GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Au Parti socialiste

Cendrillon, citrouille, carottes râpées... suite

Alors que le gouvernement Raffarin aligne les lois antisociales les unes après les autres, un candidat à la candidature socialiste à l'élection présidentielle de 2007, Laurent Fabius, a choisi de faire sa rentrée politique à l'automne dernier autour d'un livre dans lequel il indique aimer regarder Star Academy. Beaucoup de bruit pour rien ? Rien n'est moins sûr !

Et, si nous voulons bien mettre de côté les traditionnels commentaires, qu'au demeurant je partage, sur la tristesse de la télé actuelle, le déclin de sa fonction didactique, cette situation est révélatrice de l'état de notre société et du rapport que certains responsables socialistes essaient d'entretenir avec elle.

Star Academy est le conte de fées des temps modernes, ceux de la société libérale. Star Academy est Cendrillon revisitée, laïcisée. Cendrillon, la belle et brave petite paysanne injustement exploitée par sa belle-mère acariâtre, devenant une princesse par la magie de sa marraine, la bonne fée, qui lui fabriquera un carrosse à la place d'une citrouille. Cendrillon incarnait l'idéal de l'ascenseur social compatible avec les valeurs d'une société féodale et patriarcale, celui de la métamorphose en princesse d'une souillon issue des classes populaires. Cette transformation impossible « naturellement » dans une société commandée par le principe monarchique et aristocratique ne pouvait intervenir que grâce au merveilleux, à la magie représentée par la divinité surnaturelle de la fée. Cette intervention de la fée sacralisant la prédestination, l'élection au sens religieux de son acception, évitait de poser la question du bien fondé du maintien de toutes les autres Cendrillon dans leur condition de domestiques serviles. Enfin, la destinée de Cendrillon s'accomplissait dans un royal mariage prélude à une fécondité assumée pour l'ultime métamorphose : celle de l'épouse et de la mère modèle.

Aujourd'hui Cendrillon ne peut plus fonder une morale de domination de la bourgeoisie sur les classes populaires. La monarchie appartient à un passé révolu et l'irruption massive des femmes sur le marché du travail ainsi que les luttes féministes ont sérieusement ébranlé l'idéal de la mère au foyer soumise à la puissance masculine. Dans une société dominée par le principe démocratique et promouvant en théorie l'égalité des chances, il faut une autre morale. Une autre morale inchangée dans sa fonction - faire accepter l'inégalité sociale consubstantielle à la société capitaliste - mais nouvelle dans ses formes apparentes. Comme l'indiquait Lukacs : « Les déterminations réflexives des formes fétichistes d'objectivité ont justement pour fonction de faire apparaître les phénomènes de la société capitaliste comme des essences supra-historiques ». Pour que cela fonctionne encore faut-il que ces phénomènes apparaissent comme justes. Comme la société capitaliste est essentiellement inégalitaire, sa légitimité ne peut s'exercer sans la correction de ses apories dont la non-résolution risque de faire vaciller l'ensemble du système. En d'autres termes, la société capitaliste est une cocotte minute qui a besoin périodiquement de relâcher de la vapeur au risque sinon d'exploser.

(...) Star Academy remplit cette nouvelle fonction en l'adaptant aux aspirations démocratiques et égalitaires de nos sociétés modernes. Les millions de téléspectateurs remplissent désormais par la somme de leurs votes individuels le rôle de la bonne fée tout en faisant au passage la bonne fortune des opérateurs de téléphone et des chaînes de télé. En accord avec la morale officielle de l'égalité des sexes, garçons et filles peuvent s'affronter indifféremment dans l'émission qui verra le lauréat ou la lauréate accéder à une très grande notoriété et à une très confortable aisance matérielle (un chèque de 1 million d'euros).

Pour toutes ces raisons la « confession » apparemment anodine et innocente de Laurent Fabius est lourde de sens pour un dirigeant socialiste aspirant aux plus hautes fonctions. Laurent Fabius renonce ainsi à incarner le meilleur de la tradition socialiste, à savoir la révolte contre un ordre socialement injuste. En effet, cette révolte ne peut passer que par un travail constant de dénaturalisation de ces « déterminations réflexives des formes fétichistes d'objectivité », à savoir combattre et dévoiler ce que Marx appelait la « fausse conscience ».

Ce combat doit se mener sans mépris contre celles et ceux qui, dans le salariat, sont « victimes » de ces déterminations. (...) Cette émancipation nécessite que la gauche s'atèle à l'élaboration d'une morale et à la rédaction d'un programme politique en rupture avec l'idéologie et les politiques dominantes qu'elles soient libérales ou sociales-libérales. Telle devrait être la tâche que devrait s'assigner tout responsable socialiste qui aspire à être autre chose qu'un commentateur mondain et inconséquent au service des puissants de ce monde.

(...) Le peuple se fiche pas mal de ce que les dirigeants socialistes regardent les mêmes émissions télés si dans le même temps ces mêmes socialistes ne sont pas à la pointe du combat contre la hausse de la durée et du montant des cotisations de retraite et de la baisse des pensions, contre la hausse du chômage et des inégalités, contre la baisse du pouvoir d'achat (dont celui des carottes à râper), contre la remise en cause de la sécurité sociale. De même que le peuple se moque complètement que, comme Dominique Strauss-Kahn, vous ne vous coupiez pas en vous rasant, pas plus qu'il n'aspire à un énième retour de Lionel Jospin. Le peuple a bien raison. Malheureusement, à cette étape, il est à craindre qu'avec Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn ou le fantôme de Lionel Jospin, les carottes ne soient pas seulement râpées mais aussi cuites.

Pascal Cherki, maire-adjoint à Paris.

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