Crise ou reprise, là n’est pas la question…
«Regain d’optimisme aux États-Unis »,
« Premiers signes encourageants en
Allemagne », « La Banque Mondiale annonce
un rebond de la Chine cet été »
… À en croireles titres du Figaro, la reprise tant attendue
par les capitalistes du monde entier ne va
pas tarder. En réalité, bien malin celui qui
peut évaluer l’ampleur de la crise ! Rappelons
une seule chose : le monde est entré dans
une période qui ressemble à s’y méprendre à
la récession des années 1930. Il s’agit d’une
crise de surproduction, liée à un affaiblissement
de la demande et à une frénésie spéculative
jamais vue jusque-là. Les prétendus « experts »
qui nous expliquent que cette crise ne touche
que peu l’économie réelle et n’a donc rien à
voir avec la grande crise de 29, se trompent
lourdement… Pourquoi aurait-on débloqué des
sommes incomparablement plus importantes
que celles qui ont été injectées dans l’économie
par les équipes keynésiennes du « New Deal »,
s’il ne s’agissait que d’une phase de difficultés
conjoncturelles ? Il est vain de spéculer sur la
sortie de crise. La vérité est de toute façon ailleurs.
Le fait essentiel de ces derniers mois — bien
plus que le « G Vain » qui n’a été qu’un
magistral coup d’épée dans l’eau — c’est la
décision émanant de la Réserve Fédérale de
racheter, le 18 mars dernier, pour 300
milliards de bons du Trésor américain. C’est
un choix décisif, car il impose à l’État fédéral
d’émettre en masse du papier-monnaie. Ce
qui signifie deux choses.
1. Les États-Unis ne peuvent plus supporter
la charge que constitue le paiement des
intérêts à leurs créanciers.
2. Le dollar va nécessairement perdre de la
valeur. Les États-Unis viennent d’annoncer
au monde entier qu’ils ne sont plus
solvables, alors qu’ils vivent à crédit depuis le
début des années 1970… C’est un changement
majeur dans l’organisation économique du
monde actuel. Les États-Unis se lancent dans
une fuite en avant consistant à transformer sa
dette en billets verts… tant que des gens
auront encore confiance dans cette monnaie
qui est en train de devenir virtuelle !
La Chine, qui détient la plus grande part de
la dette américaine — c’est-à-dire une masse
gigantesque de dollars en voie de
dépréciation — va en effet être contrainte de se
délester dans des conditions particulièrement
difficiles de ces bons du Trésor. Un dirigeant
chinois, cité dans le Financial Time, l’a dit
clairement à New York en février dernier : « À
l’exception des bons du Trésor, que peut-on
détenir d’autre ? »
. Ce responsable a conclud’une façon extrêmement violente son discours,
signe de l’angoisse qui saisit actuellement les
milieux dirigeants chinois. « Nous vous
haïssons, les gars. […] Nous savons que le
dollar va se déprécier, alors nous vous
haïssons, mais il n’y a rien d’autre que nous
puissions faire »
, a en effet ajouté le peudiplomatique Luo Ping. Les États-Unis viennent
donc de déclarer la guerre économique à la
bureaucratie chinoise, qui commence à
comprendre que le rôle de créancier des États-
Unis n’est pas une place enviable… Car, pour
la Chine comme pour la Russie, détenir une
partie de la dette américaine impose de payer
pour eux, quand la situation se dégrade !
Depuis peu, nous sommes donc entrés dans
une phase d’affrontements inter-impérialistes
aiguë, car, maintenant que les bons du
trésor ne constituent plus officiellement une
« valeur refuge », les vrais marchés juteux ne
sont plus assez nombreux pour pouvoir
abreuver tout le monde… D’où le comportement
agressif de la Chine qui cherche à s’imposer
en Asie ou en Afrique orientale, et qui tente par
tous les moyens de placer ses avoirs à l’étranger.
Quant à l’élection d’Obama, si elle semble
infléchir la politique étrangère américaine,
elle ne change pas fondamentalement son
analyse géopolitique. Les États-Unis continuent
leur sale boulot en Afghanistan, même si le
nouveau président a reconnu dans le New
York Times que « les États-Unis ne sont pas en
train de gagner la guerre »… Le Pentagone ne
voit comme solution qu’une sorte de « droit de
poursuite » des forces islamistes en territoire
pakistanais, ce qui sonne pourtant
comme un terrible aveu d’impuissance…
Cet acharnement, contrastant avec le côté
raisonné et « multilatéral » d’Obama, ne
s’explique que par cette volonté de
l’impérialisme US d’affermir ses positions,
notamment face à la Russie et à la Chine. Le
geste du nouveau président à l’attention de
l’Iran fait également sens dans ce contexte
international extrêmement tendu. Le message
de rapprochement, affirmant que l’Iran a le
« droit » de prendre sa place dans la
communauté des nations, mais que ce droit
« s’accompagne de vraies responsabilités », a été
posté sur le site de la Maison Blanche le 19
mars. Soit quelques heures à peine après la
décision de la Réserve Fédérale revenant à
déclarer les États-Unis insolvables ! De là à
imaginer qu’un hypothétique rapprochement
irano-américain pourrait se réaliser contre la
Chine, il n’y a qu’un pas…
Partout, le printemps sera chaud !
Face au vieux monde à l’agonie, la France
n'est pas toute seule, en ce jour de fête
internationale des travailleurs ! Dans de
nombreux pays, les salariés refusent de
payer la crise de ceux d’en haut.
En Chine, les prévisions de croissance sont
encore revues à la baisse, alors que la
bureaucratie fixe à 8 % le taux en dessous
duquel des affrontements sont à prévoir. Ainsi,
début 2009, le magazine de l’appareil du PCC,
affirmait que, « depuis le deuxième semestre
2008, avec l’aggravation des difficultés
économiques […], les faillites, les licenciements et
les conflits salariaux ont manifestement
augmenté, ce qui a multiplié les incidents de
masse ». Selon un responsable de la région de
Chongqing, « en 2009, la société chinoise fera face
probablement à encore davantage de conflits ».
En Grèce, la situation sociale est encore
explosive, après les événements de décembre
2008. Il n’y a pas un jour sans manifestations
et heurts avec la police, que ce soit à Athènes
ou dans le reste du pays. Les anarchistes et
autres « radicaux », croyant détruire le
capitalisme en tapant sur les flics, sont certes
toujours présents, mais la mobilisation devient
progressivement un mouvement de masse.
Depuis 2 mois, il n’y a pas un secteur du
salariat qui n’ait eu l’occasion de manifester
contre le pouvoir : paysans, dockers, marins,
femmes de ménage, employés, fonctionnaires
non payés, personnels hospitaliers, artistes,
étudiants et lycéens… Partout, les actions
organisées sont en cours de centralisation et
sont de plus en plus souvent dirigées vers le
pouvoir et ses ministères. Les manifestants
s'attaquent maintenant à des biens symboles
de la société libérale et inégalitaire (école
privée, clubs pour riches, banques, centres
commerciaux…). La radicalisation réelle — et
non celle des seuls gauchistes — semble
évidente. Le 2 avril dernier a eu lieu une
gigantesque grève générale lors de laquelle les
travailleurs ont dit non « à la politique suivie
par le gouvernement et aux comportements
illégaux et abusifs des patrons », aux dires du
président de la GSEE, la CGT grecque.
Et que dire de l’Irlande, de l’Espagne, de la
Belgique ou encore de la Hongrie ? Même à
Monaco, le printemps est chaud, si, si ! En
effet, l’Union des Syndicats de Monaco a
appelé « à la résistance face à la pression du
patronat qui, depuis au moins trente ans, agit
en faveur du recul social. ». En conséquence,
les syndicats monégasques ont organisé une
grande journée interprofessionnelle d’action le
16 avril, qui a rassemblé 40 000 personnes !
Si même à Monaco, ça bouge, c’est que,
vraiment, tout devient possible.
Jean-François Claudon (75)