GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Du combat contre de Robien à la victoire contre la droite

La rumeur court : les profs votent Bayrou ! Parce qu'ils seraient fâchés avec la gauche. Cela remonte à Allègre... paradoxe : il semblerait bien qu'Allègre aussi vote Bayrou ! Autre paradoxe : Gilles de Robien n'est pas plus estimé dans la profession que ne l'avait été Claude Allègre. Quel est son parti ? L'UDF ! Et d'ailleurs... qu'est-ce que de Robien, si ce n'est une sorte de synthèse entre Bayrou et Sarkozy ? C'est pour cela qu'il vote Sarkozy...

Regardons-y de plus prés. Qu'est-ce qui se passe réellement dans l'Education nationale en ces semaines électorales ?

Quelque chose qui ne s'était jamais produit : agitation, mouvements, grèves, résistance aux mesures gouvernementales, jamais n'avaient connu une telle ampleur à la veille d'élections présidentielles. Avant de sonder les reins et les coeurs du prof soupçonné de voter Bayrou, peut-être faudrait-il s'intéresser à cela en priorité, si l'on veut comprendre.

Le ministre de Robien, qui passait pour un humaniste (sauf auprès des municipaux amiénois auxquels il avait retiré les 35 h dés son élection à la Mairie) avant d'occuper ses fonctions et dont on sait à présent qu'il est inculte et brutal, applique la loi Fillon (encore une ! ) qui veut recadrer l'enseignement autour d'un « socle commun » minimaliste et éclaté de compétences.

En caricaturant à peine, le « socle », c'est lire-écrire-compter-cliquer-pratiquer le basic english et ne pas commettre d'incivilités (la « citoyenneté »), point-barre. Il applique aussi, ça va avec la décentralisation croissante qui menace de plus en plus l'unité du service public (Raffarin et avant lui Allègre, justement, avaient accompli des pas décisifs en ce sens), et le non remplacement des départs en retraites.

Le résultat est un budget qui prévoit pour la rentrée 2007 des suppressions de postes par milliers. À ce stade, le statut des professeurs, instauré en 1950 à la suite du statut de la Fonction publique, devient un obstacle et de Robien a pondu un décret le modifiant, le 12 février dernier. Les changements portent notamment sur :

  • la possibilité d'imposer à un professeur d'enseigner une autre discipline que la sienne, pour laquelle il n'aurait pas été formé, pour compléter son service ;
  • la possibilité élargie (elle existait déjà) d'être nommé sur deux voire trois établissements et de se balader de l'un à l'autre soi disant pour le plus grand bien des élèves...
  • la suppression de décharges du nombre d'heures de cours dues dans les services par certains professeurs, soit ayant plusieurs classes préparant le bac, soit étant chargés de tâches diverses pour les labos et le matériel en langues, sciences, histoire-géo ;
  • la possibilité donnée établissement par établissement de supprimer le service public associatif du Sport scolaire en retirant aux profs de gym les heures consacrées à ces activités.
  • Bref, travailler plus pour gagner moins et ceci d'une manière de plus en plus flexible et polyvalente, au mépris de la qualité de l'enseignement et aux dépens des élèves.

    Le ministre a présenté, démagogiquement, l'abolition des décharges comme visant à mettre plus les profs devant les élèves. Or, ces retraits entraînent à eux seuls la suppression de 3000 postes !

    C'est peu de dire que ces mesures ont suscité une ambiance quasi insurrectionnelle dans certains lycées. Le SNEP-FSU et le SNES-FSU ont été à l'origine d'une première grève, unitaire et réussie, en décembre. La manifestation organisée par la FSU le samedi 20 janvier a été importante et la grève unitaire de la Fonction publique du 8 février fort suivie aussi, sur trois revendications fondamentales :

  • le rétablissement dés la rentrée 2007 de tous les postes supprimés,
  • le retrait du décret de Robien (promulgué le 12 février),
  • l'abrogation de la loi Fillon.
  • À partir de là, le SNES a lancé le mot d'ordre « à chaque établissement son action contre le décret de Robien ». Cela correspondait en partie à l'état d'esprit des personnels qui ont en effet mené de nombreuses grèves et actions locales dans les lycées et collèges. Cependant, le besoin de centralisation contre le gouvernement aurait nécessité pour le moins une manifestation au ministère. La nouvelle grève du 20 mars a été moins suivie car les grèves successives commencent à susciter un doute sur leur efficacité. En même temps, les collègues, à juste titre, très remontés dans certains lycées ont annulé les bacs blancs, ce qui pose des problèmes avec élèves et parents.

    Cependant de Robien ne s'en tient pas à sa tentative de mettre par terre le statut des professeurs d'ici au premier tour de la présidentielle. Il a aussi préparé un décret sur les écoles primaires permettant l'expérimentation des « EPEP », Etablissements Publics de l'Enseignement Primaire, qui grouperaient plusieurs écoles dans plusieurs communes sous l'autorité d'un Conseil d'administration dominé et présidé par les élus locaux, et dont les compétences toucheraient par bien des aspects à la pédagogie.

    Au Conseil Supérieur de l'Education ce projet a été rejeté à l'unanimité (représentants des élus locaux compris), sauf une voix : le MEDEF !

    Mais quelle est donc cette République dans laquelle un ministre peut, en catimini, sans débat public ni parlementaire, prétendre faire passer un décret, quelques semaines avant une échéance électorale centrale, qui signifierait rien de moins que la liquidation du caractère communal de l'école publique laïque ?

    Voilà les questions qui préoccupent les enseignants en ce moment. Il faut y ajouter les rafles devant les écoles comme celle de la rue Rampal à Paris et la garde-à-vue de la directrice d'école qui avait voulu protéger la sécurité des enfants de l'agression policière : le vendredi 30 mars tous les syndicats ont appelé à une grève très suivie dans l'est parisien. Qu'est-ce sinon une grève contre Sarkozy et tout ce qu'il incarne, ni plus ni moins ?

    Si l'on considère ces réalités, difficile de continuer à disserter sur le glissement à droite du corps enseignant. Alors s'il y a un « malaise » c'est qu'il y a des raisons. De bonnes raisons. La continuité dans les politiques scolaires depuis Bayrou, justement, en passant par Allègre, Lang, Ferry, de Robien, est une réalité. Avant d'expliquer aux enseignants que la droite et la gauche ce n'est pas pareil il faut reconnaître ce fait incontestable : ces politiques scolaires étaient plus ou moins libérales, voire ultra-libérales ! Et c'est précisément parce qu'ils savent que ce n'est pas pareil qu'ils en veulent à la gauche. La décentralisation, notamment, l'éclatement du service public, les partenariats public-privé, les menaces pesant sur des métiers comme celui de conseiller d'orientation psychologue, sont explicites et revendiqués dans le programme (et les actes, en Poitou-Charentes) de la candidate du PS. Comment s'étonner qu'il y ait un « malaise » ?

    Le 20 mars, Ségolène Royal s'est prononcée pour le retrait du décret de Robien, puis, dans une lettre aux enseignants, elle a écrit que tous les postes dont l'actuel gouvernement a décidé la suppression pour la rentrée 2007 seraient maintenus. Fort bien ; un tel rétablissement ne peut être réellement fait que si l'on revient sur l'ensemble de la politique de la droite envers l'enseignement et la Fonction publique. L'abrogation de la loi Fillon contre l'école et de la réforme constitutionnelle de Raffarin sur la décentralisation sont incontournables. Voilà le cap par où passe la victoire sur Sarkozy, Bayrou et Le Pen : battre la droite les 22 avril et 6 mai pour imposer ensuite une politique scolaire conforme aux besoins sociaux.

    Vincent Présumey

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