialiste et présentent « l’écoféminisme comme une perspective qui émane des nécessités fondamentales de la vie ; nous l’appelons la perspective de subsistance »3. Il existe toutefois des courants spiritualistes beaucoup plus ambigus, s’appuyant sur la conception mythologique de la mère nourricière.

Lors de cette primaire des écologistes, certains commentateurs ont, parfois assez grossièrement, essayé d’accoler à ce terme d’écoféminisme – et aux deux femmes qui s’en revendiquaient – une image de radicalité excluante, comme si le féminisme était un combat « contre les hommes » et non contre le patriarcat. Ce qui nous amène à citer en conclusion Françoise d’Eaubonne, sur la perspective très universelle du combat féministe : « Jusqu’ici, les luttes féministes se sont bornées à démontrer le tort fait à plus de la moitié de l’humanité, le moment est venu de démontrer qu’avec le féminisme, c’est l’humanité entière qui va muer. […] Le féminisme, en libérant les femmes, libère l’humanité tout entière. […] Il est au plus près de l’universalisme. Il est la base même des valeurs les plus immédiates de la vie. »

L’écoféminisme n’est donc pas unique, mais compris comme un ensemble de luttes, de pratiques, de mouvements, il est la preuve de l’existence d’un féminisme universel, international, vivant, en mouvement.

Cet article de notre camarade Claude Touchefeu est à retrouver dans le numéro 288 (octobre 2021) de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

1.Pour un aperçu de la genèse et des différents courants existants, voir l’introduction de Monique Dental lors de l’université d’Automne de l’Assemblée des femmes en octobre 2020 (https://www.assembleedesfemmes.org/think-tank-feministe/les-actes-de-nos-universites/il-suffira-dune-crise-lurgence-feministe).

2.http://www.wloe.org/WLOE-fr/introduction/decl-unite.html#declunite

3.Maria Mies et Vandana Shiva, Ecoféminisme, L’Harmattan, 1998.

4.Françoise D’Eaubonne, Écologie et féminisme : révolution ou mutation, Éditions Libre Solidaire ,1978.

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