GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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D’où vient la dette publique ?

Pour les néolibéraux, la réponse est évidente : l’origine des dettes publiques est à chercher uniquement du côté des dépenses publiques. C’est l’un de ces énormes mensonges dont les néolibéraux sont si friands. L’analyse des cas irlandais et français le démontre aisément.

L’Irlande : un cas d’école

Avant la crise de 2007-2009, l’Irlande était un rêve néolibéral. Le taux de l’impôt sur les sociétés avait, en 15 ans, été ramené de 50 % à 12,5 %. Le taux de croissance atteignait 10 %. Quant au déficit public il était égal à 0 % en 2007.

Il y avait, bien sûr, quelques ombres au tableau mais l’UE et le FMI ne voyaient ni l’augmentation de 450 % des prix de l’immobilier en 10 ans, ni la gigantesque bulle immobilière sur laquelle reposait l’économie irlandaise. Ils ne voyaient pas non plus que le total des bilans des banques irlandaises, qui alimentaient cette bulle au moyen de prêts coulant à flots, représentait 900 % du PIB !

Avec la crise, la situation change du tout au tout

La bulle immobilière explose. Les banques irlandaises sont au bord de la faillite. L’Union européenne, le FMI impose alors à l’État irlandais de nationaliser les banques irlandaises et de prendre leurs dettes à sa charge.

L’État irlandais débourse entre 2008 et 2010, 46 milliards d’euros pour renflouer les fonds propres des banques et 31 autres milliards pour leur permettre d’apurer une partie de leurs actifs toxiques. 77 milliards d’euros au total.

Le budget irlandais subissait de plein fouet les conséquences de ce transfert de la dette des banques à l’État. Parti de 0 % en 2007, le déficit public s’élevait à 7,3 % du PIB en 2008. Il atteignait 14,4 % en 2009 et 34,4 % en 2010. La dette publique qui s’élevait à 25 % du PIB en 2007 atteignant 96,2 % fin 2010. 71,2 points en 4 ans !

Une récession catastrophique frappait l’Irlande dont le PIB s’effondrait (–9 %) en 2009. Le taux de chômage passait de 0 % à 14 %. Le rêve néolibéral devenait un cauchemar pour les salariés irlandais.

Les dépenses sociales, l’emploi public ou les salaires des fonctionnaires n’avaient strictement rien à voir avec cet accroissement inouï de la dette publique irlandaise. Les seuls responsables de cet envol de la dette étaient les banques (irlandaises mais aussi britanniques, allemandes et françaises) et les spéculateurs immobiliers. C’est pourtant aujourd’hui au peuple irlandais que l’on demande de payer la note de ces folies spéculatives.

L’exemple français

Dans la recherche des origines de la dette publique française, il faut distinguer deux phases.

Première phase : avant la crise financière de 2008-2009

A entendre le gouvernement, le Medef, les économistes néolibéraux, l’origine de l’augmentation constante de la dette serait évidente : la France dépense trop.

De 1995 à 2007, la dette publique n’a cessé d’augmenter, passant de 55,5 % du PIB à 67,4 % du PIB.

Les dépenses publiques, quant à elles, avaient atteint un point culminant en 1996 : 54,5 % du PIB. Entre 1995 et 2007, les dépenses publiques resteront toujours inférieures à ce chiffre. Elles s’élevaient, ainsi, à 52,7 % du PIB en 2007.

Ce n’est donc pas du côté de l’évolution des dépenses publiques qu’il faut chercher l’origine de la dette publique. Mais bien du côté des recettes publiques et particulièrement de la baisse des impôts des riches favorisé par le refus de l’Union européenne de toute harmonisation fiscale.

Le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) a été réduit, au cours des années 1990, de 50 % à 33,33 %. Pour l’année 2008, ce changement de taux signifiait une perte de 22,5 milliards d’euros pour les finances publiques(1).

504 « niches fiscales » modifient profondément le rendement de l’impôt. Ces « niches fiscales » ne sont rien d’autre que des exonérations ou des dérogations à l’impôt. Curieusement, le terme officiel pour désigner ces niches fiscales est celui de « dépense fiscale » alors qu’il s’agit bien là, à l’évidence, d’une diminution des recettes fiscales. Il s’agit tout simplement de bien enfoncer le clou de la responsabilité des « dépenses » de l’Etat.

Selon l’annexe du projet de loi de Finances 2011, ces « niches fiscales » représentent une perte de 73 milliards d’euros.

La Cour des comptes va plus loin puisque dans son rapport annuel 2011, elle estime qu’il faut ajouter 75 milliards d’euros qui ne figurent plus dans la liste des « niches fiscales » depuis 2006, alors qu’elles constituent bel et bien des « niches fiscales » et non des moindres. D’abord (à tout seigneur tout honneur), le régime société mères et filiales qui a permis aux grands groupes de diminuer leur impôt de 34 milliards d’euros en 2009, ensuite le régime d’intégration fiscale qui a permis aux même grands groupes d’économiser 18 milliards d’euros. Sans oublier la « niche Copé » sur la défiscalisation d’une partie des plus-values réalisées par les grands entreprises lors de la vente d’une de leurs filiales qui a coûté 3,4 milliards d’euros à l’État en 2009.

D’autres « niches fiscales » créées après 2006 et surtout 2007 sont aussi coûteuses à l’État que néfastes à la société.

La défiscalisation des heures supplémentaires a eu non seulement un effet très néfaste sur l’emploi en rendant les heures supplémentaires moins coûteuses que l’embauche mais a aussi coûté 4 milliards d’euros à l’État en 2009.

La baisse de la TVA dans la restauration n’a entraîné aucune baisse des prix à la consommation, aucune d’amélioration de la situation de l’emploi dans ce secteur mais coûtera 3 milliards d’euros aux finances publiques, en année pleine, selon le rapport présenté par Gilles Carrez. Un transfert direct des fonds publics dans la poche des restaurateurs sans aucun bénéfice pour la société.

Le « bouclier fiscal » mis en place par Sarkozy permet à 47 % de ses bénéficiaires (ceux payant l’impôt sur la fortune) de percevoir 90 % des reversements effectués par le Trésor public, soit près de 680 millions d’euros en 2009.

Les exonérations de cotisations sociales représentent, selon le rapport du sénateur Jean-Yves Jégou(2), au nom de la Commission des finances du Sénat une perte fiscale de 42 milliards d’euros en 2009. L’État doit, en effet, rembourser à la Sécurité sociale le montant de ces exonérations qui sont essentiellement des exonérations de cotisations patronales ou celles liées aux heures supplémentaires (la loi TEPA de Sarkozy) qui rend les heures supplémentaires moins coûteuses en période de chômage de masse. Là encore, sans le moindre impact positif pour l’emploi et donc pour la société, bien au contraire. Ces exonérations ne sont, en fait, que des « effets d’aubaine » offerts aux employeurs.

Le calcul n’est donc pas très difficile à faire : 15 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales liées aux modifications apportées au barème de l’IRPP depuis 1999, plus 20 milliards d’euros de perte fiscale pour l’IS, plus 64 milliards d’euros des six niches fiscales les plus iniques (régime sociétés mères et filiales, intégration fiscale, « niche Copé », défiscalisation des heures supplémentaires, baisse de la TVA sur la restauration, bouclier fiscal), plus 38 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, cela représente un total annuel de 137 milliards d’euros en 2009. A peine moins que de déficit public de cette année là qui s’élevait à 144,8 milliards d’euros. Il s’agit pourtant là d’un calcul très modéré puisqu’il ne prend en compte que les 6 niches fiscales les plus injustifiées et 90 % des « niches sociales ».

Pour compenser ces baisses des recettes fiscales, l’État a lourdement frappé les salariés en haussant les impôts indirects (TVA, TIPP), ou la part salariale des cotisations sociales salariées. Il a, enfin, eu recours à l’emprunt pour combler le déficit public résultant de la baisse des recettes publiques.

Et, chaque année, il faut emprunter pour payer les intérêts de la dette publique. Et ces emprunts entrainent une augmentation de la dette publique et donc le versement de nouveaux intérêts… C’est un système sans fin qui rapporte aux rentiers 50,2 milliards d’euros en 2010 et coûte la même somme à l’État.

Si l’on ajoute les 137 milliards de baisse d’impôts et de cotisations sociales aux 42,5 milliards d’intérêt versés aux rentiers, en 2009, on arrive à un total de 179,5 milliards d’euros. Le déficit public étant égal à 144,8 milliards d’euros cette année-là, il n’est pas difficile de percer le secret de l’origine de la dette publique : la baisse des impôts des riches et la hausse des intérêts versés aux rentiers. Sans elles, non seulement les finances publiques auraient été équilibrées mais elles auraient été largement excédentaires.

Deuxième phase : pendant et après la crise financière de 2007-2008, transformation de la dette privée en dette publique pour sauver le système bancaire et les actionnaires des banques

En 2009, en France, le déficit public atteint, selon l’Insee, 144,8 milliards d’euros, soit 7,5 % du PIB. En 2007, ce déficit représentait 2,7 % du PIB et 3,3 % en 2008. La crise et ses effets ont donc creusé le déficit de 4,2 points de PIB. Il augmente de 80,1 milliards d’euros en un an sous l’effet de la forte baisse des recettes publiques (-4,3 %) et de la hausse des dépenses publiques (+3,8 % notamment pour sauver les banques !).

Les recettes apportées par l’impôt sur les Sociétés, l’impôt sur le revenu, la TVA, la TIPP et les droits de mutation diminuent.

Les dépenses augmentent en fonction de trois facteurs.

Le premier est le plan de soutien aux banques qui, pour les deux années 2008 et 2009, s’élève (au minimum car il s’agit là d’un des secrets d’Etat les mieux gardés) à 100 milliards d’euros.

Le second est le plan de soutien aux entreprises, tout particulièrement aux industriels de l’automobile : « la prime à la casse ».

Le troisième est la forte augmentation des prestations chômages liée aux licenciements et à l’augmentation de l’indemnité de chômage partiel. Prestations qui ont limité l’ampleur de la récession.

La dette publique atteint donc 1 646 milliards d’euros. Cette somme faramineuse a essentiellement pour origine la baisse des impôts des riches, le financement du plan de sauvetage des banques et le financement du plan de sauvetage des profits mis mal par la crise économique née de la crise bancaire. Ces 1 646 milliards d’euros de la dette publique française sont à comparer avec le chiffre de 35 milliards d’euros du « grand » emprunt dont Sarkozy et ses partisans se vantent à longueur d’antenne. C’est un condensé de la politique néolibérale : 1 646 milliards d’euros pour la finance, les rentiers, les dividendes et 35 milliards pour des investissements que la droite qualifie d’ « investissements d’avenir ».

L’ « avenir » ne pèse pas très lourd…

Jean-Jacques Chavigné


À paraître début octobre 2011 "La dette indigne" dix questions dix réponses, par Jean-Jacques Chavigné et Gérard Filoche (Ed. JC Gawsevitch, 9,90 euros)

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L’article en PDF

(1): Pour plus de précisions sur l’évolution de la fiscalité durant cette période : Alain Bihr, décembre 2009 « Que cache la croissance de la dette publique ? » (retour)

(2): Rapport d’information n° 84 du sénateur Jean-Yves Jégou, présenté au nom de la Commission des Finances du Sénat. (retour)

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