Bobby Sands : mourir pour des idées
Le 5 mai 1981, Bobby
Sands, membre de
l’Irish Republican Army
(IRA) emprisonné dans la prison
du Maze près de Belfast,
meurt après une grève de la
faim qui a duré 66 jours.
L’annonce de son décès provoque
des scènes de violence
en Irlande du Nord. Plus de
100000 personnes assistent à
son enterrement. C’est à Steve
McQueen, jeune cinéaste britannique,
que l’on doit la mise
en scène de cet épisode crucial
de la lutte indépendantiste
irlandaise. Hunger (Faim) a
reçu la Caméra d’or, consacrée
à un premier film en lice dans
toute les sélections lors du festival
de Cannes 2008.
Une tragédie grecque
Hunger ne retrace pas les quelques quarante années de
troubles en Irlande du Nord. A cet égard, le film est peu
politique car la caméra n’essaye pas de donner un sens
global au combat indépendantiste. A l’exception de rares
séquences extra-muros, l’ensemble de l’action se déroule
dans l’univers claustrophobique de la prison du Maze.
Une telle approche est assez peu pédagogique, car elle
n’explique pas aux spectateurs les plus jeunes ou les
moins politisés, dans quelle mesure les événements de
l’été 1981 ont pesé de manière fondamentale dans l’évolution
du conflit.
A travers la figure-martyr de Bobby Sands, McQueen
souhaite se concentrer sur deux aspects majeurs de la
résistance nationaliste : d’une part, la nature totalitaire de
l’ordre militaire imposé par l’Etat britannique sur l’île.
D’autre part, en filmant minutieusement la lente déchéance
physique et psychologique de Bobby Sands, McQueen
propose une lecture quasi-philosophique du jeûne : peuton
se laisser mourir de faim pour la défense d’une cause ?
Peut-on volontairement mourir pour des idées ?
L’une des scènes les plus dures de ce film éprouvant
montre un groupe de détenus républicains qui courent,
nus, dans les couloirs de la prison. Ils tombent bientôt
nez-à-nez avec un groupe de gardiens de prison en tenue
anti-émeute. Ces derniers rouent les prisonniers de coups
de matraque. Ce moment d’une sauvagerie sadique est
pourtant le lot quotidien des détenus. Il illustre à l’envi la
décision prise par l’Etat britannique de se débarrasser
d’un problème politique par la violence.
Telle une tragédie grecque, le film se décompose en trois
actes. Dans un premier temps, l’action évoque la campagne
dite du dirty protest. La seconde séquence est un
dialogue entre Bobby Sands et un prêtre catholique venu
lui rendre visite. La scène dure 22 minutes ; 22 minutes
d’un dialogue ininterrompu et tendu pendant lequel les
deux hommes s’opposent sur la question de la grève de la
faim : pour Sands, il s’agit d’un moyen au service d’une
fin politique ; pour le prêtre, cette décision est hautement
immorale. La troisième partie détaille les 66 jours de
jeûne du cadre de l’IRA, son lent déclin physique.
Les scènes de tabassage ont, selon McQueen, été tournées
sans aucun trucage. Michael Fassbinder, l’acteur irlandoallemand
qui joue le rôle de Bobby Sands, a jeûné pendant
10 semaines avant de tourner la troisième partie du
film.
Protestations et répression
La «protestation des couvertures» (the blanket protest)
commence en septembre 1976 : un membre de l’IRA
emprisonné refuse de revêtir l’uniforme des prisonniers
de droit commun et demande, en tant que détenu politique,
à conserver ses propres vêtements. Les autorités de
la prison refusent d’accéder à sa demande arguant d’une
nouvelle loi qui ne reconnaît plus aux membres de l’IRA
le statut de prisonnier politique. Les combattants de l’IRA
sont dorénavant considérés par l’Etat britannique comme
des « criminels de droit commun ». Nus comme des vers
dans leurs cellules, été comme hiver, les prisonniers n’ont
pour tout vêtement qu’une couverture sale sur le dos. Leur
cellule ne comporte qu’un matelas et une bible.
A partir de 1978, la lutte pour la reconnaissance du statut
politique prend une autre tournure, avec la « protestation
sale » (the dirty protest). A la suite de violences et de brimades
des gardiens particulièrement cruelles, les prisonniers
refusent de quitter leurs cellules et de se laver. Ils
défèquent et urinent dans leurs cellules, prennent leurs
excréments à pleine main et en recouvrent les murs de leur
geôle. Leur urine ruisselle sous la porte de la cellule
jusque dans les couloirs de la prison. Les déchets s’amoncèlent
et pourrissent dans un coin de la cellule. Les conditions
de vie des prisonniers sont totalement inhumaines.
Le pouvoir thatchérien à Londres ne transige pas. En
octobre 1980, les premières grèves de la faim ont lieu dans
le bloc H de la prison, celui où sont détenus les membres
de l’IRA. La Dame de fer ne recule toujours pas et le mouvement
est interrompu avant d’avoir obtenu gain de cause.
Entre alors en scène Bobby Sands, incarcéré depuis 1977
et condamné à 14 ans de détention. Sands veut relancer le
mouvement de grève de la faim et, cette fois-ci, d’aller
jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort. Il recueille les
noms de 70 volontaires prêts à l’accompagner dans cet
ultime combat. Bobby Sands est le premier à se lancer
dans une grève de la faim le 1er mars 1981. Un nouveau
gréviste doit rejoindre le mouvement toutes les deux
semaines.
Avant de mourir le 5 mai après 66 jours de grève de la
faim, Sands est élu député de la circonscription de
Fermanagh et de Tyrone sud le 9 avril, un poste qu’il n’occupera
jamais. Lorsque le mouvement de grève est interrompu
en août 1981, neuf autres personnes sont mortes de
faim.
Pendant les sept mois que dure la grève de la faim, la province
s’enflamme, les assassinats de part et d’autre se succèdent.
Nombre d’entre eux touchent la population civile.
Peu après la mort de Bobby Sands, 5000 étudiants manifestent
à Milan et brûlent le drapeau britannique ; à Gand,
des étudiants envahissent le consulat britannique ; à Paris,
des milliers de personnes manifestent, à Nantes, Saint-
Etienne, Le Mans, Vierzon et Saint-Denis, on inaugure
des rues Bobby Sand ; à Oslo, des individus jettent un ballon
rempli de sauce tomate en direction de la reine
d’Angleterre. Partout dans le monde l’émotion est forte et
le gouvernement Thatcher est montré du doigt.
En 1983, Londres accepte enfin les «cinq exigences»
posées par l’IRA (dont celles d’être exempté du port de
l’uniforme de prisonnier de droit commun ou de devoir
travailler en prison). Le statut de prisonnier politique ne
leur est cependant toujours pas octroyé. Jusqu’aux années
90, les membres de l’IRA seront présentés par les conservateurs
et les médias britanniques comme un groupe de
« délinquants » et de « criminels ».
Un tournant politique
Ces sept mois tragiques peuvent être vus comme un
moment-clé du combat nationaliste. La lutte armée sera
certes maintenue jusqu’aux accords de paix signés entre
les parties belligérantes en 1998 (Good Friday
Agreement). Toutefois, cette grève de la faim aura permis
de politiser une population irlandaise jusqu’alors aveuglée
par la violence sectarienne ou apathique. Bobby Sands et
ses camarades auront affermi par leur action la conscience
d’appartenance nationale au sein du camp républicain.
Davantage, l’élection de Bobby Sands à la Chambre des
Communes aura constitué bien plus qu’un acte symbolique.
Une classe moyenne républicaine prend alors
conscience qu’une Irlande réunie et indépendante est à la
portée du bulletin de vote. A partir des années 80, la bourgeoisie
catholique commence à voter en masse pour le
Sinn Féin (l’organe partisan républicain, proche de
l’IRA).
Ce soutien ne s’est pas démenti à ce jour. On peut estimer
que la solution politique négociée de 1998, qui permet
aujourd’hui aux ennemis d’hier de cogérer ensemble la
province, a paradoxalement pour origine les actions du
terrible été de 1981. Le film de Steve McQueen ne le dit
pas et c’est regrettable : Bobby Sands n’était pas un personnage
mystique et narcissique.
C’était au contraire un militant intelligent et rationnel, un
écrivain, un poète, un musicien.
Dans ses écrits de prison qu’il nous a légués, il affirmait :
« Je ne suis qu’un gars de la classe ouvrière, du ghetto
nationaliste, mais c’est la répression qui crée l’esprit
révolutionnaire de liberté. Je ne cesserai mon combat que
lorsque j’aurai achevé la libération de mon pays, que
lorsque l’Irlande sera devenue une république souveraine,
indépendante et socialiste ».
Philippe Marlière
LES DIX MEMBRES DE L’IRA
QUI ONT MENÉ LA GRÈVE DE LA FAIM
JUSQU’AU BOUT :
1981)
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mai 1981)
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