GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Contre le projet de loi Dutreil

« Réglementer la sous-traitance en faisant que le donneur d'ordre soit responsable de ce qui se passe sous ses ordres et en alignant les sous-traitants sur la convention collective du donneur d'ordre »

extrait de la contribution de « nouveau parti socialiste »

"Plus d'un tiers des français voudraient créer leur entreprise" Ainsi commence l'exposé des motifs du projet de loi « Dutreil » pour l'initiative économique.

Ce projet prétend favoriser la réussite sociale par le travail dans le fameux esprit de Raffrin : revaloriser le travail. La quasi totalité des français voudraient certes bien réussir leur vie grâce au travail.

Mais, on va le voir, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il s'agit de rendre le travail plus long, plus dur, moins cher, de le déréglementer et de donner des avantages aux possédants et employeurs.

Il s'agit de faciliter la fausse sous-traitance sous couvert d'un « contrat d'accom-pagnement » et de faire des cadeaux fiscaux à divers privilégiés (cf texte précédent sur l'Isf)

Raffarin-Fillon-Dutreil détricotent le droit du social et le droit du travail et encouragent le retour du chômage :

On ne peut éviter de resituer ce projet dans l'ensemble des mesures qui sont prises depuis le mois de juin, dans le domaine économique et social, par le gouvernement et l'Assemblée de droite.

Raffarin a promis aux citoyens que grâce à sa politique les entreprises allaient pouvoir créer de nombreux emplois. Mr Fillon a toujours refusé de donner un chiffre, et pour cause, il aurait fallu qu'il annonce que ce chiffre serait égal à zéro et donner au contraire une estimation des suppressions d'emploi prévisibles.

Grâce à la suppression des emplois jeunes et aux contrats jeunes le chômage allait diminuer, résultat, il augmente !

Grâce à l'assouplissement des 35 heures le chômage allait diminuer, résultat il augmente !

Grâce à la diminution des cotisations sociales des patrons, le chômage allait diminuer, résultat il augmente !

Grâce à l'abrogation des dispositions anti-licenciements boursiers de la loi de modernisation sociale le chômage allait diminuer, résultat il augmente !

Depuis 8 mois Raffarin-Fillon détruisent tout ce que le gouvernement précédent a fait de bien.

Et encore on doit remarquer que les statistiques ne mesurent actuellement qu'une partie de l'aggravation du chômage, les radiations en cachent une partie et les délais d'inscription une autre.

Les mois à venir vont révéler en chiffres ce qui est déjà vécu par de plus en plus de travailleurs : le rejet à l'Anpe, la diminution des moyens d'existence avec les nouvelles mesures Assedic, la peur du lendemain, l'horizon bouché pour les jeunes.

En effet l'aggravation du chômage est déjà inscrite dans l'ensemble de la politique de droite: en abrogeant la loi de modernisation sociale à la demande du Medef, M. Fillon a laissé entendre aux patrons qu'ils pouvaient multiplier les plans de licenciements.

Les projets, pour les mois qui viennent, concernant les retraites et la protection sociale aggraveront encore la situation, sauf si l'immense succès des manifestations de samedi 1er février débouche sur d'autres mobilisations.

Après seulement 10 mois de pouvoir le gouvernement commence à expliquer son échec en affirmant qu'il n'a pas de chance parce que « la conjoncture n'est pas bonne ». Comme si la conjoncture c'était un ailleurs, la faute au voisin, une punition divine, « une maladie », pour paraphraser le ministre du travail, contre laquelle on ne peut rien.

La conjoncture ne tombe pas du ciel, la conjoncture c'est la politique voulue par le gouvernement, la conjoncture ce sont les dirigeants des grandes puissances capitalistes, la conjoncture ce sont les décisions quotidiennes prises dans les conseils d'administration des multinationales dont les multinationales à base française, la conjoncture c'est la mise en application des dogmes de l'ultra-libéralisme, la conjoncture c'est la course insatiable aux profits, la conjoncture ce sont les privatisations, la conjoncture ce sont les bas salaires qui brident la demande et la croissance, la conjoncture c'est la déréglementation dans tous les domaines, la conjoncture ce sont les délocalisations favorisées, la conjoncture c'est la dictature des marché financiers acceptée sans broncher. Voilà ce qu'est la conjoncture actuelle qui génère chômage et précarité.

Le projet de loi Dutreil aggrave la déréglementation :

Le projet de loi comporte cinq parties regroupables en trois thèmes. Le premier s'adresse à l'opinion publique, propose de « simplifier les formalités » afin de faciliter la création d'entreprise et d'accorder des délais pour le paiement des cotisations sociales dues pour la première année d'activité afin d'aider au démarrage de l'entreprise. Lorsque c'est possible tout le monde est d'accord pour simplifier ce qui peut l'être…

Mais l'objectif du gouvernement est tout autre. Il s'agit, d'une part, d'accorder de nouveaux cadeaux fiscaux à ceux qui disposent de revenus très confortables (troisième et cinquième titres) et de faire baisser les revenus des travailleurs en les baptisant travailleurs indépendants (titre deuxième).

Allégement de l'Isf et cadeaux fiscaux aux privilégiés :

Pour ce qui concerne les cadeaux fiscaux, relevons ceci : un couple marié avec deux enfants qui gagne 84 000 euros par an doit normalement acquitter 15 000 euros d'impôt sur le revenu. Si ce couple décide de profiter des dispositions Dutreil, il ne paiera plus d'impôt du tout. Or 84 000 euros c'est 45 000 francs par mois c'est-à-dire que ceux qui profiteront le plus de ces cadeaux ce sont les 1% des français les plus riches. Voilà donc des gens qui vivent déjà très très bien, qui peuvent investir 60 000 euros qui vont leur rapporter des dividendes et qui en plus se voient dispenser d'impôts. Sans compter que dans la pratique ce sera le plus souvent les plus riches de ce 1 % qui procéderont à ces investissements et bénéficieront des largesses de la loi. Le gouvernement a déjà baissé à l'automne l'impôt sur le revenu dont les plus grands bénéficiaires sont les plus riches, le projet Dutreil y ajoute 15 000 euros plus l'exonération des produits, plus values et dividendes plus 60 000 euros de déductibilité des éventuelles pertes. (cf article D&S sur l'Isf)

A ces cadeaux aux spéculateurs, la loi ajoute encore des exonérations sur les plus values en cas cession d'entreprise et l'exonération de droits de mutation en cas de cession à titre gratuit à un salarié. Les généreux donateurs sont rares, le salarié en question c'est Madame ou bien le fils ou la fille du patron à qui « on » a fait un bulletin de salaire. Belle manière de détourner la fiscalité sur les héritages au profit d'une minorité de citoyens : lorsque le logement est intégré dans l'entreprise l'héritier du commerçant sera dispensé de droits de mutation, par contre les héritiers d'un salarié propriétaire de sa maison devront continuer à payer.

Et comme si tout cela ne suffisait pas, la majorité parlementaire diminue l'impôt sur les grandes fortunes.

Evidemment il faut bien compenser : alors on augmente les taxes payées par tous les français modestes et on sabre dans les budgets sociaux. Diminution des crédits de l'Apa, suppression du remboursement des soins des étrangers, remise en cause du Rmi, baisse des indemnités Assedic…

Création des « faux travailleurs » indépendants :

Mais c'est le titre II du projet qui est le plus dangereux.

Alain Madelin était, du temps du Gouvernement Juppé, à l'origine d'une loi qui prévoyait la présomption de travailleur indépendant pour toute personne inscrite au registre des métiers ou du commerce. Ce texte permettait de priver n'importe quel travailleur de ses droits sociaux, ceux du code du travail, ceux de la sécurité Sociale, ceux de la convention collective et notamment de le priver du Smic et des barèmes de salaires des accords collectifs. C'est ainsi que s'étaient multipliés les prétendus artisans du bâtiment qui, travaillant pour un seul donneur d'ordre, étaient en fait des salariés privés de leurs droits. La loi Madelin a été abrogée par la deuxième loi Aubry.

Il faut croire que le Medef et son gouvernement ont de la suite dans les idées car le projet Dutreil récidive avec cette funeste invention que vous appelez "contrat d'accompagnement".

De quoi s'agit-il ?

Pour bien comprendre, le plus simple est de prendre un exemple chez Bouygues ou bien chez l'ex Générale des eaux aujourd'hui Vinci ou encore chez Dumez-la Lyonnaise des eaux, les trois majors qui font la pluie et le beau temps dans le Bâtiment. Ces trois multinationales possèdent de nombreuses filiales dans le bâtiment et les travaux publics qui raflent la grande majorité des marchés. Ces filiales ont de moins en moins de salariés, elles sous-traitent de plus en plus à des entreprises de moindre importance qui elles même sous traitent souvent à d'autres encore plus petits. Chaque intermédiaire évidemment prélève sa dîme au passage, la plus grosse part étant réservée aux majors. En bout de course le prix est devenu tout petit et on trouve une entreprise artisanale qui a le plus grand mal à respecter les lois sociales, à payer de bons salaires, à respecter les barèmes des conventions collectives tout en assurant la sécurité des travailleurs et qui s'en sort souvent en utilisant des travailleurs clandestins. Au passage on admirera la rationalité de cette organisation mise en place par les donneurs de leçon de modernité.

Dans ce système, les lois ne sont pas respectées, et il y a l'interdiction du prêt de main d'œuvre à but lucratif, il y a l'interdiction du marchandage. Il y a aussi l'inspection de travail qui vient y mettre son grain de sel, des salariés qui réclament, des syndicats qui contestent, la lutte officielle contre le travail clandestin, des tribunaux qui en cas d'accident du travail recherchent la responsabilité des donneurs d'ordres. En bref il y a des risques pour les organisateurs. Et puis tout cela freine le développement de cette cascade qui pourrait rapporter encore plus gros dans le bâtiment mais aussi dans d'autres branches d'activité.

Alors il faut pour le patronat changer la loi, légaliser les pratiques patronales. D'où la loi Madelin, d'où le présent projet du gouvernement qui va encore plus loin en mettant en place, avec le « contrat d'accompagnement », un dispositif machiavélique destiné à faciliter les choses aux grandes entreprises et à attirer les salariés dans un miroir aux alouettes.

Supposons l'entreprise X sous traitant de deuxième ou de troisième rang qui s'adresse à l'un de ses ouvriers, comme dans la fable le renard s'adressait au corbeau : " Je sais que ta condition d'ouvrier salarié n'est pas toujours très drôle, tu es dépendant, tu manques de liberté, tu n'es pas toujours très bien payé. Je suis avec toi, je te propose de devenir mon égal, de devenir patron. Ce n'est pas une blague. Nous allons conclure un « contrat d'accompagnement » prévu par le Gouvernement de ce bon M Raffarin. Tu crées une entreprise, tu t'inscris à la chambre des métiers, ne t'en fais pas je m'occupe de toutes les formalités. Pendant un, deux ou trois ans je te passe tout le matériel nécessaire, la camionnette, l'échafaudage et la bétonnière, je gère ta comptabilité. Je pourrai dès maintenant te vendre tout cela à un prix d'ami et tu paieras progressivement, comme tu pourras. Mais tu pourras tout aussi bien ne posséder que ta caisse à outils, pour le reste on s'arrangera. Pendant la première année tu resteras en même temps salarié à temps partiel chez moi et donc tu n'auras aucune charge à payer. En plus tu n'as vraiment aucun souci à te faire, d'abord si tu prends un crédit ou que tu doives louer un petit local, ou si un client te cherche des ennuis, c'est moi qui paye en cas de difficultés et ce, pendant toute la durée du contrat. Et puis si ça ne marche pas tu pourras toujours revenir travailler chez moi. Alors marché conclu ?"

On comprend bien que dans un premier temps tout marchera comme sur des roulettes. Notre travailleur se sentira pousser des ailes. C'est après que les ennuis commencent. Pour être libre, il est libre : libre de travailler 60 heures par semaine, libre de rester à la maison sans salaire lorsque M. X ne lui passe pas de marché, libre d'accepter ou de refuser les prix imposés par le même M. X, libre de ne pas respecter les règles de sécurité. Fini les contraintes du code du travail. Enfin les joies de la liberté !

C'est tout ce processus qui est organisé par le titre II du projet de loi.

Grossièrement la manœuvre consiste à baptiser « juridiquement indépendant » un travailleur qui reste au sens économique et social un salarié parce qu'il ne possède pas ou si peu ses moyens de production ou sa clientèle.

Après avoir obtenu, depuis 20 ans, des exonérations massives de cotisations sociales, ce qui a permis de faire passer de la poche des salariés à celle des patrons une part croissante des richesses créées par le travail, le Medef veut faire baisser le salaire directement perçu par les travailleurs.

Comme il est difficile de casser les garanties collectives contenues dans le code du travail et les conventions collectives, la technique choisie est de priver le maximum de personnes de ces garanties : ce qui existerait pour les ouvriers du bâtiment est bien entendu transposable à d'autres secteurs d'activité, on imagine en particulier facilement la suppression des garanties pour des transporteurs, pour des informaticiens payés à la mission, pour des vendeuses appelées gérantes, pour des cuisiniers prestataires de services, des entrepreneurs de mise en rayon dans les supermarchés, (il y a quelques années le magasin Carrefour de Toulouse avait ainsi baptisé entrepreneur, le manœuvre chargé de ranger les caddies sur le parking)...

De plus la privation des droits du code du travail serait un formidable accélérateur de la flexibilité et de la précarité : finis les quelques freins qui existent encore dans la législation, le pseudo-indépendant vient quand on lui demande, s'en va quand on le chasse. Cela ajoute à la disparition de toute règle concernant la durée du travail nous aurions une cause supplémentaire de mise en chômage, deux pseudos-indépendants à 70 heures faisant le travail de deux salariés protégés par le code du travail on aurait mécaniquement un travailleur de trop.

Le risque de la fausse sous-traitance est tellement évident que le texte prend la précaution avec le projet d'article 127-5 du code du commerce de préciser que le contrat d'accompagnement ne devra pas enfreindre les dispositions du code du travail qui interdisent le prêt de main d'œuvre à but lucratif ou le marchandage. Précaution de style illusoire quand, ailleurs, à l'article L 127-3, la fourniture des moyens par l'entreprise principale n'emporte pas présomption d'un contrat de travail : cet article 127-3 casse le critère essentiel dégagé par la jurisprudence pour caractériser justement la fausse sous-traitance. De plus les actions en requalification resteront pour de nombreuses raisons aussi marginales, difficiles et aléatoires que celles engagées contre les abus de l'emploi intérimaire. Cet article 127-3 est la preuve que la recherche de la surexploitation des travailleurs par l'essaimage n'est pas un risque de dérive du texte Dutreil mais qu'il s'agit bien de l'objectif poursuivi par le gouvernement.

Contre cela, il faut faire notamment des propositions réglementant la sous-traitance, c'est ce que fait, entre autre, la contribution Nps. :

Contre le salariat de seconde zone

L'éclatement du salariat, l'apparition d'un salariat de seconde zone sans aucun droit à la représentation, sont parmi les causes majeures du 21 avril. Les socialistes doivent y apporter des réponses conquérantes : réglementer la sous-traitance en faisant que le donneur d'ordre soit responsable de ce qui se passe sous ses ordres et en alignant les sous-traitants sur la convention collective du donneur d'ordre ; donner des droits nouveaux aux CHSCT et en sanctionnant les fautes inexcusables ; assurer la réalité de l'égalité professionnelle homme/femme par des pénalités effectives et lourdes ; adopter un dispositif similaire pour les discriminations à l'embauche et au travail. L'ensemble de ces mesures exige le recrutement d'inspecteurs du travail en nombre suffisant, ce qui suppose un plan volontaire de rattrapage pour doubler au minimum les effectifs. Il n'y a pas de raison de considérer qu'un grand pays comme le nôtre peut se passer d'une modernité sociale indispensable. Nous l'avons souvent revendiqué, mais difficilement réalisé.

Le projet Dutreil porte une atteinte excessive aux droits des travailleurs, au droit à l'emploi, il crée deux catégories de salariés, ceux qui ont droit au code du travail et les autres qui en seront privés, l'égalité entre les citoyens n'est pas respectée, les travailleurs se voient privés du droit à négocier leurs conditions de travail par l'intermédiaire de leurs délégués et une concurrence déloyale est organisée entre les actuels artisans qui paient leur cotisations et les pseudos indépendants qui dans le cadre du « contrat d'accompagnement » en seront dispensés.

Merci à Sylvian Chicote pour son travail auquel nous faisons de nombreux et longs emprunts. GF

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