GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

C'est autour des motivations du « non » qu'on peut réunifier la gauche

Dans un texte intitulé « Volonté et vérité », distillé complaisamment à la presse (Le Monde du 21 juin 2005), François Hollande, Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang, Bertrand Delanoë, appellent à «dépasser le clivage entre les partisans du oui et du non».

Imaginons un seul instant que le «oui» l'ait emporté le 29 mai dernier et demandons-nous si ces mêmes bons apôtres appelleraient à dépasser ce clivage ou s'ils s'appuieraient sur la victoire du

« oui » pour imposer leur choix de société ?

Les sociaux-libéraux signataires du texte « Volonté et vérité » n'ont pas compris ce qui s'était réellement passé le 29 mai et que Raoul Marc Jennar énonce avec limpidité : « le référendum ne fut pas une parenthèse mais un tournant ».

le "non" du 29 mai n'est pas jetable, il est durable.

Dans les deux années qui viennent, la question de l'Europe - sociale ou libérale - sera présente dans tous les débats, dans tous les choix électoraux.

Loin d'être dépassé, ce clivage né au cours du réferendum, et qui induit toute une stratégie de construction de l'Europe va rester pertinent en France, dans la gauche, au Parti socialiste.

Dans l'Union européenne

Il ne faut pas manquer d'audace pour proposer de dépasser le clivage entre le « oui » et le « non » alors même que le 16 juin dernier, le Conseil de l'Europe se permettait de décider une pause dans la ratification du traité constitutionnel. Un cessez-le feu unilatéral en quelque sorte.

Les chefs d'Etat et de gouvernement ont décrété cette pause pour une seule et unique raison : ils savaient que si les ratifications continuaient sur la lancée de ses victoires française et néerlandaises, le « non » emporterait tout sur son passage. Un tsunami de “non” européen !

Qui peut croire un seul instant, en effet, que si le « oui » l'avait emporté en France et aux Pays-Bas, le Conseil européen aurait arrêté les ratifications ?

Les Danois, les Tchèques, les Polonais, les Irlandais, les Portugais qui devaient donner leur avis par voie référendaire n'auront donc pas le droit de le faire aux dates prévues.

Les parlements suédois et finlandais différeront également leurs votes de ratification : même le vote des parlements apparaît aujourd'hui trop risqué aux dirigeants européens !

Seuls, sans doute, le Luxembourg et l'Estonie maintiendront les ratifications du traité aux dates prévues : référendum pour le premier pays, vote parlementaire pour le second.

Et c'est au moment où les dirigeants européens musèlent leurs peuples en les empêchant de voter parce qu'ils savent qu'ils voteront « non » que Hollande et DSK appellent à dépasser le « clivage entre les partisans du oui et du non ». Quel incroyable manque de respect pour la démocratie et les peuples de cette Union européenne dont ils affirment pourtant être les champions !

En France

La décision du Conseil européen de décréter une pause d'un peu plus d'un an reporte au début de 2007 les décisions sur l'avenir de la Constitution européenne et de l'Union européenne.

Le débat sur la Constitution européenne et celui de l'élection présidentielle française vont donc se télescoper.

Appeler, dans ces conditions, à dépasser le clivage du « oui » et du « non », c'est renoncer à débattre de la démocratie et du modèle social que nous voulons pour l'Union européenne comme pour la France.

DSK et Hollande n'ont-ils rien appris du 29 mai dernier ?

N'ont-ils pas, au moins, appris qu'il n'était pas possible de séparer artificiellement la question européenne et la situation politique et sociale en France ? N'ont-ils pas compris que cette séparation serait d'autant moins possible que le Conseil européen, en reportant le débat sur la Constitution européenne au début 2007 avait, du même coup, “invité” l'Europe au débat présidentiel français ?

Mais peut-être estiment-ils qu'engager le débat avec la droite sur la sécurité serait le meilleur terrain pour gagner la présidentielle ? Car si la question sociale, en France et dans l'Union européenne, n'est pas le centre du débat, la droite fera comme en 2002 et nous imposera le débat sur son terrain. Sarkozy s'y emploie chaque jour davantage.

A gauche

70 % des électeurs de gauche se sont prononcés pour le « non ».

Estimer, dans ces conditions, qu'il serait possible de réaliser l'unité de la gauche en dépassant le « oui » et le « non » relève d'un irréalisme dangereux. Tous ceux qui ont fait la campagne du « non » ont pu constater, dans les réunions débats, lors des distributions de tracts sur les marchés, les immeubles ou sur la voie publique, le profond rejet du « oui » et des dirigeants politiques qui défendaient ce « oui ».

Vouloir dépasser le « oui » et le « non » alors que le « non » correspond à une aspiration en profondeur de 80 % des ouvriers, de 67 % des employés, de 64 % des salariés du public, de 65 % des salariés du privé serait condamner la gauche à se séparer en deux pôles. Un pôle social-démocrate et un pôle radical. Un boulevard serait alors ouvert à Sarkozy ou à toute autre candidat de droite.

L'unité de la gauche ne peut se faire qu'autour d'une réponse sans ambiguïté à la question du libéralisme en France et en Europe. Cette réponse passe par la prise en compte de la volonté clairement exprimée des électeurs de gauche le 29 mai et non par un dépassement du « oui » et du « non ». Le « oui » divise la gauche ». Seul le « non » permet son unité.

Au Parti Socialiste

Hollande, Strauss-Kahn et leurs amis affirment vouloir dépasser le « oui » et le « non ». Mais dans la pratique, ils font exactement l'inverse. Ils ont écarté du secrétariat du Parti socialiste ceux qui avaient fait campagne pour le « non ». Ils organisent un congrès de fermeture, anti-démocratique, pour permettre aux partisans du « oui » de faire main basse sur le Parti socialiste.

Quant au projet « Volonté et vérité » que Hollande et DSK concoctent pour le PS il ne dépasse en rien le « non » et le « oui ».

Ce projet commence certes, par affirmer que « notre devoir est de respecter le vote du 29 mai » mais ce n'est qu'une concession de pure forme à la victoire du « non ». Ce qu'ils proposent tournent résolument le dos au résultat sans ambiguïté du référendum.

Ils expliquent la victoire du « non » par la volonté de sanctionner Chirac et Raffarin. Mais croient-ils vraiment que ce sont Chirac et Raffarin qui ont été sanctionnés aux Pays-Bas ? Pensent-ils vraiment que ce sont les mêmes Chirac et Raffarin qui allaient être sanctionnés en République tchèque, au Danemark, en Pologne, en Irlande, au Portugal ? Confrontés à la réalité européenne, l'affirmation de Hollande et DSK n'a aucun sens. En France comme dans tous les pays européens, ce qui est rejeté par les peuples européens ce sont les deux faces d'une même médaille : les politiques libérales de leurs propres gouvernements comme celles de l'Union européenne.

Hollande et DSK ne voient la victoire du « non » que sous un aspect négatif : « Tout l'indique, notre société est travaillée par la peur ». Quel mépris, là encore, du peuple de gauche ! Quel mépris pour sa souffrance, ses craintes et sa détermination à dire «non ». Ce n'est pas la peur qui a gagné, c'est le courage ! Courage de dire « non » malgré la coalition de 90 % des médias et des appareils politiques, malgré les millions d'aides publiques versés aux partisans du « oui » ou dépensés par l'Union européenne pour promouvoir le traité constitutionnel !

Ils inventent un nouveau « ni-ni » : « ni accompagnement du social-libéralisme », « ni conservatisme de gauche ». Mais qu'est-ce que le « conservatisme de gauche » : la volonté de conserver son emploi, de ne pas accepter la précarisation sans cesse accrue de son travail, la dégradation continuelle de ses conditions de travail, de son salaire, de sa protection sociale, la défense de services publics contre les privatisations  ?

Ce qu'ils nous proposent, c'est une politique à droite de celle menée par Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Une politique qui, allait dans le bon sens, mais pas assez loin. Parce qu'elle n'avait pas su (malgré certaines avancées trop timides) répondre à l'urgence sociale, être encore plus volontariste, elle nous avait menés au désastre du 21 avril 2002.

A la gauche du Parti socialiste

La droite du Parti socialiste, les sociaux-libéraux, est en train de faire du camp du « oui » un camp retranché.

La gauche du Parti (Nouveau Monde, Nouveau Parti Socialiste, Forces Militantes) dont les positions étaient très proches au congrès de Dijon, doit donc affirmer l'existence de son propre camp.

L'affirmation de ce camp de la gauche du Parti socialiste permettra de créer une dynamique unitaire et de gagner ainsi à des positions anti-libérales des partisans du « non » que l'on n'avait pas pour habitude de considérer à la gauche du Parti socialiste. De gagner, aussi, ceux des partisans du « oui » qui croyaient sincèrement que la Constitution européenne pouvait être une protection contre le libéralisme. Car il y a des partisans du “oui” sincéres qui ont été entraînés dans un choix artificiel où on leur affirmait que “dire non c'était dire non à l'Europe et pas à la constitution” ! Bien sur que des “dés ont été pipés” et des militants abusés auxquels on a fait croire qu'on pouvait dire “oui” à la constitution Giscard sans dire “oui” à Chirac. Avec tous ceux-là, on peut et on doit discuter, progresser, franchement, il y a une autre façon, positive, progressiste, celle-là, de dépasser le clivage du referendum, c'est de nous réunifier autour du message majoritaire du peuple de gauche.

Jean-Jacques Chavigné

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