GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur

Ce n'est pas la droite qui a gagné, c'est la gauche qui a perdu, le 6 mai

La gauche n'avait jamais disposé d'une situation aussi favorable qu'en 2007 pour gagner l'élection présidentielle : les mobilisations de 2003, 2004, 2005, 2006 ont confirmé le rejet majoritaire de la politique de la droite et ont ouvert un boulevard électoral à la gauche.

Celui-ci venait consolider l'avantage initial dont bénéficient les candidatures de la gauche (7 des 12 candidatures du 22 avril) en raison de la majorité de gauche (59 % !) qui existe parmi les deux tiers des électeurs qui s'identifient comme étant "de gauche" ou "de droite" (sondage de la Sofres portant sur un échantillon représentatif de 2148 électeurs rapporté dans " La démocratie à l'épreuve", presses de Sciences Po).

Des erreurs accumulées sur plusieurs années mais rattrapables jusqu'à la veille du 6 mai

Contre ce rapport de forces, la droite ne pouvait pas grand-chose, sauf à bénéficier des erreurs des dirigeants de la gauche. Et celles-ci furent nombreuses :

  • la parenthèse ouverte en 1983 (le tournant monétariste, social-libéral, couronné par l'indépendance de la banque centrale) n'avait pas été refermée ; mais il est toujours temps de le faire ;
  • les leçons du 21 avril 2002 n'ont pas été tirées : les 5 années écoulées auraient dû être mises à profit pour élaborer un programme socialiste, l'amender, l'adopter en congrès et le proposer aux autres forces de gauche pour que, à l'issue d'un débat public, la gauche puisse disposer d'un programme et, même, d'un candidat commun ;
  • le fossé qui, le 29 mai 2005, séparait les dirigeants socialistes qui étaient pour le "oui", des 75 % de l'électorat de gauche qui ont voté "non", n'a pas été comblé : le renouvellement de la direction socialiste est encore nécessaire ;
  • les "collectifs du 29 Mai" se maintenaient au delà de leur fonction, pour présenter une candidature à la présidentielle : ils se coupaient ainsi de 59 % de l'électorat socialiste qui avait voté "non", la division de la gauche, ainsi ossifiée, rendait impossible tout candidat commun ; mais la victoire de la gauche restait encore possible ;
  • la synthèse générale du congrès socialiste du Mans en novembre 2005 signait l'abandon, par une partie des responsables socialistes partisans du "non", de la bataille pour un programme socialiste qui réponde aux attentes des électeurs de gauche ;
  • l'adoption très majoritaire, en juin 2006, d'un projet socialiste insipide "qui n'est pas un programme", inversait le calendrier : le choix du programme serait à la merci du candidat désigné, qui pourrait nouer un "dialogue direct avec le peuple" conforme au caractère bonapartiste de la Ve République ;
  • le choix, en novembre 2006, entre trois candidatures portant ce "projet socialiste" devenait un plébiscite, sans programme, pour une candidature qui, présentée par le parti majoritaire à gauche, allait être la seule candidature "de second tour" possible pour la gauche ;
  • Rendue plus difficile par tous ces abandons, la victoire de la gauche restait encore possible. En novembre et décembre, les intentions de vote pour le second tour donnaient 53 % pour Ségolène Royal et 47 % pour Nicolas Sarkozy : les électeurs de gauche étaient encore très motivés pour battre Sarkozy (sondage CSA du 22 novembre).

    Que s'est-il alors passé ?

    Venant d'être désignée comme candidate, Ségolène Royal a dû faire campagne, durant plus de deux mois, sans posséder de programme concret et en étant épinglée par tous les médias au moindre impair. Le doute ainsi créé dans l'électorat de gauche se traduisit, entre fin novembre 2006 et fin janvier 2007, par une chute dans les intentions de votes de 35 % à 27 % (sondages BVA). Par compensation automatique, ses adversaires bénéficièrent de ce "trou d'air", Nicolas Sarkozy passa de 32 % à 34 % et François Bayrou de 8 à 11 %.

    Cette variation fut alors utilisée par les grands médias privés pour prophétiser une progression irrésistible de Bayrou. Il était alors annoncé comme battant Sarkozy avec certitude s'il accédait au second tour. Alors que les projections du second tour qui donnaient la victoire à Ségolène Royal selon un rapport 51/49, s'inversaient fin janvier en un 48/52 favorable à Sarkozy. Pour une partie non négligeable d'électeurs de gauche, le vote "utile" pour battre Sarkozy devenait, à tort, le vote Bayrou.

    Le 11 février, avec sa réaction à l'annonce de licenciements à EADS et la présentation d'un programme de gouvernement à Villepinte, le "pacte présidentiel", Ségolène Royal bénéficia d'une remontée à 29 % (selon BVA) qui ne dura qu'une semaine.

    Ce programme n'était pas suffisamment offensif sur les questions de précarité, de chômage et de pouvoir d'achat qui constituaient les trois thèmes clés (loin devant les autres) pour l'électorat de gauche.

    Désormais bénéficiaire du vote "utile" contre Sarkozy, Bayrou continua de monter dans les sondages, jusqu'à 21 %, aux dépens de Royal mais aussi de Sarkozy qui, à la fin mars, descendit à 28 % non loin de Ségolène. Désormais, Bayrou fut oublié par les médias et commença à se tasser, laissant un léger bénéfice à Sarkozy et à Ségolène Royal.

    Jusqu'au lendemain du premier tour du 22 avril, les projections du second tour annonçaient un rapport de 48/52 défavorable à Ségolène Royal.

    Les résultats de ce premier tour montraient que ce handicap était surmontable : 31 % pour Sarkozy, 26 % pour Royal, 18,5 % pour Bayrou, 10,5 % pour Le Pen, 10 % pour la gauche de la gauche, 2,5 % pour de Villiers et 1,5 % pour CPNT. Avec l'appel de tous les candidats de gauche à battre Sarkozy, le potentiel immédiat de Ségolène Royal se montait à 36 % (26 + 10) et celui de Nicolas Sarkozy à 33,5 % (31 + 2,5).

    Restait le partage des voix obtenues par CPNT, Le Pen et Bayrou,. En effet, aux voix de gauche qui, par colère ou pour crier au secours, s'égarent au premier tour sur CPNT et le FN, il faut ajouter celles qui se sont égarées sur Bayrou au nom du vote "utile". Arithmétiquement, les reports possibles semblaient annoncer une égalité des scores, la victoire était encore possible.

    L'insuffisance de la mobilisation des électeurs de gauche s'est accentuée au second tour

    Selon les études réalisées par Ipsos après chaque tour de cette élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a mieux réussi à mobiliser les électeurs qui ne se considèrent ni de droite ni de gauche puisque les votants de cette catégorie se sont déterminés à 61 % pour lui et seulement à 39 % pour Ségolène Royal. Le solde qu'il réalise dans cette catégorie (qui constitue un tiers des électeurs et dont deux tiers ont voté, selon Ipsos), lui apporte 5 points de plus qu'à elle.

    Cet apport contribue à compenser le retard de 12 points qu'accuse l'électorat de droite sur celui de gauche.

    Deux autres catégories d'électeurs ont permis à Sarkozy de compenser ce retard : les tranches d'âge supérieur à 60 ans et la tranche 25-30 ans.

    Le porte-à-porte militant nous rappelle que les électeurs sont à l'écoute des propositions les plus sensibles pour leur vie quotidienne.

    Les 60-69 ans ont voté à 61 % pour Sarkozy et les plus de 70 ans à 68 %, alors qu'ils connaissent une légère majorité de gauche. Mais ils ont été sensibles à la promesse de Sarkozy de supprimer la taxation des héritages. Il n'y a pourtant qu'une petite minorité très riche à être concernée, mais cette réponse n'a pas été apportée lors du face-à-face.

    Les organismes de sondages (sauf la Sofres) notent que la tranche 25-30 ans a voté Royal à 44 % seulement, or cette tranche d'âge avait entre 20 et 25 ans lors du vote Chirac qui laissait croire que la droite pouvait être un rempart contre l'extrême droite, rôle que s'approprie Sarkozy. Il se peut que dans cette tranche d'âge la droite soit majoritaire, provisoirement parce que l'identification n'est pas définitivement ancrée à cet âge

    Pour gagner le 6 mai

    Pour gagner le 6 mai, il fallait retrouver les voix de gauche que la gauche n'avait pas su mobiliser au premier tour et ne rien perdre des voix qui, le 22 avril, s'étaient portées sur les 7 candidats de la gauche. Présenter des mesures concrètes, simples et motivantes pour résoudre les trois problèmes prioritaires aux yeux de l'électorat de gauche (précarité, chômage et pouvoir d'achat) répondait à ce double enjeu.

    Or, deux questions ont fait la différence: l'ouverture à droite (vers Bayrou que Ségolène Royal " ne s'interdisait pas " de prendre comme Premier ministre) et son incapacité à faire comprendre, lors du face-à-face, en quoi ou pourquoi ses propositions se distinguaient de celles de Sarkozy sur les 35 heures et les retraites, questions pour lesquelles il avait une argumentation rôdée.

    C'est pourquoi, entre les deux tours, Ségolène Royal a perdu des électeurs du premier tour qui auraient dû lui être acquis et se sont abstenus : 2 points parmi les 10 % de la gauche de la gauche et 1,3 de ses 26 %, selon Ipsos. C'est pourquoi 8 des 18,5 % de Bayrou ont voté Sarkozy au second tour au lieu du report de 5 points qu'annonçaient les sondages. On retrouve ainsi les 6 points qui ont séparé les résultats.

    Si elle a été meilleure sur la forme, en étant offensive et en abordant les questions comme elle l'entendait, il l'a emporté sur le fond : 50 % des téléspectateurs ont trouvé que Nicolas Sarkozy avait été le plus convaincant alors que seuls 30 % ont porté ce jugement en faveur de Ségolène Royal.

    Les téléspectateurs l'ont trouvé plus convaincant parce qu'ils ont compris ce qu'il disait à propos des questions économiques et sociales alors qu'ils n'ont pas compris ce qu'elle voulait dire. Il apportait des réponses politiques cohérentes avec sa dénonciation du caractère "anti-économique" d'un programme de gauche.

    Il a prétendu que le "partage du temps de travail" n'était pas une solution pour créer des emplois, sans avoir besoin d'expliquer pourquoi, puisque Ségolène Royal l'a approuvé en répondant que néanmoins les "35 h étaient un progrès social". Mais comme ce progrès social coûtait, selon Sarkozy, cher aux entreprises, il ne fallait pas aller plus loin dans le partage du temps de travail mais "travailler plus" sans qu'il ait besoin d'expliquer si ça créerait des emplois.

    Il a aussi prétendu que la "réforme Fillon" permettait de financer les régimes de retraite par répartition en nous faisant "travailler plus" (longtemps). Là encore, il n'a pas été contredit et Ségolène Royal n'a pas cherché à expliquer que cette "réforme" servait, au contraire, à réduire le montant des pensions pour donner une place aux assurances privées. Elle ne pouvait donc pas justifier qu'il faille l'abroger, elle s'est alors repliée sur sa remise à plat, mais pourquoi ? Alors que Sarkozy affirmait sa cohérence en estimant qu'il fallait la poursuivre et l'approfondir en supprimant les régimes spéciaux et leurs 37,5 annuités.

    La gauche se redressera en opposant un programme de gauche cohérent à la politique d'une droite décomplexée.

    Pierre Ruscassie

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