GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Comment ne pas rater une victoire à portée de la main?

Depuis 4 ans, la direction du Parti socialiste évite de répondre au défi qui lui est posé. Depuis le 21 Avril, aucun et aucune socialiste n'a le droit d'ignorer que, si la gauche ne se redresse pas après l'avertissement reçu, elle court à sa perte.

Le chemin de la chute est connu.

C'est d'abord Thatcher, dont nous avons découvert un avant-goût avec les gouvernements Raffarin et Villepin et que nous connaîtrons, dans toute sa dureté, avec Sarkozy.

Si Sarkozy l'emporte en 2007, ce sera une victoire de la droite, sans retenue, sans la retenue dont elle a dû faire preuve jusqu'à maintenant en France, parce qu'elle s'est heurtée à une riposte croissante, comme elle vient encore de l'expérimenter avec la tentative d'imposer le CPE. Mais une défaite électorale de la gauche, sans alternance, cette fois-ci, annoncera de prochaines défaites sociales et le renversement du rapport de forces social qui, jusqu'alors, sauvait à chaque fois la gauche. Sarkozy et Parisot (UMP Medef) c'est le démantèlement complet de tout le code du travail, c'est le retour au contrat de gré à gré du XIX° siècle. Ce n'est plus les droits universels, ni la loi du suffrage universel, ni même les conventions et contrats collectifs. C'est la transformation de la Ve République en Etat corporatiste et communautariste, c'est la privatisation de pans entiers de l'Etat, conformément à la volonté de Parisot et au projet de Sarkozy.

Mais ce renversement à la Thatcher ne sera que le prélude à la colonisation de la direction du Parti socialiste par la droite elle-même, par les émules de Blair-Prodi-Bayrou, auxquels les dirigeants socialistes démoralisés et usés par les défaites successives laisseront la place. Depuis 1971, la stratégie d'unité de la gauche est notre référence même si, depuis 4 ans, elle est restée lettre morte pour François Hollande. Mais, avec un Blair, elle sera réellement supprimée et remplacée par la soumission à une fraction de la droite, appelée « centre gauche » pour la circonstance : une défaite en 2007 annoncera un hold up sur le Parti socialiste. Tout le monde peut comprendre que le sauvetage du PS et de toute la gauche en sera plus difficile. Toute la gauche sera à reconstruire et, contrairement aux espoirs coupables de quelques-uns, à la gauche de la gauche, ce n'est pas l'extrême gauche qui bénéficiera de cette défaite, pas plus qu'en Grande-Bretagne. L'extrême droite, qui possède en France, à la différence de la Grande-Bretagne, une implantation préalable en sera, elle, renforcée.

Il faut comprendre les processus à l'œuvre

La droite n'a jamais abandonné sa conviction d'être le « lieu naturel » du pouvoir. Pour elle, la gauche est toujours une usurpatrice. Mais elle a su s'adapter aux conditions que lui impose la république démocratique et la majorité de gauche qui existe au sein de l'électorat.

Elle sait qu'elle ne peut pas gagner en annonçant son programme. Elle sait qu'elle ne doit pas dire « je vais augmenter la précarité et le chômage, je vais détruire le code du travail, je vais étendre le CNE aux entreprises de plus de 20 salariés, je vais détourner de son rôle l'inspection du travail, je vais réduire à nouveau de 10 points la part des salaires dans la valeur ajoutée pour l'amener à 50 / 50 avec les profits, je vais réduire de 75 à 50 % le taux de remplacement du dernier salaire pour les retraités, je vais poursuivre le désengagement financier de l'Etat aux dépens des collectivités territoriales, je vais accroître l'injustice fiscale, je vais constitutionnaliser le libéralisme ».

Mais alors, comment fait-elle ? Rendre séduisant-e le ou la candidat-e ne peut pas suffire dans une élection politique où il faudrait convaincre par son programme... Alors toute la tactique de la droite consiste à dépolitiser le vote et la campagne préparatoire. Comme le dit Patrick Le Lay, il faut rendre les cerveaux humains disponibles au message choisi, c'est-à-dire indisponibles aux messages politiques, il faut occuper, polariser l'attention par les jeux du cirque, par la « politique spectacle ». Il faut capter l'attention par le jeu des « petites phrases », pour que celui ou celle qui s'entêterait à parler de mesures politiques concrètes apparaisse comme ennuyeux ou ennuyeuse ou « prise de tête ». Il faut aborder les questions politiques de façon légère : accrocher les électeurs par la dénonciation de ce qui les mécontente mais, surtout, ne pas donner de solution précise qui engagerait un débat politique.

Le candidat doit indiquer une piste mais de façon générale, pour pouvoir se désengager en cas de fausse manœuvre, et de façon assurée pour donner aux électeurs confiance dans sa compétence et la solution qu'il décidera, lui, le moment venu. Il peut dénoncer le « carcan » des 35 heures ou de la carte scolaire, sans proposer leur suppression (ce serait un boomerang) mais un vague assouplissement. Le modèle le plus osé est celui de Chirac lors de la campagne présidentielle de 1995 : dénoncer la fracture sociale, sans s'engager, tout en laissant entendre... pour que tout le monde y trouve son compte. L'omission est un mode de campagne.

Un piège mortel pour la gauche

Bush a gagné sa seconde élection parce qu'il s'est contenté de défendre ses valeurs et ne s'est pas heurté à un candidat de gauche qui mette en avant les intérêts sociaux de la grande majorité, alors que l'identification de Kerry était moins claire. Il s'est fait reconnaître par ce qui identifie son camp mais il s'est bien gardé d'expliquer que sa politique s'attaque aux intérêts des salariés qui constituent, néanmoins, la très grande majorité de ses électeurs.

Une campagne dépolitisée privilégie le choix du candidat sur le choix du programme. Une campagne dépolitisée est une campagne de droite, qui profite à la droite. Le candidat de gauche qui, honnêtement, se laisserait piéger en acceptant de jouer ce jeu, en s'abstenant de politiser la campagne, qui se contenterait de présenter un projet général au lieu d'un programme concret, serait irrémédiablement battu par le candidat de droite. Non parce qu'il serait moins adroit que son adversaire à ce petit jeu, mais parce qu'il échouerait à mobiliser son électorat, alors que les électeurs de droite seraient satisfaits par la campagne de leur candidat.

Si la campagne interne au Parti socialiste pour désigner notre candidat se déroule selon ce modèle (comme jusqu'à maintenant, avec le large soutien des médias), le ou la candidat-e à la candidature qui sera choisi-e dans ces conditions, pensera logiquement qu'il ou elle devra tenir le même profil de campagne pour l'emporter dans la campagne présidentielle publique, face à Sarkozy. Mais notre candidat-e ne convaincrait pas, pour autant, les électeurs et électrices de droite et perdrait les voix de tant d'électeurs et électrices de gauche qu'il ou elle perdrait l'élection, au second tour ou, même, par une répétition du 21 Avril.

Construire une campagne pour gagner

C'est l'abstention de gauche qui fait perdre la gauche, c'est la mobilisation de ses électeurs et électrices qui la fait gagner. Une campagne de gauche se construit autour de mesures sociales qui redonnent confiance en la politique aux électeurs de gauche. Il faut un programme complet de mesures concrètes, comme les 110 propositions de François Mitterrand. Dans leur ensemble, les électeurs n'en retiendront que la ou les 2 mesures phares qui marquent la campagne parce qu'elles sont vitales pour la grande majorité. Puis, chaque électeur en retiendra ne plus la ou les 2 mesures qui le concernent directement.

Ce n'est pas un projet insipide qui peut accrocher l'attention des électeurs. Lionel Jospin a perdu en 2002 non en raison de son bilan, qui était mitigé, la loi des 35 h étant tout de même une mesure historique, mais parce qu'il n'avançait aucune mesure phare et unificatrice, à la différence de 1997 où les 35 h et les emplois jeunes identifiaient sa campagne.

Pour la gauche, la campagne se gagnera en répondant concrètement aux questions sociales qui sont vitales pour les salariés, les chômeurs, les femmes, les jeunes, les retraités. Ce n'est pas ce qui est débattu aujourd'hui dans la gauche.

Parmi les candidats possibles du PS, seul Laurent Fabius, logique avec son choix du « non » le 29 Mai, met en avant 7 propositions. Pourtant, il ne perce pas : ses 7 propositions ont le mérite d'exister, mais n'accrochent pas suffisamment. N'émergent que les 100 euro d'augmentation immédiate du Smic et le référendum (pour le droit de vote des résidents étrangers, le mandat parlementaire unique et la parité gouvernementale). Mais les « 100 euro », principale mesure sociale, ne sont pas assez unificateurs pour devenir la mesure phare, ils ne concernent pas vraiment tous les salariés. Laurent Fabius est encore dans l'hésitation et son « identité» n'est pas assez marquée pour qu'il soit perçu comme très différent des autres candidats socialistes possibles. C'est encore la campagne dépolitisée qui domine dans le PS.

Le problème à résoudre

Si les positionnements en restaient là, Ségolène Royal continuerait à bénéficier du soutien des médias, parce qu'elle se conforme le mieux à la campagne dépolitisée qu'espère la droite. Elle serait donc vraisemblablement plébiscitée dans un Parti socialiste dépolitisé. Si tous les candidats à la candidature en restaient-là, ce serait, pour la gauche, l'assurance de perdre ensuite l'élection publique.

Au vu de sa prise de position courageuse et victorieuse pour le « non », Laurent Fabius est le mieux placé des candidats socialistes possibles pour être cohérent avec cette option de l'Europe sociale, pour repolitiser la campagne interne et, logiquement, ensuite, la campagne publique. Si c'est le choix qu'il fait de nouveau, la victoire sera assurée pour la gauche. Il répondra ainsi à deux attentes des électeurs de gauche : celle de ne pas reproduire le 21 Avril et celle d'un débouché politique à gauche après la victoire contre le CPE.

La solution réside dans les mesures phares dont L. Fabius voudra bien s'emparer : 35 h, secteur public... A suivre.

15 septembre 2006,

Pierre Ruscassie

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