GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

Bolkestein sur mer : la guerre du “Rif”

Quelques réflexions sur le registre international français (RIF)

Le secteur maritime est par nature un des secteurs de l'économie les plus exposés à la concurrence internationale ; c'est aussi le plus anciennement confronté à ce que l'on nomme aujourd'hui la mondialisation, dont peut dire qu'elle est née en même temps que l'évolution technologique qui a permis l'explosion des capacités de fret maritime : aujourd'hui 90% des marchandises échangées dans le monde sont transportés par bateau.

La mondialisation n'est donc pas un phénomène récent dans le secteur maritime et c'est pourquoi dès les années 20 une grande partie des premières conventions de l'OIT concerne le secteur maritime, dans une période où la France, notamment grâce à Albert Thomas, est une puissance pionnière dans l'élaboration des normes internationales du travail.

Ces remarques liminaires pour dire que le projet de loi de création du RIF ne peut s'analyser sans une mise en perspective historique et sans tenir compte de certaines données propres au secteur maritime : ainsi l'argument selon lequel la création du RIF est la "bolkensteinisation" de la marine marchande française ne rend pas compte du fait que depuis des dizaines d'années les importateurs et exportateurs français de denrées en tout genre (matières premières, biens manufacturés, produits agricoles...) n'ont pas attendu une directive pour utiliser les services de salariés-marins embauchés dans les conditions sociales de leur pays d'origine.

Cette précaution n'enlève rien à la violence sociale de certaines dispositions du RIF, seulement celle ci existait déjà en grande partie sous d'autres formes.

Le projet actuel de RIF est issu d'une proposition de loi adoptée par le sénat le 11 décembre 2003 à partir des travaux du sénateur de Richemont qui avait été stoppée suite à une indignation générale y compris à droite, tant ce projet était dur (il ne comprenait par exemple pas de % minimal de français à bord, seuls étaient obligatoirement français le capitaine et le second ce qui ruinait la filière professionnelle maritime pour les Français et entraînait de facto la fermeture des 4 écoles nationales de la marine marchande ) ; après une médiation du président haut comité de la marine marchande, Bernard Scémama, une nouvelle proposition de loi a été rédigée, qui a été adoptée par l'assemblée nationale le 23 mars 2005. Cette " petite loi " attend donc son second passage au sénat.

Le RIF doit mettre fin dans les 2 ans qui viennent au pavillon des terres australes et antarctiques françaises (TAAF), dit Kerguelen ou FK crée par un décret du 20 mars 1987, annulé par le conseil d'Etat, et légalisé par une loi de 1996 (loi 96-151 du 26 janvier 1996).

Le pavillon TAAF était une subtilité juridique consistant à faire immatriculer les navires à Port aux Français aux îles Kerguelen pour faire en sorte que le droit du travail y soit régit par le Code du Travail de l'Outre Mer et non le Code du travail maritime applicable en France métropolitaine et dans les DOM TOM.

Il existe un statut encore plus obscur pour les navires immatriculés à Mata-Utu (Wallis et Futuna) mais là personne ne sait bien ce qui est applicable.

Le Code du travail de l'outre mer institué par une loi du 15 décembre 1952 étant une coquille vide rendue incontrôlable puisque d'une part l'inspection du travail maritime n'est pas compétente pour ce Code (les missions d'inspecteur du travail pour les TAAF sont officiellement confiée au chef de bureau des opérations maritimes et fluvio-maritimes de la direction des transports, de la mer, des ports et du littoral au ministère de l'Equipement à Paris) et que d'autre part le conseil de prud'hommes compétent est à Saint Denis de la Réunion (le CTOM impose la compétence du tribunal du travail du lieu de travail : aucune juridiction de l'ordre judiciaire n'étant implantée aux TAAF c'est La Réunion qui fait office).

En bref le pavillon TAAF ne reposait sur quasiment aucun texte et rien en ce qui concerne le droit du travail maritime. Par coutume les armateurs plaçaient sur les navire armés aux TAAF, 35% de français.

Le RIF prévoit un quota minimal de marins communautaires (et non exclusivement français car ce serait une discrimination interdite par le droit communautaire) fixé à 35% pour les navires aidés fiscalement (GIE fiscaux) et 25% pour les non aidés. Notons au passage qu'il y a donc un risque de concurrence à l'intérieur du quota par une main d'œuvre communautaire moins chère issue par exemple de Pologne ou de Lituanie.

Dans le RIF ce % est calculé non pas sur l'effectif des marins présents à bord du navire mais sur celui inscrit dans la " fiche d'effectif " du navire qui indique le nombre minimal de marin que les autorités maritimes exigent à bord du navire pour que celui ci puisse naviguer dans des conditions normales et qui est souvent dépassé dans la réalité, ce surplus ne sera donc pas pris en compte pour la détermination du % des marins communautaires.

Tous les marins, sur un navire battant pavillon TAAF, étaient soumis au même texte (le CTOM) ce qui n'est plus vrai avec le RIF.

En effet, et il s'agit probablement de l'aspect le plus choquant de ce nouveau texte, le RIF introduit la disparité des régimes juridiques applicables aux marins d'un même navire.

Le montage est simple : dans le RIF, le navire est immatriculé dans un port métropolitain c'est donc le le code du Travail maritime qui s'applique aux salariés embauchés par l'armateur ; en revanche, grâce à la possibilité introduite dans le texte d'avoir recours à de la main d'œuvre mise à disposition par des société de " manning " (ou " marchands d'hommes " pour être plus clair) installées à l'étranger, c'est le droit du travail de l'Etat d'installation de cette société de manning qui s'appliquera.

Dans ce sens on assiste bien à un phénomène du type " Bolkenstein " puisqu'on aura au sein de la même unité de travail, des salariés bien payés (en même temps que le RIF, la loi défiscalise les revenus des marins français au long cour), bien protégés socialement (les marins français gardent l'ENIM, la sécu des marins, le gouvernement prévoit en plus l'exonération totale des cotisations patronales pour le maritime), couvert par les lois sociales françaises et à côté d'eux des marins recrutés à l'étranger par des entreprises de manning, protégés uniquement par le filet des normes sociales maritimes internationales (conventions OIT).

Il faut ajouter que bien souvent les société de manning font payer des sommes colossales aux futurs marins pour les mettre à disposition d'un armateur ; le marins devant ainsi travailler plusieurs mois pour rembourser cet argent et commencer à gagner un revenu.

On assiste ainsi au croisement de deux tendances : une amélioration de la situation pour les marins français qui ne sont plus soumis au CT de l'Outre mer et la mise au niveau des minima internationaux pour les autres marins recrutés à l'étranger.

Les parlementaires qui ont porté ce texte disent qu'au moins à présent les marins non communautaires auront une protection sociale minimale ce qui n'existait pas avec le pavillon TAAF (c'est un bel aveu sur le but recherché avec le pavillon TAAF).

On peut également ajouter au sujet du manning que cette pratique correspond d'assez près à ce que nous appelons en France le délit de marchandage : il s'agit d'une simple mise à disposition de personnel, sans apport d'un savoir faire spécifique, ayant pour seul objet d'éluder l'application des lois sociales ou des conventions collectives françaises ce qui à l'évidence porte un préjudice aux salariés en question.

Ceci est d'autant plus saisissant que le Code du Travail maritime, qui rappelons le ne s'appliquera qu'aux français, protège le marin contre le manning et ses abus : Article 6 du Code du Travail maritime " Aucune opération de placement ne peut donner lieu au payement d'une rémunération quelconque de la part du marin. Toute infraction à cette disposition sera punie des peines portées à l'article 102 du livre 1er du cCode du Travail. "

Pour être objectif il faut reconnaître que le RIF introduit des garanties y compris pour les marins non protégés par le Code du travail maritime même si elles ne font que reprendre des engagements internationaux souscrits par la France

  • garantie des droit syndicaux et interdiction de remplacer les marins grévistes ;
  • rapatriement du marin étranger (convention OIT 166) aux frais de l'armateur en cas de défaillance de la société de manning (vraie avancée)
  • participation de tous les marins à l'élection des délégués de bord (DP marins)
  • contrat obligatoire mentionnant les conditions générales d'engagement, les bases de calcul de la rémunération et la protection sociale appliquée (financée à 50% par l'armateur)
  • durées minimales de repos identiques aux normes sociales françaises (car elles même issues de la convention 180 de l'OIT sur la durée du travail des gens de mer : 14h maxi par jour et 72h maxi par semaine) et durée légale du travail (heures sup pour les heures faites au delà de la 48ème : on est pas encore tout à fait aux 35 h !)
  • 1 jour de repos hebdo et 3 jours de congés payés par mois d'embarquement (dans les conventions collectives françaises les marins ont beaucoup plus, de l'ordre de 15 jours par mois d'embarquement).
  • compétence de l'Inspection du travail maritime pour contrôler les conditions d'engagement, d'emploi, de travail, de protection sociale et de vie à bord : il s'agit là d'un progrès par rapport au pavillon TAAF qui échappait au contrôle de l'inspection du travail maritime à cause du Code du travail de l'outre Mer
  • Pour l'anecdote le projet de loi prévoit deux longs articles pour autoriser l'installation de jeux et de machines à sous sur les navires inscrits dans ce registre ; on voit déjà le tableau : des bateau transformés en casino-flottant battant pavillon français avec des marins philippins payés 500$ par mois.

    Mais au delà de ça on ne peut s'empêcher de se demander à quoi sert-il de vouloir absolument créer un pavillon français compétitif. Le TAAF est supprimé car il n'était pas assez concurrentiel, mais le RIF ne le sera pas plus face à des pavillons de complaisance (les pavillons " cacahuète " ) puisqu'il sera toujours plus cher ; est ce la vocation de notre pays de courir après ce mirage, c'est un comme si l'on décidait de relancer la fabrication des T shirt pour reprendre les parts de marché prises par la Chine...

    Enfin, puisque le texte lui donne de nouvelles compétences, il est important que l'Inspection du travail maritime (dont la création remonte maintenant à 1996 -loi 26 février 1996- même si ses missions ont réellement été définies plus tard -décret du 7 juin 1999-) connaisse un véritable essort.

    Actuellement il n'y a que 3 inspecteurs du travail maritimes sur tout le littoral français (ainsi que 4 contrôleurs).

    En 2004 avait été décidé l'intégration de l'ITM dans l'inspection du travail des transports (ITT) afin de la professionnaliser, c'est dans ce cadre qu'un poste d'ITM (Marseille) avait été proposé pour la première fois à un inspecteur du travail du corps interministériel provenant de l'ITT. Ce projet qui trouvait sa cohérence dans le fait que ces deux régimes appartiennent au même ministère (et bientôt à la même grande direction d'administration centrale, la direction de la mer et des transports) à été soudainement abandonné par le nouveau secrétaire d'état à la mer, laissant cette inspection sans projet de service et très isolée du reste de l'inspection du travail.

    D'après AM et JPN

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