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Catastrophe sanitaire et libéralisme

Trois mille morts, un taux de mortalité d'environ 30 à 40 % supérieur à l'ordinaire. "Estimation minimale" dit-on. Il parait finalement que ce serait 5000. Plusieurs centaines sinon milliers, de vies humaines qui auraient pu être sauvées ne l'ont pas été. Une "véritable hécatombe", disent les urgentistes dés le 6 août. "Rien n'est fait pour les vieux qui meurent de chaud" se plaignait, le 8 août, sans être entendu le docteur Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers. "Aucun recensement statistique, aucun mot d'ordre général". Faute de réaction de la puissance publique à l'état exceptionnel de canicule couvrant la France, pour la troisième fois depuis juin, les cas d'hyperthermie ont connu une courbe exponentielle sans pouvoir être soignés comme il convenait : les patients arrivaient dans des hôpitaux surchauffés, sans lits disponibles et avec un personnel insuffisant.

Dans les hôpitaux parisiens notamment, tous les observateurs ont décrit les scènes d'apocalypse : des personnes âgées arrivant par dizaines puis par centaines, aux différentes urgences, dans un état de déshydratation avancée, ne pouvant être sérieusement pris en charge, pas de lits, les pauvres gens s'entassant à trois dans des box, par 40°, et mourant. Ils ont commencé par dire qu'il y avait une cinquantaine ou une centaine de morts en plus, avant d'en reconnaître de 1500 à 3000 et d'avouer que c'était une situation anormale due entièrement à la forte chaleur.

Même les pompes funèbres, les chambres mortuaires, étaient débordées. Les décès ont doublé entre le 4 et le 18 août par rapport à la même période l'an passé : + 60 % à Paris, + 48 % à Nice, + 46 % à Lyon, + 30 % à Marseille. Dans un pays comme la France, des corps sont restés jusqu'à trois jours dans des appartements surchauffés sans pouvoir être transportés, il a fallu dresser des tentes réfrigérées spéciales à Rungis, faire appel à l'armée, faire revenir des personnels pour le pont des 15-17 août. L'institut médico-légal de Paris surchargé avec 450 corps, a dû ouvrir une annexe avec 350 corps.

Le Monde a titré "La France en état de choc sanitaire" , l'agriculture est en mauvaise passe, l'activité économique est désorganisée, l'approvisionnement électrique est tendu, les centrales nucléaires sont menacées par la chaleur, les fleuves et les rivières sont au plus bas, et le gouvernement Raffarin a traité tout cela comme des problèmes naturels sur lesquels il y avait peu ou pas à agir et accusé l'opposition de polémiques stériles...

La canicule a commencé le 3 août, elle était annoncée par Météo France qui pronostiquait son ampleur : on va voir... "du jamais vu". C'était le troisième épisode cette année.

Les pompiers ont très tôt noté que leurs interventions se multipliaient à partir des 6 et 8 août, avec un nombre d'appels croissants dans Paris.

Le 10 août, la direction de la santé expliquait pourtant encore qu'il s'agissait de morts naturelles, alors que les médecins criaient "au scandale, à l'hécatombe", se plaignaient de n'être pas écoutés, ils se faisaient alors traiter de "menteurs".

Depuis le 6 août, la catastrophe était entière.

Entre le 6 et le 12 août, il y aurait eu une augmentation minima de 37 % de la mortalité.

Le Premier ministre n'a commencé à réagir que le 11 août. Raffarin a pris son temps avant de revenir de ses vacances à Combloux, le ministre de la santé, Mattei a pris son temps avant de revenir du Var. Mme Bachelot ne s'est pas inquiétée, tout allait bien jusqu'à ce que le scandale éclate malgré eux.

Ce n'est absolument pas surprenant, ce n'est pas un problème, de vacances, de temps de réaction technique, c'est une question d'idéologie, c'est un problème fondamental de choix de société. Ces gens-là veulent "moins d'état". Ils osent encore, jour après jour, dire qu'il faut moins d'impôt, moins de cotisations sociales. Ils ne veulent plus que ce soit le gouvernement qui réagisse aux questions sociales, non, ils veulent décentraliser-démanteler l'état. On est directement au cœur d'une question concrète découlant de leur vision profonde du monde, de l'ultra-libéralisme.

Ces gens-là pensent que c'est aux régions de réagir, pas au niveau national. Il existe, par exemple, un "institut national de veille sanitaire" pour anticiper sur de telles catastrophes : tardivement Raffarin lui a réclamé un "bilan"... "région par région". Ces gens-là veulent moins de dépenses de santé, diminuent le nombre de lits dans les hôpitaux, bloquent l'application de l'Apa (aide aux personnes âgées dépendantes), réduisent les moyens pour les maisons de retraite, déremboursent les médicaments dits "de confort".

Le 11 août, Mattéi explique encore qu'il "n'y a pas eu sous estimation. Pour sous estimer, il faut être avertis, or cette canicule n'était pas prévisible." (sic). Il proposait.. un "numéro vert" pour que les gens en difficulté, appellent ! Que voulez-vous, selon ce gouvernement, c'est au niveau décentralisé que tout doit être réglé. Comme si la canicule, cette fois, ne couvrait pas tout le territoire : hélas pour eux, il reste pourtant une météo hexagonale pour en rendre compte aux journaux télévisés de 20 h. Ils soulignent (sic) que "ce n'est pas le gouvernement qui est responsable des variations climatiques " : certes, mais il est comptable de leurs effets sociaux. Pourquoi n'avoir pas écouté les personnels des services d'urgence qui ont manifesté en juin ? pourquoi n'avoir pas entendu, lors des premières canicules de juin, les directeurs de maison de retraite qui ont manifesté devant le ministère de la santé ?

Raffarin a fait retomber cela sur le dos des gens qui "manqueraient de solidarité" qui "ne s'occuperaient pas de leur vieux" : pourtant les spécialistes disent que "la gériatrie française est très en retard". En Europe, les effets de la canicule ont été moins gravement ressentis. C'est plus facile de dénoncer les "égoïsmes" et les "individualismes"que d'améliorer les services de prévention et d'urgence. Comme celui des hôpitaux, le personnel de soin est insuffisant, 60 % des personnes de 65 ans sont seules, seulement 22 % de celles de 85 à 89 ans sont en couple.

Le 12 août, la directrice de l'AP-HP, Rose-Marie Van Leberghe, célèbre technocrate surpayée, parle "d'adapter" les services d'accueil et de prise en charge... des franciliens.

Le 13 août seulement, le ministre de la santé reconnaît qu'il y a plus de morts que la normale... mais il n'hésite pas à mettre en cause "les 35 h mis en place par les socialistes dans les hôpitaux" (une fois encore, il s'agit en réalité d'un problème d'effectifs).

Le 14 août, le même Mattéi reconnaît une "véritable épidémie" et un "drame humain". Il est plus que temps, le chiffre global de morts serait de 5000, selon la presse du 17 août.

Ils décident de mesures d'urgence qui buteront... sur le week-end des15-17 août.

Leurs mesures buteront aussi sur les choix budgétaires qu'ils ont fait.

Mais ces "drames humains" reconnus, c'est-à-dire des centaines de morts, auraient pu être évités avec de la prévention, de la communication, des hôpitaux avec des urgences dignes de ce nom, des maisons de retraite capables de faire face, des climatisations, des personnels en plus grand nombre... Oui, mais difficile de mettre de la "clim" dans les hôpitaux lorsqu'on a tant de maladies nosocomiales (10 000 morts par an) et lorsque la légionellose progresse ! Là encore, on tombe sur un autre drame de santé publique : les célébrités qui en sont victimes, Lagardére, Jean-Marc Sylvestre, Guillaume Depardieu, ne sont visiblement pas encore parvenus à secouer les média et les pouvoirs publics sur cette autre grave catastrophe sanitaire.

Ce n'est pas Mattéi qui a écrit un livre en faveur de la privatisation de la Sécu et pour compresser les dépenses de santé qui est capable de faire face à une telle situation, pas plus que Chirac et Raffarin. Ils sont pour la liberté des gens de cotiser plus pour se soigner plus" (tout comme leur liberté de travailler plus, de prendre leur retraite plus tard, etc.).

Normal donc, qu'ils soient mis en accusation et au centre d'une polémique dont ils s'étonnent et se plaignent mais qui finalement est modérée, car c'est tout leur système de pensée politique qui est en cause.

Normal aussi que dans un cas comme cela, tout le monde se tourne vers l'état, vers la puissance et les services publics : rarement on n'a vu, dans les journaux, tant de titre inventoriant les carences et les manques de l'état face à ses obligations : hôpitaux, maison de retraite, personnels, centrales nucléaires, cours d'eau, sécheresse, agriculture...

Finalement, cela saute aux yeux, il faut des services publics forts, motivés, centralisés, déterminés, avec des moyens, des financements, des personnels. Et ceux qui n'en sont pas conscients peuvent être nombreux à le payer de leur vie, isolés, maltraités, âgés, après une courte retraite, un jour de canicule.

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